Débat 1 sur l'enseignement
Mohamed Taïfi, président de séance
Avant de laisser la parole à la salle, je vais, avec votre permission émettre quelques modestes réflexions sur la question. Le sous-titre de cette séance : enseignement et apprentissage du français langue seconde. Partager une langue, devenir partenaire de la francophonie est extrêmement intéressant et prometteur. À partir d'un certain nombre d'expériences avec l'enseignement, l'apprentissage du français langue seconde, partager une langue, est un très bon objectif. Quand on parle de devenir partenaire de la francophonie, tout le monde pense à l'enseignement de la langue car la langue française et la francophonie passent inévitablement par l'enseignement, par l'école. Il faut que toutes les organisations non-gouvernementales, comme tous les gouvernements, s'attellent, s'attachent à assurer un meilleur enseignement de la langue française un peu partout. L'expression la plus simple pour trouver une solution à ce problème, c'est d'alphabétiser tous les peuples qui ont le français en partage ! Pour multiplier le nombre de francophones, multiplions le nombre d'élèves alphabétisés ! Cela me paraît absolument logique. Je n'entre pas dans les détails de la technologie dont on vient de parler.
Mais, ces dernières années, comme je suis en même temps membre du Conseil d'administration de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), et président de l'AFLSH, l'Association des facultés de lettres et sciences humaines des universités francophones, nous avons organisé un bon nombre de colloques qui traitent de l'enseignement de la langue française; comme d'ailleurs au sein de la Biennale de la langue française. Mais ces associations agissent de manière séparée. L'une n'est pas au courant de ce que fait l'autre. Ainsi, quand je viens dans une assemblée comme la prestigieuse assemblée qui est la nôtre, je n'entends pas parler de l'AUF. Et quand je vais aux assemblées de l'AUF, je n'entends pas parler de la Biennale. J'aimerais qu'il y ait une coordination entre toutes ces instances de la Francophonie, qui défendent un seul objectif, à savoir : la diffusion et le rayonnement de la langue française.
Je reviens au sous-titre. Devenir partenaire de la Francophonie effraie, ces derniers temps, les pays du Sud car cela veut dire qu'ils vont payer leur quote-part, et que nous allons défendre tous ensemble, sur un pied d'égalité, la langue française. Or, les pays du Sud n'ont pas encore atteint un degré de développement suffisant pour être partenaires de la Francophonie. C'est justement le problème qui est posé pour l'instant dans les instances francophones dont je viens de vous parler.
Éric Joël Édouard Békalé-Étoughet, coprésident de séance
Merci, monsieur le président, de cette ouverture tout à fait à propos. Je souhaite également féliciter les intervenants pour leurs communications fort brillantes, très illustrées et fortes de statistiques et de repères. Elles m'ont beaucoup appris.
Roland Rainville, canadien
À M. Pierre Bélanger je veux dire mille fois bravo pour ce projet Universia.ca que je trouve très encourageant. Mme Rehorick: connaissez-vous la proportion des non-francophones de diverses provinces qui s'inscrivent au programme dont vous nous avez parlé ? En particulier, combien d'Ontariens non-francophones se sont inscrits dans les programmes l'an dernier ?
Sally Rehorick
Les données que j'avais dans la présentation sont à l'échelon national, soit 6% en immersion, plus au Nouveau-Brunswick et au Québec, mais les données que vous m'avez demandées existent vraiment. André Obadia n'aurait-il pas ces statistiques sous la main ?
André Obadia
Oui, je les remettrai à Roland Rainville..
