Mioara TODOSIN


Assistante des universités à l’Université de Deva
Secrétaire générale de l’Association FRADEV

 

Multimédia et enseignement du français



Dans le labyrinthe des méthodes d’enseignement/apprentissage des langues étrangères, le multimédia commence à se faire connaître en Roumanie. Le système éducatif roumain se trouve en effet confronté à un ensemble de mutations complexes. Partout, dans toutes les disciplines, on change les programmes, on modifie les méthodes, on élabore de nouveaux manuels, on transforme le statut des enseignants, on met en place de nouveaux instituts de formation des maîtres, on réfléchit à l’apport en puissance des nouvelles technologies et du multimédia.

Dans ces acceptions les plus courantes, le terme de “multimédia” désigne toutes sortes d’applications nouvelles, où le texte, le graphique, les images fixes ou vidéo, l’animation, les sons se trouvent associés ou juxtaposés. Dans l’enseignement des langues, le “multimédia” tend à s’appliquer à l’utilisation de nouveaux produits d’enseignement où interviennent simultanément l’informatique et une expérience pédagogique. Il en résulte un nouveau mode de présentation du savoir qui a recours à l’ordinateur et à des cédéroms.

Sans faire un éloge de la machine à la façon futuriste d’un Marinetti, on sait que l’ordinateur est désormais considéré comme un outil indispensable à la modernisation de l’enseignement en cette fin de siècle et de millénaire.

Lors d’une émission récente, par exemple, à la télévision nationale, Virgil Nemoianu*, professeur de littérature comparée aux États-Unis, a parlé du rôle important que l’ordinateur joue ainsi pour les intellectuels, les écrivains, les artistes, les créateurs. Le traitement de l’information, sa diffusion, son utilisation à travers les nouvelles techniques de la communication, représentaient pour lui un moment important dans l’évolution de l’humanité.

Dans cette perspective, Internet, avec ses facilités, avec son pouvoir de fascination, est de plus en plus présent en Roumanie, dans les entreprises, dans les universités. Des cybercafés ouvrent leurs portes dans les grandes villes ; les journaux, les revues expliquent aux internautes comment naviguer sur le réseau, comment identifier des sites, comment découvrir les dernières nouveautés.

Quelle place occupe donc le multimédia dans l’enseignement du français en Roumanie ? Qu’en est-il de la formation des enseignants, des objectifs envisagés, des produits utilisables ?



I. La formation des enseignants

La formation des enseignants est un enjeu primordial pour l’insertion du multimédia dans le milieu scolaire. Pour accomplir cette tâche difficile, les universités roumaines se sont engagées dans un processus important de rénovation, animées par le désir d’harmoniser l’enseignement avec les réalités de la société contemporaine.

Cet effort s’est traduit depuis une ou deux années scolaires par l’organisation de stages en milieu universitaire pour les enseignants de français langue étrangère (FLE) en Roumanie.

C’est ainsi que, au mois de juin 1997, j’ai été amenée à participer à un stage d’initiation aux outils multimédias à l’Université de Craiova, une université qui a été chargée d’assurer la coordination du programme européen TEMPUS, dont le but est d’introduire les nouvelles technologies de l’information (NTI) dans l’enseignement des langues étrangères au sein des établissements roumains. Deux autres universités roumaines, celles de Iasi et de Galati, y participent également, en partenariat avec les universités de Brighton en Angleterre, de Turin en Italie et de Lille 1 en France.

En une première étape, le département de langues romanes de l’Université de Craiova, qui avait organisé ce stage, avait invité Mme Elspeth Broady, enseignante de français au Centre d’enseignement des langues de l’Université de Brighton, à présenter le multimédia et Internet à partir de sa propre expérience en ce domaine.

Dans une deuxième étape, c’est Mme Françoise Deparis, ingénieur d’études et responsable pédagogique du français langue étrangère (FLE) à l’Université de Lille 1, et M. Michel Loonis, philosophe de formation et enseignant en informatique, de l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 également, qui présentèrent le multimédia et l’histoire du développement du réseau Internet.

La troisième étape a consisté enfin en une présentation d’un système de traduction assistée par ordinateur, le système Transit 2.6 appliqué à la traduction technique, et à une discussion sur les difficultés de traduction rencontrées.



