VINGT-NEUF BIENNALES
DE LA LANGUE FRANÇAISE

NAMUR 1965

QUÉBEC 1967

LIÈGE 1969

MENTON 1971

DAKAR 1973

ECHTERNACH 1975

MONCTON 1977

JERSEY 1979

LAUSANNE-AOSTE 1981

LISBONNE 1983

TOURS 1985

MARRAKECH 1987

QUÉBEC 1989

LAFAYETTE 1991

AVIGNON 1993

BUCAREST 1995

NEUCHÂTEL 1997

OUAGADOUGOU 1999

OTTAWA-HULL 2001

LA ROCHELLE 2003

BRUXELLES 2005

DAKAR 2007

SOFIA 2009

TALLINN 2011

BORDEAUX 2013

CLUJ-NAPOCCA 2015

PARIS 2017

CHICAGO 2019

BERLIN 2021 (tenue en 2022)

 

HISTOIRE DES QUINZE PREMIERES BIENNALES
par Alain Guillermou Président fondateur

La Biennale de la langue française a pris naissance le jour où le signataire de ces lignes, alors secrétaire général de l'Office du vocabulaire français, créé quelques années plus tôt, convia pour une réunion de travail les représentants des organismes voués à la sauvegarde de la langue française dans les divers pays francophones du monde. Cette réunion se tint en mars 1964. La décision fut prise de créer une association internationale sous le titre de "Fédération du français universel".

Il fut entendu que l'adjectif "universel" recevrait l'acception qu'il a dans les formules de types "Alliance israélite universelle" ou "École universelle", c'est-à-dire qui "concerne la totalité d'un groupe", ce groupe étant formé, en l'occurrence, par l'ensemble des personnes qui, à travers le monde, détiennent ce commun patrimoine linguistique, le français. On pouvait craindre que ledit adjectif valût à la jeune institution le reproche de verser dans un certain "rivarolisme". En vérité la Fédération pallia d'emblée ce risque en manifestant, au départ, qu'elle avait un seul but : assumer la sauvegarde du meilleur français possible, écrit et parlé par le plus grand nombre possible de francophones.

Le nouvel organisme n'avait pas à superposer son action à celles que menaient, dans leurs pays respectifs, les groupements fédérés. On lui assigna simplement la tâche de mettre sur pied des congrès périodiques.

Le premier se tint à Namur en 1965. C'est à cette occasion que l'un des congressistes, venu du Canada, lança l'exclamation restée fameuse : "Ce congrès, voilà deux cents ans que nous l'attendions!".

En vérité, non seulement les Canadiens prenaient pour la première fois contact, depuis la séparation de 1763, avec la communauté linguistique francophone de l'ancien monde, mais encore, pour la première fois dans l'histoire de notre langue, un grand nombre de représentants des pays où le français est langue maternelle, nationale ou officielle - et singulièrement des délégués de l'Afrique noire francophone - se trouvaient conviés à des assises que le regretté Jacques Duron baptisa d'une très heureuse formule : "Les états généraux de la langue française". À l'issue du congrès de Namur, les participants prirent, unanimement, la décision de se retrouver deux ans plus tard pour de nouvelles assises. Cette décision scella l'existence de la Biennale comme institution durable.

Le lieu choisi pour le deuxième rassemblement fut Québec en 1967, dans les amphithéâtres et les résidences de l'université Laval.

Lors de la séance de clôture, deux annonces d'une grande importance furent faites : celle de la création de la Fédération internationale des professeurs de français, dont les initiateurs étaient MM. Louis Philippart et André Reboullet, celle aussi du Conseil international de la langue française. (Le C.I.L.F. dont le fondateur est Alain Guillermou)

La troisième biennale se tint à Liège, en 1969, et traita particulièrement du langage scientifique et médical.

La quatrième, à Menton, en 1971, fut consacrée surtout au problème du "français langue des affaires".

En 1973, sous le titre : "Le français, langue sans frontières", parut en un volume le compte rendu des quatre premiers congrès.

Le cinquième congrès, tenu à Dakar, en 1973, fut l'objet à lui seul d'un ouvrage, ainsi que le seront les biennales ultérieures. À Dakar, le thème de la biennale fut : "Le français hors de France". Des thèmes secondaires y furent traités : "L'enrichissement de la langue et de la littérature françaises par les apports africains et malgaches" et "L'enseignement du français langue seconde et langue étrangère". Le président Léopold Sédar Senghor voulut bien donner à cette biennale un éclat exceptionnel.

