Jeanne OGÉE
Professeur honoraire à l'École HECJF, vice-présidente de la Biennale de la langue française
L'enquête internationale " La langue française et vous "
EXPOSÉ DES PREMIERS RÉSULTATS
Introduction
Avant de survoler les premiers résultats de l'enquête internationale de l'année 2000 auprès des jeunes, je dois revenir en arrière pour dire quelques mots de sa genèse car elle n'est pas venue de rien. Elle procède d'une enquête antérieure, menée en 1977, que j'ai présentée à Moncton, déjà donc au Canada, pour la VIIe biennale de la langue française dont le thème était : " Langue française et identité culturelle ".
Alain Guillermou avait souhaité associer les jeunes à cette réflexion. Et, à sa demande, j'avais lancé un concours intitulé " Le français et moi " dans 90 pays. 30 répondirent et l'un des trois gagnants de ce concours, un par continent (l'Europe, l'Afrique, l'Asie), fut pour l'Afrique Boukaré KONSEIGA, à l’époque Voltaïque et aujourd’hui Burkinabè, qui est présent à cette biennale.
Alain Guillermou me laissa alors assortir le concours d'une enquête auprès des jeunes sur le même thème, enquête qui reçut près de 4 000 réponses.
24 ans se sont écoulés, le temps d'une génération. De grands bouleversements ont modelé différemment l'Europe, le monde, le rapport des forces politiques, économiques, les télécommunications, la naissance de l'Internet, la diffusion planétaire des moindres cultures, le bouillonnement des langues, des musiques, la survie du livre.
Se représenter la situation actuelle de la langue française diffère profondément suivant les écoles, les tempéraments, les pessimistes ou les optimistes.
Ainsi peut-on relever, textes à l'appui, deux propositions qui enfourchent des chimères contradictoires.
Ces deux propositions, résumées, diraient ceci :
- " La langue française se meurt ",
exorde tragique qui ressort du chant alarmant et réel d'un petit livre : Les Français et leur langue en 2001, publié par l'Association "Droit de comprendre", dont la lecture est accablante.
- " La langue française va redevenir sinon universelle, du moins une des langues les plus parlées du monde ", hypothèse due à l'ONU qui prévoit que, d'ici à 2050, les peuples parlant le français passeront de 600 millions à 1 milliard 169 millions soit 93% d'augmentation contre 52% pour l'ensemble de l'humanité et cet accroissement se ferait surtout en Afrique.
Sans doute ces deux propositions sont-elles totalement opposées et, espérons-le pour la première, fausse dans son principe, et extrêmement optimiste voire dangereuse pour la seconde. Une langue parlée par des milliards d'hommes ne meurt pas. Elle se transforme. Et cette assertion vaut pour chacune des propositions. Mais la synthèse qui en découlerait est assez importante pour en référer aux héritiers de la langue française, qui seront les stratèges de l'avenir, car d'eux dépend l'extinction ou la survie de la langue française.
Héritiers et stratèges, ainsi sont les jeunes. Et il fallait les entendre à la source. Voilà l'origine du projet dont jai rêvé en l'an 2000 et mené à bien aujourd’hui.
En 1977, 4 000 jeunes de 14 pays ou provinces, dont 4 francophones : la France, la Belgique, le Québec et le Nouveau-Brunswick.
En 2000, 7 000 jeunes de 26 pays, presque le double, dont 12 francophones et parmi eux l'Afrique.
Et ces jeunes ont répondu à notre appel par la même filière : les professeurs de français grâce aux chefs d'établissements en France, aux associations de professeurs de français à l'étranger, et aussi grâce à certains biennalistes dans leur propre pays.
Près de 200 ont répondu à ma requête. Je les en remercie. Sans eux, comme en 1977, rien n'était possible.
En France.
Le nombre de questionnaires recueillis en France, 5 200 dans les 26 académies, selon la méthode des quotas, a permis d'établir un sondage représentatif comme en 1977, c'est-à-dire de tracer un portrait ressemblant du jeune Français des 3 dernières années de l'enseignement secondaire, la population visée.
Ce sondage auprès des jeunes est donc fiable et beaucoup plus qu'un sondage électoral, soumis à toutes les volte-face de dernière heure et à toutes les passions contraires.
À l'étranger.
La même rigueur de choix était impossible pour les pays étrangers francophones et non francophones. Cependant les envois furent répartis vers des groupes de pays et de langues bien définis d'où parvinrent 1 800 réponses, 900 de pays francophones et autant de pays non francophones.
Sur les 12 pays sollicités de l'Union européenne, 7 répondirent, curieusement les 6 pays fondateurs + le Danemark. Malgré mes efforts, je n'obtins pas de réponse de la Grande-Bretagne, de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce ni de la Suède. En 1977, la Grande-Bretagne et la Suède avaient pourtant fortement participé. Mais la Norvège a en quelque sorte remplacé la Suède.
Parmi les pays où le français est langue maternelle, officielle ou langue d'usage (comme au Maroc), en dehors de la France onze pays sollicités répondirent : La Belgique et la Suisse en Europe (32% des réponses), 4 pays ou provinces en Amérique (35%) : le Québec, l'Ontario (de jeunes francophones), le Nouveau-Brunswick et Haïti; 5 enfin en Afrique (33%) : le Sénégal, le Bénin, le Mali, le Burkina Faso et le Maroc..