Michel Tétu
J'ai beaucoup appris cet après-midi, et j'aurais quelques commentaires et questions. Je vais m'adresser à Micheline Sommant qui nous a expliqué avec beaucoup de compétence ce que représentaient les dictionnaires Larousse et leurs adaptations. Un commentaire, d'abord, dans les adaptations; on a entendu parler du Larousse des jeunes, qui correspond, si j'ai bien compris, au Larousse des maxi-débutants en France; on a parlé de débutants et de maxi-débutants. J'avoue que je préfère nettement jeunes à maxi-débutants, qui me semble relever d'un certain dialecte parisien contemporain plutôt que de la langue française moderne. Ma question est celle-ci. Vous avez employé, à plusieurs reprises, le mot néologisme de sens , et j'ai noté les expressions que vous avez mentionnées. Par exemple, bleuet. Hors, bleuet, voilà trois siècles qu'on sait au Canada ce que représentent les bleuets : ce ne sont pas des fleurs, ce sont des fruits. Vous avez mentionné ensuite plusieurs autres exemples. J'ai noté le mot quétaine. Il y a un siècle, un certain MacQuettin, commerçant anglo-saxon dans les Cantons de l'Est, ramassait toutes sortes de collections d'art primitif et populaire de plus ou moins bon goût, dont on a fait quétaine, sur un modèle typiquement québécois comme à partir de meeting, on a fait la mitaine. On désigne depuis un siècle une petite église protestante sous le nom de mitaine en francisant le mot meeting. Vous avez ensuite mentionné passer un sapin. Pour qui sait que le pin représente le bois noble, si dans un lot de pin on met un sapin, on détruit la qualité du lot. Depuis trois siècles on le sait au Canada. Et passer un sapin veut dire quelque chose d'important. Il me semble que ce ne sont pas des néologismes mais des québécismes ou des canadianismes qui remontent à très longtemps. Peut-être n'ai-je pas très bien compris ou comme vous avez résumé...ai-je été, dans ma pensée, un peu trop lapidaire.
Micheline Sommant
Non. Je pense, évidemment, que ce sont des québécismes ou des canadianismes, mais pour des Français... tels que nous sommes et par rapport à notre version -- je me plaçais de mon point de vue, ils apparaissent comme des néologismes de sens. Mais, pour les Québécois / Canadiens, je suis entièrement d'accord avec votre vous. Mais nous Français en France, nous avons considéré que ces mots étaient des néologismes. Sinon ils seraient déjà dans la version française.
Michel Tétu
Oui, mais nous sommes dans un pays francophone.
Micheline Sommant
Certains mots sont dans les versions françaises, oui, mais pas tous. Ceux-là sont vraiment plus spécifiques. La poutine est rentrée dans le Larousse 2002. Ce mot est considéré comme un québécisme mais, jusqu'à présent, il n'existait pas. Beaucoup d'autres sont pour vous très courants mais pour nous ils sont des néologismes.
Marius Dakpogan.
J'ai entendu parler de l'adaptation des dictionnaires pédagogiques pour le Maghreb et pour le Québec. Sauf omission ou inattention de ma part, je n'ai pas entendu parler d'une adaptation éventuelle pour l'Afrique noire. Je ne sais pas s'il y a un projet en cours. Et je voudrais également dire que, dans nos pays, nous avons l'habitude, pour animer la vie culturelle autour de l'enseignement de la langue, d'organiser des concours pour lesquels nous distribuons des prix aux jeunes gens. Le succès serait d'autant plus grand si nous avions des dictionnaires à distribuer.
Micheline Sommant
Pour les pays africains, nous avons des versions françaises de dictionnaires plutôt généralistes qui sont distribuées en Afrique. Il y a actuellement un projet qui n'a pas encore abouti de faire un dictionnaire pour l'Afrique sub-saharienne avec l'aide de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en France; mais pour faire aboutir un projet qui couvre à peu près onze pays, ce n'est pas une tâche simple, surtout quand on est à Paris. Je ne vous donnerai pas de date possible de sortie de ce dictionnaire, mais ce projet a effectivement de fortes de chances d'être publié dans les deux ou trois ans. Et, comme il y a onze pays, onze personnes représentantes de vos pays - des conseillers pédagogiques, notamment - viendront nous aider à partir d'une trame, comme je l'ai dit, qui est une trame française, un dictionnaire que nous reprenons. Je pense que ce sera le Supermajor, qui est un très bon dictionnaire, notamment pour les définitions, et ensuite nous l'adapterons avec les conseillers des onze pays de l'Afrique sub-saharienne.