En 1975, la biennale eut pour thème général : "Le français langue internationale". Elle se tint à Echternach, petite ville pittoresque du Luxembourg, qui fut choisie justement à cause du privilège dont jouit le Grand Duché d'être le siège de nombreux organismes européens. Un événement marqua la biennale : pour la première fois fut réalisée, au Luxembourg, une liaison transatlantique avec la Banque de terminologie de Montréal. Celle-ci fut interrogée au sujet d'un certain nombre d'anglicismes et fournit presque immédiatement des équivalents de bon aloi.

La biennale de 1977 tint ses assises à Moncton, dans le Nouveau-Brunswick, au Canada. Le thème général était : "Langue française et identité culturelle". Ce thème était le plus capable de susciter des débats brûlants. Définir ce qu'est l'identité culturelle n'était pas inutile, avant d'étudier les relations entre la langue et la culture dans divers pays de la francophonie. Ici encore deux thèmes secondaires étaient prévus : "Le français langue du tourisme" et "La langue française et les jeunes". Un concours international avait été organisé, dans de nombreux pays du monde francophone et non francophone, à l'intention des adolescents. Ils avaient à composer une dissertation sur le sujet : "Le français et moi". Les trois lauréats, invités à Moncton, lurent leur texte devant l'assemblée. Ils venaient de Haute-Volta (appelé Burkina depuis 1984), de Corée du Sud et de France. Une enquête approfondie avait aussi été lancée sous la forme d'un questionnaire, auquel près de 4000 élèves de classes de français du monde entier avaient répondu. La biennale de Moncton se tint dans les locaux de l'Université, grâce à M. le recteur Jean Cadieux. Les Acadiens de Moncton et du Nouveau-Brunswick voulurent bien considérer comme un événement important ce rassemblement sur leur territoire d'un si grand nombre de représentants de la francophonie. Ils purent constater que le "fait acadien" devenait l'objet d'une prise de conscience de plus en plus nette chez les congressistes et ils furent assurés que, par l'intermédiaire de ces derniers, seraient mieux connus à travers le monde les problèmes que pose la survie du français dans les provinces maritimes du Canada. À la suite du congrès de Moncton, deux volumes furent publiés, l'un contenant les exposés des orateurs, l'autre les résultats du concours et des enquêtes organisés par Jeanne Ogée auprès des jeunes sur le thème choisi : "Le français et moi".

La huitième biennale, en 1979, aurait dû se tenir à Tunis. Malheureusement les événements qui allaient ensanglanter le Proche-Orient se faisaient pressentir et Tunis, comme Paris, virent soudain d'un mauvais oeil qu'un rassemblement aussi important de francophones se tînt dans une ville devenue le siège de la ville arabe. L'île de Jersey fut choisie comme lieu de remplacement. Possession britannique, Jersey a deux langues officielles : l'anglais et le français. Le thème principal de ce huitième congrès se présentait sous la forme d'une interrogation : "Une langue française ou des langues françaises?". Deux thèmes secondaires étaient prévus, l'un relatif au problème de la traduction, l'autre relatif au langage de la chanson française. Cette fois encore, un concours international avait été organisé. Les jeunes avaient eu à composer - musique et paroles - une chanson inspirée de la formule "Je chante en français". Les cinq jeunes finalistes, de l'enseignement secondaire, représentaient le Canada (l'Acadie), l'Afrique (le Rwanda), l'Europe (l'Angleterre, la Belgique, la France). Ils vinrent à Jersey concourir devant les biennalistes.

La neuvième biennale fut itinérante. Elle se tint à l'automne de 1981, en Suisse d'abord, puis en Vallée d'Aoste (Italie). Les congressistes prirent un grand intérêt à l'exposé des thèmes relatifs à l'essor du français dans la région autonome que constitue la Vallée d'Aoste. Trois thèmes furent traités - dont le premier servit de titre à l'ensemble de la biennale - : "Qualité de la langue, qualité de la vie", "L'ordinateur, trait d'union de la francophonie", "La presse d'entreprise et la langue française" . Le deuxième thème fut illustré par un dialogue qui s'établit entre un "terminal" installé dans la salle des séances et la Banque de terminologie du Canada. L'expérience faite, pour la première fois dans l'histoire, au Luxembourg se trouva ainsi renouvelée.