Trois autres pays de la francophonie mais non francophones participèrent : La Roumanie, le Liban et le Luxembourg.
Enfin en dehors de la francophonie, 10 pays acceptèrent notre enquête.
Le regroupement des pays non francophones par leur langue maternelle est le suivant :
15% des réponses pour 2 pays de langues romanes : la Roumanie, le Brésil.
34% pour 6 pays de langues germaniques : l'Italie (par des jeunes germanophones), l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège + la Louisiane anglophone (quelques voix) .
39% pour 2 pays de langue arabe : le Liban et le Soudan. (45% avec le Maroc de langue maternelle arabe).
12% pour 3 pays de langue balte, altaïque, indienne : La Lettonie, la Turquie et l'Inde.
Et, ce qui est à retenir, c'est que chaque groupe de pays a des réactions contrastées qui seront à étudier de près.
Un autre regroupement des 26 pays participants donne : 11 d'Europe, 3 d'Orient, 6 d'Amérique et 6 d'Afrique. Quatre continents sont donc représentés.
Sur les 32 pays sollicités hors de France, 25 participèrent, ce qui est inespéré.
Le questionnaire
Le recours à l'essentiel du questionnaire de la première enquête s'imposait pour étudier le changement du comportement des jeunes en un quart de siècle, avant d'aborder les nouveaux problèmes linguistiques et les événements survenus en France même, en Europe et dans le monde, qui agissaient sur la langue française.
Les questions, comme en 1977, eurent donc trait d'abord au français dans la vie des jeunes, parlé ou écrit, leur information, leur façon de parler, de jouer avec la langue, leurs choix de lectures.
Ensuite vinrent des questions sur la vie même de la langue française, l'attitude des jeunes sur son évolution, sur les forces contraires auxquelles elle est soumise en France et à l'étranger, et enfin le rôle encore attribué à la langue maternelle sur l'identité culturelle.
Trente questions furent ainsi posées aux jeunes.
Les réponses furent ensuite ventilées suivant les codes signalétiques habituels : pays, sexe, âge, parents, établissements, classes, orientation.
Les sujets retenus pour cet exposé
Pour un premier survol des résultats, j'ai choisi de brosser à grands traits ce qui touche à des aspects que les uns et les autres considèrent comme essentiels. Le reste viendra à son heure.
- Essentiel selon moi est d'abord le son qui parvient à l'oreille de celui qui entend - même sans comprendre - la langue française : la première sensation, la première émotion peut-être.
Comment les jeunes entendent-ils la langue française ?
-Ensuite, que pensent-ils des événements linguistiques récents qui ont marqué la langue française ? la réforme de l'orthographe, la féminisation ? la question des langues régionales ?
- Que disent-ils de l'abus général des emprunts à l'anglais ? et quelle est leur attitude devant les équivalents qu'on leur propose ?
- Quelle opinion ont-ils de la stratégie des défenseurs de la langue française et de la démission des responsables en France et à l'étranger ?
- Quelle langue souhaitent-ils pour l'Europe ?
- Que pensent-ils de l'exception culturelle votée par les 50 pays de la Francophonie en 1993 au Sommet de l'Île Maurice ?
- Enfin que représente pour eux leur langue maternelle ?
De leurs réponses à ces sujets divers se dégagera une tendance qui nous éclairera sur l'avenir qu'ils souhaitent pour la langue française et sur l'action qu'ils espèrent voir mener par les responsables. Et enfin ce qu'ils souhaiteraient faire eux-mêmes quand l'âge leur viendra. N'oublions pas qu'ils ont pour la plupart de 14 à 17 ans en France, au Québec et au Liban, et 18 ou 19 ans dans certains autres pays surtout non francophones.
La musique de la langue française
Toute langue a une structure particulière, une échelle harmonique qui lui est propre, des accents et des groupes de souffles différents. Et ce qui est musical pour une oreille française ne l'est peut-être pas pour une oreille africaine, balte, germanique, indienne.
Certes on reconnaît sans analyse, sans jugement de valeur ou recherche d'harmonie, une musique slave, espagnole, indienne, africaine, mais la musique française ?
Jean-Sébastien Bach était sensible aux liens qui unissent la langue et la musique françaises. Mallarmé disait en boutade : Pourquoi mettre de la musique sur mes vers ? Je l'ai déjà mise!
Cette question, difficile même pour des adultes, avait été posée aux jeunes, il y a 25 ans, dans la première enquête. L'affaire valait la peine d'être reprise, pour savoir si les jeunes d'aujourd'hui ont les mêmes critères musicaux que ceux d'hier.
Que disaient-ils il y a 25 ans ?
Deux jeunes Français et francophones sur trois reconnaissaient de la musicalité à la langue française mais surtout sous sa forme poétique et littéraire, le troisième ne la trouvant pas musicale du tout ou avouant le silence de son oreille.
À l'inverse, les jeunes non francophones osaient parler à 70% de la musique de la langue française en elle-même, la langue nue, auxquels s'ajoutaient les 10% de ceux qui l'aimaient seulement dans la poésie et la littérature.