Quand aux dictionnaires, je vous promets d'en parler à mon retour. Vous me parlerez de votre concours, ce que vous voulez faire, quels sont les élèves à récompenser, leur tranche d'âge et puis pourquoi ne pas organiser un concours africain de la langue française ? Il y a beaucoup de choses à faire encore.
Marius Dakpogan
Pivot en Afrique !
Micheline Sommant
Pivot en Afrique ? Oui, s'il ne fait pas trop chaud, je suis persuadée qu'il ira. Cela se fait déjà, par le biais des Dicos d'or, dont la mondialisation, je dirais un peu francophone, a été reprise ici au Canada. Elle avait eu lieu en France et en 1992 à l'ONU avec 108 pays. Ensuite, nous avons nous-mêmes un peu abandonné, mais le Québec a fort heureusement gardé cette option mondiale et la défend très bien, puisqu'il y a toujours cette Dictée des Amériques, dont le succès est très fort dans le monde francophone; mais l'Hexagone n'avait pas suffisamment de moyens financiers pour continuer cette mondialisation.
Je rêve d'un Mondial de la langue française. Je vous le dis, on a un Mondial de foot, et je rêve vraiment d'un Mondial de la langue française. J'ai proposé déjà plusieurs fois ce projet, mais pour trouver des partenaires d'abord des partenaires médiatiques c'est très difficile, et pour trouver ensuite des moyens financiers c'est tout aussi difficile. C'était beaucoup plus facile il y a quinze ans quand j'ai monté les Championnats d'orthographe qui sont devenus les Dicos d'or en France. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à obtenir les crédits que l'on demande pour la culture ou pour la langue française. On préfère, bien sûr, donner de l'argent pour autre chose.
Jeanne Ogée
Vous me pardonnerez de dire, si j'en reviens aux dictionnaires francophones, que Hachette a publié le Dictionnaire universel francophone où l'on trouve aussi bien la dodine d'Haïti que la berceuse du Québec. Et ce dictionnaire est une source inépuisable. Sans doute il n'est pas fait pour les seuls enfants. Ce n'est pas un dictionnaire pédagogique. Larousse ne pourrait-il pas concevoir un dictionnaire universel francophone pour les enfants ? Larousse le prévoit-il ?
Micheline Sommant
Non. De toute façon, le secret professionnel m'empêche de dire tous les projets de Larousse. Mais, pour ce genre d'adaptations spécifiques, nous avons affaire à des enfants. On préfère donc ne privilégier que le pays -- ou les pays -- quand c'est le Maghreb, par exemple, qui ont des valeurs communes. On préfère ne privilégier que certains pays dans notre version. Pourquoi introduire des belgicismes pour le Maghreb, des québécismes pour Haïti ou ailleurs ? C'est très bien pour des adultes mais des enfants n'ont peut-être pas besoin de s'encombrer la tête de beaucoup de mots qu'ils n'utilisent pas fréquemment dans leur propre pays.
Je pense que la question du dictionnaire est vraiment très importante parce qu'en définitive le dictionnaire est le véritable support de la langue. Et vous l'avez si bien dit lors de votre communication.