II. Les buts envisagés

La question : “Pourquoi le multimédia dans l’enseignement des langues ?” a été longuement débattue. Plusieurs catégories d’objectifs se sont dégagés. Cette introduction du multimédia dans l’enseignement du français langue étrangère a semblé pouvoir se justifier pour de multiples raisons, à savoir, dans le désordre :

– pour aider l’apprentissage individuel et le travail autonome, étant donné que les élèves peuvent apprendre en dehors des salles de classe. “L’école hors les murs” ou “l’école sans murs” de Marshall McLuhan est, d’ailleurs, un concept qui a commencé à changer l’optique traditionnelle ;

– pour permettre à l’élève de choisir entre des séries d’exercices, des batteries d’exemples, des extraits de textes, tels qu’ils pourraient se présenter sur des cédéroms qui seraient mis à la disposition des enseignants ;

– pour déterminer des niveaux de difficulté et des parcours appropriés, en fonction des compétences linguistiques et des connaissances ;

– pour mieux utiliser la diversité des attentes et des aptitudes des élèves, en particulier en fonction de leur âge ;

– pour faciliter la vérification et le contrôle des connaissances acquises, et soulager les enseignants des travaux fastidieux ;

– pour encourager les élèves à travailler en groupe, notamment en réalisant des projets en commun. De cette façon, même les élèves qui ne sont pas les meilleurs peuvent s’intégrer à ces groupes et améliorer leurs apprentissages, au contact des bons élèves.

D’autres idées ont été agitées au cours de ce stage. On se contentera de les énumérer succinctement, sous la forme d’une série d’observations sur les transformations du rôle de l’enseignant. Le multimédia permet en effet d’effectuer une approche navigationnelle du contenu du cédérom. Il devient possible de sélectionner ou de privilégier les parcours les plus appropriés en fonction des situations pédagogiques rencontrées. On peut ajouter aussi des questionnaires à choix multiple (QCM), des exercices interactifs de grammaire ou d’expression, des simulations, des tests d’évaluation, des écoutes, des visionnements de séquences vidéo.

Le rôle du formateur devient alors plutôt celui d’un conseiller ou d’un tuteur que d’un maître. Le dialogue interactif avec l’ordinateur et les phénomènes de “rétro-action” qui se produisent sont vécus d’une manière moins stressante et donc plus dynamisante et motivante pour les élèves.

La relation binaire traditionnelle entre le maître et l’élève se transforme en une interaction ternaire, triangulaire, entre un professeur, un ordinateur et un apprenant. L’ordinateur change radicalement la structure initiale antérieure.
L’ordinateur devient un tuteur. Il facilite l’acquisition des connaissances, du vocabulaire, de la grammaire, de l’histoire, des faits de civilisation.

Il est certain que la technologie, si avancée soit-elle, ne pourra jamais remplacer le “je ne sais quoi” qui se produit entre les élèves et les enseignants au cours de l’expérience humaine qui se passe en présence du professeur.

Peu importe que les ordinateurs soient utilisés comme des postes de travail informatisés autonomes ou bien reliés en réseau via Internet. Ils peuvent offrir des matériels privilégiés pour l’autodidactique. Ils peuvent donner à l’élève plus de motivation. Selon le mot de Piaget, l’apprenant peut devenir “l’architecte de sa formation”.



III. Les produits utilisables

Quant aux produits multimédias qui sont susceptibles d’être utilisés, plusieurs cédéroms ont été présentés dans la perspective de l’apprentissage de la langue française, à titre d’exemples, comme French Interactive CD-ROM pour des publics d’anglophones, cela pour donner une idée de ce qui pourrait être adapté en Roumanie.

Sur l’art, la civilisation, la culture, plusieurs titres ont été proposés : une Histoire de la littérature, un Atlas du monde, Le Musée d’Orsay et le fameux Musée du Louvre.

Une méthode particulière, parmi les cédéroms d’apprentissage du français, “Pour tout dire 1 et 2”, s’est révélée d’un grand intérêt. C’est une méthode qui est destinée à des débutants ou à de faux commençants. Les objectifs en sont :

– d’introduire le langage de base, c’est-à-dire le vocabulaire du français fondamental, dans des situations empruntées à la vie quotidienne ;

– d’oser parler dès le premier module du cédérom ;

– de devoir communiquer en français oral et écrit.