Sans doute, au fil des ans, sans généraliser outre mesure, le français parlé dans la rue, dans les cours de récréation, et même dans certaines classes (au grand dam des professeurs) s'est entaché d'un tel laisser-aller, pardon ! de "codes d'appartenance" tels qu'un non-initié pourrait croire avoir atterri dans une des contrées décrites dans les voyages de Gulliver : non seulement les mots semblent étrangers, mais les sons obéissent à des lois phonétiques inhabituelles ou secrètes, oserais-je dire barbares ?
Comment définir alors la musicalité du français dans la "tchatche", elle-même verlanisée en "tcheutcha" dans certains quartiers ? Le "chébran" et le "céfran" semblent alors amusements de maternelles !
Qu'en est-il en l'an 2000 ? Et d'abord, quelle langue parlent-ils ?
Deux jeunes sur trois, parmi les Français et francophones, disent parler tout à fait naturellement de façon négligée alors qu'en 1977 un seul sur trois le reconnaissait.
Or la surprise est assez grande, car leur perception musicale de la langue française n'a pas changé ! Mais ne serait-ce pas la langue elle-même qui se serait adaptée à leurs nouveaux critères musicaux ? Ne soyons pas perfide....
Si deux jeunes Français sur trois la trouvent musicale, un jeune sur trente seulement a changé d'avis. La langue française en tout domaine en fait un peu les frais. Elle reste musicale en poésie et en littérature pour presque la moitié d'entre eux, ce qui est non seulement consolant, mais rassurant. Peut-être joue aussi le retour de la chanson française sur les ondes. Un sur cinq seulement ne la trouve pas musicale et un autre ne sait pas.
Et si les francophones sont du même avis, les jeunes de l'Ontario plébiscitent à 90% la musique de la langue française, un sur deux en tout domaine et les autres en poésie et littérature.
La surprise viendrait plutôt des jeunes non francophones, deux fois plus nombreux qu'en 1977 mais répartis dans 14 pays au lieu de 4.
Or, cette fois, en plus des pays de langue maternelle germanique, trois de langue maternelle arabe et quatre de diverses langues ont donné leur avis. La musicalité propre de leur langue leur fait-elle apprécier différemment la langue française ? La moyenne générale baisse de moitié (de 70% à 35%) par rapport à 1977, mais que représente une moyenne générale ?
Les jeunes d'Allemagne restent, comme en 77, les plus séduits -à 75%- par la langue française elle-même en toute circonstance, auxquels s'ajoutent ceux qui ne sont séduits que par ses formes littéraires, soit 90% au total.
La Roumanie -à 82%-, la Turquie -à 91%-, la Lettonie -à 84%-, l'Inde -à 85%- et le Soudan à 62%- représentant les langues romane, altaïque, balte, asiatique et arabe offrent à la langue française en tout domaine des pourcentages étonnants (+ de 50%), et presque autant pour la poésie et la littérature seules.
Si les autres pays donnent aussi à la langue française les 2/3 de leurs voix, 1/3 parlent de tous les domaines d'expression et 1/3 penchent pour la poésie, la littérature. Seuls le Maroc et le Liban, de langue arabe, concentrent presque toute leur prédilection (60%) sur la langue poétique et littéraire.
Mais de quoi se plaindre ? un tiers se déclare séduit par la langue française elle-même, alors que les jeunes Français et francophones, qui ne s'entendent pas parler, sont deux fois moins nombreux (17%) à être enchantés de leur langue nue. Il leur faut un poète, un écrivain pour céder à son charme.
Voilà donc une approche réconfortante, car elle est explicable par l'extension de l'enquête.
Les difficultés de la langue française
On a tellement dit que l'orthographe française était un tissu d'exceptions que même si les jeunes ne sont pas bons juges de leurs propres écarts - puisqu'on ne dit plus fautes ! - leur demander ce qui les faisait buter le plus pouvait être utile. Et, dans la foulée, savoir ce qu'ils pensent d'une réforme de l'orthographe.
Trouvent-ils la langue française facile, difficile, très difficile sous des angles divers : l'orthographe, le vocabulaire, la syntaxe, la prononciation (pour les non-francophones ?).
À les écouter, francophones et non-francophones trouvent l'orthographe et le vocabulaire difficiles et même très difficiles disent les 2/3 d'entre eux mais la moitié seulement des Canadiens. La syntaxe est aussi jugée très difficile, les Canadiens la trouvant plus difficile que les Français et les Africains.
Les non-francophones trouvent normalement l'orthographe encore moins facile que les francophones et la syntaxe beaucoup plus difficile, de 50 à 90%. Il est vrai que la syntaxe dans l'évolution de la langue est la partie la plus solide, presque intouchable, puisqu'elle est l'ossature de la langue.
On ne peut donc réformer la syntaxe pour la rendre plus facile à assimiler. Mais l'orthographe ? Et, si les jeunes butent, considèrent-ils qu'elle est si indispensable dans les examens, et dans la vie professionnelle ?
Les Français y tiennent à 90%, même s'ils l'écorchent. Tous les autres le disent aussi, un peu moins majoritairement que les Français, et ils fluctuent pour l'importance donnée dans la vie professionnelle. Mais l'abstention augmente. Le vœu secret se heurte à la réalité.
Les non-francophones réagissent de même.