La dixième biennale a tenu ses assises en novembre 1983 à Lisbonne. Le titre de la biennale : "Le français, langue de communication" fut illustré par trois thèmes : "Le point sur les pédagogies du français", "Langue française et télématique", "Unité et diversité langagières dans les littératures du monde francophone". Par ce dernier thème, le problème essentiel était de nouveau à l'étude : comment lutter contre le danger d'opacité interne qui menace la francophonie. Car la transparence réciproque est le bien suprême de toute communauté langagière, surtout s'agissant d'une communauté comme est celle de langue française qui groupe des éléments relativement réduits en nombre face à la grande masse de la communauté anglophone. C'est à Lisbonne que fut évoquée l'union nécessaire des peuples qui parlent des langues issues du latin. L'appartenance à cette immense communauté des langues romanes offre à notre langue une chance en même temps qu'elle lui impose des devoirs, à savoir oeuvrer à la diffusion de ses langues-soeurs.

Pour son vingtième anniversaire, la Biennale (la onzième) revint dans son berceau français, la Touraine. L'année 1985 était propice aux souvenirs : Grégoire de Tours, Rabelais, Ronsard, Balzac... C'est de Tours aussi que partit Marie Guyart pour le Canada, où elle assura, en marge des activités liées à sa vocation, le maintien de la langue française.

La biennale de Tours mise sous le signe des "Jeunes, avenir du français", vit une dizaine d'entre eux, de divers pays, francophones de souche ou d'occasion, parler du français "en l'an 2000" et "de l'an 2000". Les autres thèmes abordés : "le rôle du français dans le développement d'un pays", "la lutte contre l'analphabétisme" et "la place choisie à donner à la magie d'une langue : la poésie", retinrent la vive attention du public.

La douzième biennale, qui se tint à Marrakech en 1987, fit la part belle "aux techniques" et au défi qu'elles lancent à la langue française. Celle-ci n'est du reste pas seule en cause. Les langues en général abordent une crise qu'elles doivent affronter, la menace de l'extinction ou la perte de leur identité, crise due à la communication universelle. Pour le français et les langues romanes, d'où peut venir l'aide essentielle? Est-elle à chercher du côté des langues anciennes qui les ont fait naître et peuvent encore être un recours? Tels ont été les thèmes de réflexion proposés aux congressistes. Parmi les communications, très brillante et riche fut celle de Madame Jacqueline de Romilly, apôtre de l'enseignement du grec et du latin, qui, à quelque temps de là, devait entrer à l'Académie française.

La treizième biennale, à Québec en 1989, eut ceci de particulier qu'elle fut organisée, sur place, par trois personnes qui prirent la responsabilité de recruter quelque 35 orateurs canadiens, MM. Alain Landry, Pierre-Étienne Laporte et Pierre Martel. De ce côté-ci de l'Atlantique furent d'autre part recrutés un vingtaine d'orateurs européens et africains. Le résultat de ces efforts fut un congrès remarquablement riche, dont le thème général "Exprimer la modernité en français" fut traité dans divers "ateliers" : "Décider en français", "Travailler en français", "Se former en français", "Communiquer en français", "Créer en français", "Se regrouper en français". Programme panoramique, si l'on peut dire, signé par près de quatre-vingts orateurs!

Pour la quatrième fois, la Biennale de la langue française tint ses assises sur le continent américain, à Lafayette en 1991. Le titre du congrès mérite l'épithète d'"agressif", que l'on donne, dans le langage des affaires, à un agent efficace : "En lutte pour l'avenir du français". Justement c'est sur le territoire où les Cajuns ont tant lutté pour maintenir en vie leur langue que se sont tenues les quatorzièmes assises de la Biennale. Elles ont été vouées d'abord à "l'enseignement, clef de voûte de la francophonie" et aussi à "l'Action langagière", action sans laquelle tous les débats, conférences et colloques de toutes sortes tombent sous la grinçante apostrophe d'Eugène Ionesco : "Assez d'actes, des mots!". Un grand projet a été évoqué : la composition d'un Dictionnaire panfrancophone. Puissent les moyens modernes dont dispose l'informatique permettre l'édification d'un pareil monument.