La pédagogie préconisée repose sur l’interaction, sur l’écoute d’enregistrements sonores et sur la réutilisation de termes et d’expressions employées au cours des dialogues ou des entretiens entendus.

Un “langage-auteur”, le système multimédia Speaker Auteur, a été présenté à partir d’une simulation effectuée sur un cédérom. C’est un système qui est en fait un langage de programmation informatique très simple d’utilisation et qui est destiné à des pédagogues non informaticiens. Il permet de personnaliser les séquences d’enseignement. Ce type d’instrument de travail pourrait devenir un outil indispensable à tout centre de ressources informatiques et à tout établissement qui souhaiterait encourager une pédagogie multimédia.

En effet, la pédagogie multimédia donne aux enseignants la possibilité de s’initier à l’informatique. Cette forme de pédagogie correspond sans doute à ce qu’on pourrait appeler “l’horizon d’attente” des nouvelles générations d’enseignants et d’apprenants.

Ce stage sur le multimédia a été accompagné de nombreuses démonstrations pratiques. Les stagiaires ont été mis en situation de produire de courtes séquences pédagogiques, en utilisant en particulier le logiciel Hyperstudio et un générateur d’hypertextes.

Toujours au cours de ce stage, des enseignants des universités de Craiova et de Galati, ainsi que de Iasi, ont présenté des produits multimédias roumains qu’ils utilisent déjà dans leurs propres universités à partir de documents transformés en hypertextes et de batteries d’exercices.

Dès l’automne 1997, grâce à une aide du Bureau de Coopération linguistique et éducative (BCLE) de Timisoara, l’Université Ouest de Timisoara aura bénéficié de la création d’un centre de ressources multimédias, qui sera mis à la disposition des professeurs et des étudiants de cette université.

Au niveau de l’enseignement secondaire, un certain nombre de professeurs de français roumains, venant pour la plupart de lycées bilingues, ont participé à des stages d’initiation et de formation analogues, d’une durée d’un mois, en France, auprès de l’université de Grenoble, pour se familiariser avec le multimédia.

D’autres actions d’accompagnement ont été mises en place par les autorités roumaines. Ce sont des rencontres, des débats ou des conférences qui sont consacrées au multimédia. En 1998, c’est dans la ville de Iasi que se tiendra un premier colloque international sur le multimédia, lors de la “Journée internationale de la francophonie” du mois de mars 1998.



Conclusion

En Roumanie, le “multimédia” ne peut que renforcer l’étude et l’enseignement de la langue française et améliorer les positions de la francophonie. Mais on est encore loin d’une utilisation généralisée dans les écoles.

L’enseignement roumain ne peut pas manquer d’aller à la rencontre des nouvelles technologies. Un effort considérable devra sans doute être consenti en faveur de la formation des enseignants, de la définition d’objectifs d’une politique éducative diversifiée et de l’élaboration de méthodes et de produits didactiques qui soient adaptés à l’enseignement du français langue étrangère aux Roumains.

À ces conditions, ces techniques devraient pouvoir devenir un instrument d’un nouvel humanisme sans frontières et contribuer à l’intégration de la Roumanie dans le monde moderne.



Référence :

Personnalité importante de la diaspora roumaine,Virgil Nemoianu a commencé son activité à la revue “Le Contemporain” et aux ”Éditions de l’Académie roumaine”. Chargé de cours à la chaire d’anglais de l’Université de Bucarest, puis docteur en littérature comparée à l’Université de San Diego, en Californie, il enseigne successivement la littérature roumaine à Londres, Cambridge, Berkeley. Secrétaire du Comité coordonnateur de l’Association internationale de Littérature comparée, il est élu en 1993 membre de l’Académie européenne des Arts et des Sciences. C’est un spécialiste reconnu du romantisme européen, de la théorie de la littérature et de l’histoire intellectuelle des pays de l’Europe de l’Est.

Parmi ses ouvrages les plus connus, citons : Le Romantisme apprivoisé (1985), couronné par le prix “Harry Levin”, et Théâtre, Littérature, Religion (1992)

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93