L'orthographe garde donc son importance, sans doute comme celle des autres langues.
Alors, réformer ?
Que pensent donc les jeunes d'une réforme de l'orthographe ?
Trois possibilités leur étaient offertes :
- une réforme radicale du genre "ortograf" phonétique;
- une réforme modérée : suppression de certains accents, de lettres doubles, de pluriels d'exception, d'accords simplifiés : des gratte-ciels, en quelque sorte la réforme de 1990 en France. Des humoristes à l'époque s'en donnèrent à cœur joie, en particulier pour un sèche-cheveu (sans x);
- aucune réforme.
Cette question était la même qu'il y a 25 ans.
À l'époque, les voix se partageaient également à 40% entre une réforme modérée et aucune réforme. La Belgique approuvait davantage (55%) une réforme modérée.
Qu'en est-il en 2001 ?
Le bruit de la réforme proposée en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française et son exploitation par les médias - bien que nos jeunes n'aient eu à l'époque que de 4 à 8 ans - ne s'est pas éteint.
Les jeunes Français n'hésitent plus. Ils sont en majorité contre toute réforme. Seul un sur quatre approuverait une réforme modérée. Les Canadiens repoussent aussi toute réforme, dont ceux de l'Ontario à 70%, comme le Mali. Mais les jeunes de Belgique oscillent, ayant perdu pour la réforme les yeux de Chimène.
Les non-francophones sont aussi pour la stabilité, avec un peu moins de conviction. Mais les jeunes des pays germaniques le disent plus fort que les autres ou se taisent à trois sur quatre comme la Norvège.
Cependant, ne pourraient-ils voir dans une réforme une plus grande facilité d'apprentissage ?
Féminisation
Dans un passé récent, la France n'était pas la seule à hésiter devant la féminisation des fonctions, des titres. Les femmes elles-mêmes n'étaient guère enclines à se faire appeler doctoresse, avocate, même si Claudel avait lancé le mot "écrivaine", et Coco Chanel refuserait sûrement d'être appelée "Grande Couturière".
Le Québec à ce sujet avait pris position - et de façon véhémente - depuis plus de 10 ans; la Suisse et la Belgique ont suivi plus calmement. La France attendit l'année 1998 pour voir imposer par voie gouvernementale la féminisation à son administration, malgré la réserve raisonnée et grammaticale de l'Académie française, qui dota les substantifs d'un genre neutre dont la langue française n'est pas vraiment pourvue.
Question à l'ordre du jour en France et non vraiment résolue dans l'usage. Qu'en pensent d'une part les jeunes Français et d'autre part les francophones attitrés que sont les Belges, les Suisses et les Canadiens français qui ont eu à traiter de cette affaire ?
Si les jeunes Français donnent un léger avantage (de 5% - surtout les filles-) à Madame la Ministre, ils sont totalement opposés à la féminisation par l'e muet du genre "docteure", "professeure", comme les jeunes de Suisse et de Belgique. Cependant une femme vient d'être nommée en France "défenseure" des enfants de sa propre décision. Les jeunes Suisses gardent de préférence Madame le ministre, comme le Nouveau-Brunswick. L'Ontario au contraire accepte, sans grande discussion semble-t-il, la docteure et Madame la ministre. Quant aux très jeunes du Québec, si un sur deux dit Madame la ministre, un sur quatre seulement accepte la "docteure".
Donc, même pour les jeunes des pays francophones de base, les jeux ne sont pas encore faits. Sans doute, l'usage et l'enseignement en décideront-ils. Les pays africains gardent Madame le ministre et rejettent absolument la "docteure".
Les non-francophones, à la limite, ne se sentent guère concernés. Querelle d'école ? pensent-ils peut-être.
Langues régionales
Le problème des langues régionales, abordé dans le questionnaire de l'enquête, n'est pas seulement français. De tout temps, en tout pays, des langues régionales ont disparu et disparaîtront et même des langues universelles comme le latin. Mais elles se sont surtout transformées en donnant naissance à d'autres langues.
Si le latin vulgaire a remplacé le gaulois, il a donné naissance, en France, par la force centrifuge, à tous les parlers de la langue d'oïl, de la langue d'oc, qui ont cédé la place ensuite au français. Mais maintenant tous ces parlers jugulés par l'histoire, les rois, la Révolution sont animés de nouveau d'une force nouvelle telle qu'ils menacent, dit-on, le français, en réclamant en plus du statut de langue culturelle d'abord, publique ensuite, un statut juridique.
Pourquoi avoir inclus cette question des langues régionales dans un questionnaire destiné aux jeunes ? C'est que, pour les 40 pays du Conseil de l'Europe, une Charte européenne des langues régionales l'a mise à l'ordre du jour. Adoptée en 1992 et signée par 17 pays, elle n'a été ratifiée que par 8 pays. La France s'est vu opposer par le Conseil Constitutionnel le deuxième article de la Constitution : "La langue de la République est le français", donc la seule langue autorisée devant les tribunaux.
Cette question, dont on a beaucoup parlé en France, était connue des jeunes Français et de certains Européens. Question, disons politique pour les jeunes Français et européens, question de principe pour les autres pays, qui auront peut-être dans l'avenir à résoudre ce même problème selon leurs langues régionales et leur Constitution.