S'agissant de l'Afrique, je ressens une gêne parce qu'il y a cette forte tendance à globaliser l'Afrique qui, en réalité, est une véritable mosaïque de cultures. Lorsque vous parliez du dictionnaire du parler français, et finalement du Québec, je me suis dit que chez-nous aussi il y de nombreux parlers français, qu'on soit à Dakar, Abidjan, à Libreville ou à Brazzaville. Et, lorsque nous nous situons dans un tel cadre celui de la francophonie -- il est important d'avoir un regard général sur le monde francophone. Et Dieu sait que l'Afrique constitue - je pense qu'il ne faut pas l'oublier ou en douter - le poumon de la francophonie. J'en suis convaincu. Ici, vous voyez, je m'exprime en français. Sachez qu'en Afrique, un problème a été soulevé, celui de l'alphabétisation qui tend à devenir marginal, dans certains États. Et cela par rapport, souvent, aux personnes âgées qui n'ont pas très tôt connu l'école ou qui sont fortement restées ancrées dans leurs traditions ou leur environnement traditionnel notamment le milieu rural. Mais aujourd'hui, dans la majorité des pays d'Afrique, le français est quasiment devenu une langue maternelle parce qu'on parle la langue française dès la naissance. Nous avons aussi certainement d'autres langues qui sont des langues nationales, mais les dernières générations, nées après les années 1980, possèdent quasiment de manière intégrale la langue française. C'est important de le souligner, et avec elle, évidemment, les apports du terroir. Je vous sollicite, en tant qu'experte et rédactrice des différents dictionnaires que vous nous avez présentés, d'avoir un regard singulier sur l'Afrique. Pour que l'Afrique puise dans cette diversité, je suis convaincu qu'il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là pour notre enrichissement à tous au sein de la francophonie. Merci.
Yvette Le Gal d'Ottawa
Bonjour, j'aimerais d'abord féliciter Radio-Canada pour leur projet extrêmement “emballant” de mettre les collections patrimoniales à la disposition des Canadiens. Merci. J'ai aussi un commentaire pour Mme Micheline Sommant. J'ai été très étonnée d'apprendre qu'il y avait des adaptations de dictionnaires. Dès lors, je vais avoir des problèmes avec nos cousins Bretons: lorsqu'ils viennent au Canada, nous avons souvent des discussions linguistiques, sur des mots, et le dictionnaire est toujours une source importante. Nous utilisons surtout Le Robert, mais peu importe. Si quelqu'un dit maringouin, on peut très aisément prouver que c'est le moustique du Canada. Mais, si nous savons dès lors qu'il y a des dictionnaires adaptés au Canada, nous n'avons plus la preuve que c'est un mot qui est accepté en France. D'où ma question : Y a-t-il des possibilités qu'avec tous ces dictionnaires adaptés il n'y ait plus un partage de la langue française, mais une séparation, une scission dans la langue française. Donc, une dévalorisation d'un pays à l'autre ?
Micheline Sommant
Oui, cette question est très importante, et je dirais originale, parce qu'on n'y a pas trop pensé. Pour nous, l'intérêt, quand on fait des dictionnaires pour enfants, c'est qu'ils apprennent la langue française. On nous dit, c'est le lexique de la France, c'est la nomenclature française; mais on est dans un autre pays, il y a d'autres réalités, d'autres coutumes, pourquoi n'avez-vous pas mis tel et tel mot ? Il va de soi que si on pouvait vendre nos livres tels quels, on perdrait beaucoup moins d'argent. On n'aurait pas besoin d'en faire des adaptations, des recompositions, de nouveaux dessins, de nouvelles planches, toute la série éditoriale de travaux que l'on doit faire sur un ouvrage français. En fait, c'est parce que cette adaptation est demandée par le pays et qu'elle correspond en général à un système éducatif particulier -- celui du Québec en l'occurrence -- puisque j'ai plutôt développé ce sujet-là tout à l'heure. Mettre tous les mots, d'abord la base française un peu universelle entre tous les pays francophones, plus des mots qui sont spécifiques à votre pays et que nous-mêmes nous considérons un peu comme des néologismes (comme le disait tout à l'heure Michel Tétu), nous le faisons parce qu'on nous l'a demandé. Si on ne met que le lexique français, il va vous manquer des mots essentiels, ou en tout cas vos enfants manqueront des mots essentiels dont ils auront besoin dans leur vie de tous les jours au Québec. C'est le serpent qui se mord la queue. Ou vous achetez une version française -- vous pouvez en avoir une -- ou vous achetez la version adaptée pour votre pays parce que vous avez besoin d'utiliser tous les jours des mots qui appartiennent à votre propre lexique.
Yvette Le Gal
Dans les dictionnaires de notre pays, notre vocabulaire s'y trouve. Peut-être nous faut-il plutôt un dictionnaire universel pour qu'on puisse continuer à se comprendre.