La quinzième biennale devait se tenir à Alexandrie mais les événements qui ont bouleversé le Proche-Orient ont rendu impossible, au grand regret des organisateurs, la tenue de nos assises dans la ville du Phare et de la grande Bibliothèque. Mais le choix d'Avignon ne fut pas le moins du monde un pis-aller. Tous les congressistes ont gardé de la cité des Papes, haut lieu du célèbre festival, un souvenir très précieux. Le thème retenu était tout bref : "Les mots", avec les subdivisions que voici : "Les mots pour travailler", "Les mots pour se comprendre" et aussi "Les mots pour rire". Le congrès s'est amusé, dira-t-on. Oui; mais à la faveur d'exposés de haut niveau. Un événement a marqué cette quinzième biennale : la passation des pouvoirs entre l'ancien et le nouveau président, Roland Eluerd. Il fit ses premières armes à la biennale suivante, qui furent victorieuses, assurément.

La seizième biennale se tint à Bucarest, capitale d'un pays qui mérite le titre de "francophone" - aussi bien est-il invité aux "Sommets de la francophonie" - à cause du nombre encore considérable d'habitants qui parlent notre langue et de la place que celle-ci tient dans l'enseignement. Les liens entre la France et la Roumanie sont anciens. L'élite du pays, à l'époque de l'Europe française, était imprégnée de culture française. C'est notre langue que l'on parlait à la Cour des princes moldaves ou valaques et c'est en France que ceux-ci envoyaient leurs fils faire leurs études. Plus récemment, Napoléon III joua un grand rôle dans l'accession des principautés roumaines à l'indépendance. Et, depuis, les liaisons d'amitié entre les deux pays n'ont jamais cessé.

Le thème choisi par le nouveau Président était marqué, on s'en apercevra, du signe de l'actualité et révélait de sa part, si l'on peut dire, un "fluide" étonnant : "Les autoroutes de l'information". La formule pouvait surprendre alors et même ne rien signifier pour beaucoup. Or, s'il est un problème devenu en peu de temps d'une extrême importance, du point de vue de la culture mondiale et aussi de la langue française, c'est bien celui que pose l'extension, à l'échelle de la planète, des réseaux du type "Internet".À noter que l'on célébra, à Bucarest, le trentième anniversaire de la création de la Biennale. Trente ans, seize congrès, des centaines d'orateurs et des milliers de participants.... Un regard jeté sur le passé ne peut qu'apporter du réconfort et donner aux dirigeants, M. Roland Eluerd, président, Mme Jeanne Ogée, promue vice-présidente, et M. Gildas Ogée, secrétaire général, l'énergie nécessaire pour continuer l'entreprise.

Telle est, rapidement parcourue, l'histoire de la Biennale de la langue française, depuis sa fondation en 1965 jusqu'à son seizième congrès en 1995. On peut se demander d'où vient la solidité de cette institution, promise sans aucun doute à la durée. Peut-être la raison principale est-elle à rechercher dans le caractère particulier qui l'a marquée dès ses débuts : une biennale n'est pas un colloque de société savante ni non plus un rassemblement comme en organisent des amicales de tout genre. Cependant, les orateurs sont d'une haute compétence et, dans le même temps, les auditeurs qui viennent fidèlement les écouter sont unis par des liens d'amitié. Ces "états généraux" de la langue française prennent l'aspect de retrouvailles.

À l'amitié entre participants - qu'ils soient à la tribune ou dans la salle - s'ajoute un commun sentiment d'oeuvrer pour la sauvegarde et l'unité de la langue française.

D'oeuvrer, le verbe est à sa place. Ces congrès ne sont pas restés sans résonance ni efficacité. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner d'une part les voeux qui ont été émis à l'issue de chacun d'entre eux et de considérer d'autre part les initiatives diverses qui ont été prises par des organismes publics ou privés à la suite des biennales. Il n'est pas téméraire ni présomptueux de tirer la locution "à la suite" vers le sens de "à cause de".

Autre raison - et, tout ensemble, signe - de l'importance qu'a prise l'institution : la faveur que lui dispensent les divers gouvernements des pays francophones.

Autre signe encore, le patronage qu'ont accordé à la Biennale d'éminentes personnalités. Deux présidents d'honneur se sont succédé : M. Maurice Genevoix, secrétaire perpétuel de l'Académie française et, aujourd'hui, M. le président Léopold Sédar Senghor, de l'Académie française.

La série des volumes déjà publiés par la Biennale (cf. les Actes, Index) offre une vue d'ensemble périodique des problèmes qui se posent à la francophonie et des solutions que suggèrent tour à tour des experts à la compétence assurée. Les historiens, plus tard, ne sauront négliger cette mine de renseignements, où nul aspect essentiel du devenir de la langue française n'aura été tenu à l'écart et cela, depuis Namur et pendant trente ans.


Rien ne laisse prévoir que la série s'arrête un jour.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93