Combien de langues régionales sont en cause ?
Sur près de 7 000 langues parlées à l'heure actuelle dans le monde, selon l'Institut d'études linguistiques cité par Louis-Jean Calvet, 225 seulement (3%) seraient parlées en Europe (1).
Ce nombre de 225 paraît très nettement sous-évalué si l'on y intègre les langues régionales.
Ainsi, en France, selon le rapport demandé par le gouvernement au Conseil supérieur de la langue française, les langues de France seraient au nombre de 75 : 25 en France et 50 dans les DOM-TOM. Ce nombre est à mettre en rapport avec le nombre de langues européennes minoritaires évalué à 50 pour toute l'Europe par le Bureau européen pour les langues les moins répandues (BELMR) (2).
Les 25 langues régionales ou minoritaires en France se réduiraient à 10 ou 12, selon le sens que l'on donne au mot langue (3).
Si l'on s'en tient à la France, le problème actuel de l'enseignement obligatoire de la langue corse est la pierre d'achoppement du gouvernement dans ses tractations actuelles avec la Corse, problème que suivent avec beaucoup d'attention les Bretons, les Basques, et les autres tenants des langues régionales. Réveil de la guerre des langues ?
Que pensent donc d'abord les jeunes Français d'un statut particulier des langues régionales et surtout d'un statut juridique ?
Ils sont très réservés. Près de la moitié n'accorderaient aucun statut particulier à aucune langue régionale, un sur trois à quelques-unes, un sur cinq à toutes !
Et s'ils voient dans un développement possible la sauvegarde d'un patrimoine, peu le ressentent comme un devoir, et ceux qui refusent un nouveau statut craignent un ghetto ou considèrent le projet comme utopique (44%).
Les francophones sont un peu plus nombreux à admettre un statut particulier pour quelques langues régionales, la Belgique, le Nouveau-Brunswick, mais aussi le Bénin avec ses nombreuses
langues véhiculaires, et Haïti qui pense au créole, mais le Mali rejette en majorité tout statut particulier (50%) l'accordant curieusement le plus à toutes (36%) montrant ainsi deux courants très opposés.
Tous y voient un patrimoine à sauvegarder ou un devoir. Ils ne craignent pas le ghetto. Et qui ne vit pas d'utopie ?
Les non-francophones se distinguent en étant plus libéraux envers quelques langues régionales. Ainsi la Lettonie, l'Inde (76%) où plusieurs langues sont vivantes. Mais les jeunes des pays germaniques se divisent : l'Allemagne et le Luxembourg sont plus libéraux, tandis que les autres, Hollande, Danemark, Norvège rejettent tout statut particulier à plus de 50%.
Si les uns voient là un moyen de sauvegarder un patrimoine, ils craignent la formation de ghettos. Ainsi le disent les jeunes de langue arabe et aussi la Turquie, l'Inde étant la moins inquiète à seulement 6%. Mais beaucoup s'abstiennent : notamment en Norvège et au Liban.
Les mots étrangers
Du premier emprunt à l'anglais au 12e siècle, le mot "bateau" auréolé par Rimbaud dans Le bateau ivre, de "flirt”, de "spleen", de "romantique" au 18e siècle par Jean-Jacques Rousseau, comment en est-on arrivé au 20e siècle en France à adopter un mot affreux par le son et par le sens "crasher"; "se crasher" pour un avion qui s'écrase tout simplement.
Retenons deux nombres : l'un donné par Brunot et Bruneau dans leur Précis de grammaire historique de 1937 : 250 mots anglais retenus en français, et l'autre donné par Josette Rey-Debove dans son Dictionnaire des anglicismes de 1980 : 2 680, c'est à dire 10 fois plus, l'un et l'autre tenant compte des emprunts vieillis.
Depuis 40 ans, depuis le Parlez-vous franglais ? de René Étiemble, le franglais s'est envolé et les digues construites sont constamment détruites. Alain Guillermou fut un des premiers à apporter sa pierre. Commissions, lois, actions de toutes sortes ont fait long feu.
En 2001, la vague de la publicité, de l'Internet a dû faire croître ce nombre au-delà de l'acceptable. Parlerons-nous d'invasion? Disons plutôt que les Français se laissent envahir au lieu de garder leur libre arbitre et repoussent toute création hexagonale.
En revanche, il est bon de rappeler que c'est au Canada, à la biennale de Moncton, que fut annoncée le 26 août 1977 à 18 heures la Charte de la langue française, qui ne luttait pas pour des mots, mais pour la langue elle-même. Certes les enjeux n'étaient pas les mêmes. Et le Québec a mieux réussi que la France en ce domaine et fustige la France de son défaitisme.
Le problème de l'emprunt, de la politique linguistique de la France avait été évoqué en 1977 pour la première enquête. Et des questions presque semblables furent posées en 2000 aux jeunes.
Le résultat est le même : sans ennui particulier, ils disent à 80% que les mots anglais ne les gênent pas. Les autres emploieraient bien des mots de remplacement, mais sans ardeur.
Ils sont désabusés : On ne peut pas lutter disent-ils.
Il est regrettable de constater que les mots anglais gênent moins les Français (55%) et encore moins les Belges (60%) que les Canadiens et surtout les francophones d'Afrique et de Haïti. Mis à l'épreuve, les jeunes Français appliquent leur principe : ils ne sont pas gênés par les mots étrangers.
Presque par provocation, les mots offerts étaient volontairement très présents dans leur vie quotidienne :
- S'ils repoussent "prime time" pour "début de soirée",
- ils écartent" crasher" mollement à 1 sur 2 pour "s'écraser".
- Ils hésitent pour "tie break" en faveur de "jeu décisif", mais ils plébiscitent "casting" contre "distribution", le "web" contre la "toile" et "e-mail" contre "mél" pourtant plus court.
Trois mots français rejetés contre deux adoptés : ce n'est pas un effondrement pour ne pas dire un "crash".
Les francophones ont des réactions à peu près semblables mais plus accusées pour le rejet ou l'adoption; l'Ontario et le Québec acceptent beaucoup mieux "jeu décisif", l'Ontario et le Nouveau-Brunswick "distribution".
Les non-francophones, bizarrement, donnent plus de voix à "toile" et "mél" sans enthousiasme cependant.
Si l'on tente de regrouper les mots, la déception est grande : 8% seulement des jeunes Français retiennent la moitié des mots français proposés. En 1977, les jeunes Français étaient près de la moitié (40%) à retenir les mots français !
Il faut bien y voir le matraquage des médias, des jeux vidéo, de la publicité.
Les mots de la francophonie
Les jeunes ne repoussant quà demi les mots anglais, une incursion dans la création lexicale de la francophonie tentait de savoir comment ils réagissaient devant des mots nouveaux, des variantes de mots de France, ou même des équivalents aux mots étrangers employés en France. Les acceptaient-ils ? ou les rejetaient-ils ?
Quatre mots de quatre pays francophones leur furent proposés :
- l'"essencerie", du Sénégal, pour la "station-service" qui n'est qu'un anglicisme.
- la "dodine", d'Haïti, ce mot charmant qui désigne le "rocking-chair" si français !
- le "courriel", du Québec, un mot ailé pour remplacer "e-mail", et
- l'"aubette" belge, mot léger du reste de tradition française depuis le 15e siècle, et recommandé officiellement en 1972 pour désigner l'"abribus" français.
L'accueil des mots francophones est un peu meilleur chez les jeunes Français que celui des mots français qu'on vient d'étudier, mais l'ensemble ne dépasse pas une voix sur huit; trois sur quatre accepteraient "dodine", et "courriel" passe beaucoup mieux (26%) que "mél" (7%).
Les francophones sont plus ouverts, surtout bien sûr les jeunes du pays d'où vient le mot proposé. Mais les non-francophones ne les acceptent pas mieux que les Français.
En 1977, la même hésitation s'était manifestée. Nous disions à l'époque que les jeunes sonnaient le branle-bas devant toute voile, même blanche. Il en est de même en 2001, hélas !
Langue anglaise en France et à l'étranger
Le courant entraîne l'administration, les entreprises, les organisateurs de congrès en France à utiliser l'anglais. De même, les chercheurs publient leurs travaux en anglais (témoin l'Institut Pasteur), les cinéastes tournent en anglais, des hommes politiques s'expriment en anglais à l'étranger.
- Ont-ils raison de le faire pour s'assurer plus d'audience ?
- Est-ce cependant regrettable ?
- Devraient-ils utiliser le français ?
Mais une résistance se fait jour dans les corps constitués, à l'Académie, à l'Assemblée nationale, dans les Associations.
Cette action est-elle salutaire et suffisante ? N'est-elle pas dépassée ?
Que pensent les jeunes à la fois de la démission des Français responsables et de ceux qui résistent ?
La recherche d'audience assurée par l'anglais ne paraît nécessaire quà un jeune Français sur cinq. S'ils pensent que le regret d'agir ainsi mène à l'emploi du français, ils sont deux sur trois à l'espérer. De là à le conseiller ?
Mais ils n'ont guère d'illusions. La résistance a-t-elle du poids ? Trois sur dix ne savent pas, quatre pensent que la résistance est inutile et les trois derniers veulent croire qu'elle est salutaire.
Il y a 25 ans, plus de la moitié ne prenaient pas position. En 2001, un tiers seulement. Ils sont plus informés qu'en 1977, mais ne sont pas plus enclins à lutter. Le bénéfice est nul.
Francophones et non-francophones ont des attitudes un peu différentes. Ainsi les jeunes du Québec retiennent surtout l'audience accrue si l'on parle anglais, comme la Suisse et surtout le Mali ( à 70%), mais l'Ontario de très loin pense que c'est regrettable et que les responsables devraient parler français (82%). En sont persuadés aussi les autres pays africains francophones.
Quant aux non-francophones, les jeunes germaniques ne croient pas du tout à l'utilité de la résistance et ne retiennent que la nécessité de l'audience.
En 25 ans donc la situation n'a guère évolué. Le défaitisme, s'il n'est pas général, s'installe. Ils regrettent, mais que faire ?
Cause entendue ?
Alors quelle langue européenne ?
Langue européenne
Ne pourrait-on s'attendre à voir l'anglais plébiscité comme langue de l'Europe après ces défections presque générales, et non seulement à l'Union européenne ? (Une fois de plus, la France a reculé en signant le protocole de Londres instituant l'anglais seule langue des brevets). La lutte serait inutile. C'est ainsi.
En 1977, trois jeunes sur dix seulement auraient été déçus si l'anglais devenait la langue de l'Europe, sauf les Canadiens, à un contre deux.
Mais près de 70% des jeunes, après tout, trouvaient cela normal, avec indifférence et parfois avec satisfaction (17%).
En 2001, le ton a changé. L'Europe a évolué, s'est agrandie. L'Union européenne ne compte plus neuf pays mais quinze, bientôt vingt-sept. Que faire ? L'anglais langue mondiale ?
La surprise est grande: Français et francophones ne sont plus qu'un sur dix au lieu de sept sur dix à envisager l'anglais langue européenne; les Canadiens et les Africains un sur vingt.
Ils préfèrent de loin une langue officielle associée au français, les Français n'osant pas trop le dire (35%) mais les Canadiens le disent haut, et les Africains (50%).
Les non-francophones se partagent. Toujours d'un côté les jeunes de langue germanique qui penchent un peu pour l'anglais, mais surtout pour le choix de plusieurs langues, plurilinguisme où
figurerait sans doute l'allemand. C'est ce que pensent l'Allemagne et le Luxembourg, mais c'est le deuxième choix aussi de la France, de la Belgique et de la Roumanie.
Le clan des pays alliés pour de nombreuses questions, la Turquie, le Liban, le Soudan et l'Inde, adopte ce même choix francophone d'une langue officielle et du français.
Le multilinguisme fait une percée avec ses avantages et ses inconvénients, la dernière politique lancée à la fois par la Francophonie et plusieurs partenaires de l'Union européenne.
Écho chez les jeunes des discussions des adultes ?
Prise de conscience personnelle ?
Danger du monolinguisme ?
Contentons-nous de leur réponse : 6 300 jeunes sur 7 000 ne veulent pas d'une seule langue qui serait l'anglais.
L'exception culturelle
Combien de jeunes sont informés des enjeux de l'exception culturelle, votée par les 50 pays de la Francophonie en 1993 au Sommet de l'Île Maurice ? Ces questions ne font pas partie de leurs programmes. Et ce qui fait exception peut a priori les faire sourciller.
C'est pourquoi l'exception culturelle de la Francophonie leur a été sommairement expliquée. Films, livres, musique bénéficient d'un traitement de faveur et ne sont pas soumis à toutes les lois du marché instaurées par l'OMC. Et il était logique de leur dire que les États-Unis qui militent pour sa suppression ont organisé une même exception dans l'ALENA, accord de libre échange des pays de l'Amérique du Nord, regroupant les États-Unis, le Canada et le Mexique.
Comment ont-ils réagi ? La question posée ne leur laissait guère le temps de réfléchir. Aussi quatre sur dix ne répondirent pas. Cependant, spontanément, cinq jeunes Français sur dix approuvent l'exception culturelle, un sur dix la repoussant.
Même réaction chez les francophones car l'affaire les concerne tous. La Suisse et le Mali - pour une fois - approuvent très fortement (80%). Mais le silence s'accroît principalement chez les très jeunes Québécois où les 2/3 s'abstiennent.
En dehors de la Francophonie, l'exception culturelle laisse perplexe et l'abstention est reine chez les jeunes de langues germaniques, jusqu'à 84% au Danemark.
Les autres fluctuent, mais jamais les lois du marché ne menacent sauf de peu au Maroc (30%).
Et toujours très en tête pour défendre l'exception culturelle, la Turquie et le Soudan (65%).
Donc est-ce une réaction dictée, dans la ligne de la méfiance contre la mondialisation à outrance, quels que soient les pays, les intérêts, les particularités ? On ne peut le dire.
Le choix du français
Cette question ne s'adressant qu'aux non-francophones, nous n'en dirons ici que quelques mots.
Pourquoi apprennent-ils le français ? Par obligation, par tradition familiale, sur le conseil de professeurs ou par choix personnel?
Si la plupart répondent d'abord “par obligation” , le choix personnel domine une fois sur deux et à près de 100% dans les pays germaniques. Si l'utilitaire vient en tête, la culture, sa richesse emportent beaucoup d'adhésions. Et parfois une raison personnelle donne un florilège amusant :
Ça m'amuse, c'est bon, c'est cool, c'est musical, c'est une langue rare, une langue suave, j'adore la langue française, c'est une langue romantique....
et aussi des raisons utilitaires :
Pour pouvoir changer d'école, parce que j'habite en France, en Belgique, parce qu'il n'y a pas de cours d'espagnol dans mon école, pour pouvoir dire que je parle français.... , et enfin parce que je suis esclave de mon environnement !
Grandeur et décadence !
Le rôle de la langue maternelle
Comme en 1977, les jeunes devant cette question difficile ne se sont pas dérobés.
La langue maternelle joue-t-elle le rôle d'un miroir de la personnalité et plus encore d'une forge de l'action ? Les jeunes avaient à essayer de répondre selon leur propre réflexion, sinon leur propre expérience.
Bien que les jeunes aient dit qu'agir pour conserver à la langue sa primauté face aux attaques diverses est inutile, dépassé, même si c'est regrettable, une certitude commence à se faire jour, mais, la langue maternelle étant différente suivant les jeunes, il faut séparer leurs réponses.
Les jeunes Français affirment à deux sur trois que la langue française reflète leur propre personnalité et ils en sont un peu plus convaincus qu'il y a 25 ans. Le troisième pense que c'est faux ou se tait.
Ils sont moins persuadés que la langue agit sur ce qu'ils sont, les façonne en jouant sur toute entreprise, ou sur toute production, culturelle ou non. De 60% à le penser en 1977, ils ne sont plus que 40%.
Et cependant, malgré le rôle limité qu'ils accordent au français, leur langue maternelle, les jeunes Français considèrent, puisqu'elle les reflète, qu'elle leur offre une chance à saisir. Plus de la moitié le pensent, et les résultats, là, sont inversés par rapport à il y a 25 ans.
Un seul sur cinq pense que c'est une question dépassée.
Et les autres jeunes interrogés ?
Les francophones ? Là encore, les avis sont à justifier.
La Belgique, le Canada d'une part, les Africains et Haïtiens d'autre part.
Les jeunes de Belgique et du Canada épousent les opinions des Français. Oui, la langue française les reflète. Les Canadiens en sont un peu moins sûrs, surtout les jeunes Québécois. Les forge-t-elle ? Comme les Français, ils le disent sans certitude, sauf en Ontario ( à 60%). Un jeune Québécois sur deux se tait.
Tout compte fait, la langue française est-elle une chance à leur avis ? L'Ontario francophone exulte (80%), et aussi le Nouveau-Brunswick (58%), mais le Québec ne sait pas. N'y a-t-il pas chez ces plus jeunes une sorte de perplexité dans un pays dit bilingue, où ils entendent tellement parler du rôle de la langue et où ils sont soumis dès leur plus jeune âge à une double culture ?
Les francophones africains et haïtiens et les non-francophones parlaient de leur propre langue maternelle : leurs réactions seront étudiées plus tard.
Aujourd'hui je retiendrai seulement qu'ils clament leur chance d'avoir leur propre langue maternelle plus que les Français, Belges, Canadiens, mais moins que les jeunes de l'Ontario, champions en ce domaine.
Les non-francophones de langue germanique qui, il y a 25 ans parlaient à 60% de leur chance, ne sont plus qu'un tiers à le dire, et le Soudan est le seul des pays arabes à clamer (66%) sa chance d'avoir l'arabe comme langue maternelle.
Retenons maintenant que les jeunes Français ont rejoint les francophones de souche pour s'apercevoir de leur chance.
Conscience du danger qui menace la langue française ? Comment le dire ?
Conclusion
Au moment d'arrêter ce survol hétérogène des 7 000 confidences que les jeunes ont bien voulu nous faire, l'émotion est reine.
Que doit-on retenir ?
- est-ce leur fidélité à l'orthographe telle qu'ils la connaissent, même mal, et leur refus de réformer?
- est-ce leur réticence devant la féminisation des titres et fonctions, l'attribution d'un statut juridique aux langues régionales ?
Ces points liés à l'évolution de la langue française ne sont pas essentiels, même si on peut en tenir compte.
- sans doute est-il plus important de prendre en compte pour réagir leur résignation devant l'invasion des mots anglais dans la langue française, dont ils ne sont pas responsables.
- leur regret de voir les adultes démissionner en France et à l'étranger devant la recherche d'une audience, même s'ils la comprennent.
- mais surtout, ce que nous devons retenir, et ce dont ils nous font à neuf contre un un devoir, c'est de ne pas accepter une seule langue, l'anglais, mais une langue officielle et le français, - ce qui met le français en situation d'excellence - d'abord dans l'Union européenne, puis sur la scène mondiale, puisque même les non-francophones le disent, et que le plurilinguisme offre aussi une autre solution.
- retenir également qu'ils défendent, comme les 50 pays de la francophonie, l'exception culturelle contre les lois du marché : défendre les films, les livres, la musique des pays francophones.
Et enfin, je retiendrai ce que les jeunes francophones disent de leur langue maternelle :
- Oui, la langue française reflète leur personnalité même si elle n'est pas le démiurge de l'action et de la production en tout domaine,
- Oui, le français représente pour eux, disent-ils en majorité, une chance, et ce n'est nullement une question dépassée. Seul un sur huit désirerait une autre langue maternelle.
Nous savons, nous aussi, que la langue française est pour nous une chance, comme le pensent de grands écrivains étrangers qui choisissent notre langue, chaque année, par prédilection pure et non par attrait financier.
Mais les jeunes, ai-je dit au départ, seront héritiers et stratèges. Grâce à eux, peut-être, les Français de demain, aidés par les francophones autour du monde, retrouveront leur confiance dans la langue française et leur combativité pour la défendre.
N'est-ce pas, tout compte fait, ce qui doit ressortir de cette plongée dans l'univers des jeunes, à laquelle ils se sont prêtés non seulement avec conscience, mais avec intérêt, et peut-être avec le secret espoir qu'on les entende ?
(1) OIF. 3e Conférence ministérielle sur la culture, tome 1 p.14.
(2) Courrier international n° 486, 24 fév.- 1er mars 2000, pp. 40-42
(3) OIF. 3e Conférence ministérielle sur la culture, tome 1 p.14.