Débat CANADA AMERIQUE 1

 

Roland Rainville, Canada

M. Dubé, vous nous avez parlé de la situation du français qui se détériore dans les provinces du centre du Canada, dans les Prairies. Est-il vrai que, depuis plusieurs années, beaucoup de francophones quittent les provinces du Manitoba, de Saskatchewan et peut-être d'Alberta pour aller s'établir dans la région de Vancouver ou ailleurs en Colombie-Britannique, de sorte qu'il y aurait aujourd'hui plus de deux cent mille francophones en Colombie-Britannique ?

 

Paul Dubé, Canada

Je ne sais pas si ces chiffres sont exacts, mais je sais que beaucoup de gens des Prairies Manitoba, Saskatchewan et moins de l'Alberta vont s'établir à Vancouver, mais ce sont surtout des Québécois.

 

Raymond Besson, France

J'ai été particulièrement ému par le propos de Mme Spencer. M. Alain Landry peut-il compléter le bilan que vient de faire Mme Spencer des instances de la Francophonie par une information sur ce qui se passe au Haut Conseil de la Francophonie ?

 

Alain Landry, Canada

Très brièvement, notre président, qui est également le président de la République française, a proposé ou proposera, en octobre 2002 au Sommet de Beyrouth, que le Haut Conseil de la Francophonie devienne un comité consultatif auprès du secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie. Il faudra attendre Beyrouth pour savoir si Jean-Louis Roy et moi siégerons à un Haut Conseil, ou serons appelés à être membres de ce comité, ou serons invités à faire valoir nos droits à la retraite. (Rires)

 

Marius Dakpogan, Bénin

La communication que nous venons d'entendre est une réponse aux différentes appréhensions que nous avions depuis longtemps. Si ceux d'entre nous même en Afrique qui soutiennent la francophonie à bout de bras laissent tomber cette francophonie, elle reculera substantiellement. La province de l'Ontario a-t-elle des relations de partenariat avec des pays africains ? Des personnes seraient-elles intéressées par des partenariats avec des pays africains, notamment avec le Bénin, pour une formation initiale des enseignants de français, formation qui pourrait déboucher sur un diplôme de CAPES, un partenariat permettant au Bénin qui ne forme plus de professeurs de français d'avoir cette formation ?

 

Gratien Allaire, Canada

Je ne suis pas en mesure de vous citer les partenariats entre l'Ontario français et les pays africains. Je sais que les universités, celle d'Ottawa en particulier, ont des relations avec les pays africains et non seulement au niveau de l'enseignement mais également au niveau de l'administration et de la mise en place d'infrastructures et d'équipements. Pour la formation et l’enseignement, il y a quelques années, une initiative était en cours à partir du Collège Boréal et touchait précisément à la formation à l'enseignement pour le Bénin en particulier. Je ne sais pas exactement où en est ce projet.

 

Jeanne Ogée à M. Landry.

Si le Haut Conseil change, je ne veux pas dire de personnel, quel sera son but ? Avez-vous connaissances de changements de ce point de vue ou non ?

 

Alain Landry

Non. Je pense en toute modestie, et pour appuyer Mme Spencer, que cela risque de créer encore un autre organisme bureaucratique au sein de la francophonie internationale.

 

Jeanne Ogée

Je lisais dans la Gazette que l'ONU prévoit pour 2050, un milliard deux cents millions de francophones. À l'heure actuelle, elle les évalue à six cents millions de francophones, c'est déjà énorme, je suppose qu'elle prend en compte l'ensemble des pays africains. Un milliard. Je ne sais pas du tout ce qui se passerait à ce moment-là aux États-Unis, mais la Gazette situe une augmentation de 93% par rapport à 2050 en Afrique. Le salut de la langue française, on le dit depuis longtemps serait en Afrique. En France, on nous dit arrogants mais je pense que c'est d'humilité que nous avons besoin. Nous devons aider les Africains pour qu'ils ne renoncent pas au français en se disant que l'anglais est évidemment plus utile. Je rappelle que ce sont les jeunes qui dans l'avenir vont être les stratèges de la défense du français. Or ce ne sont pas les jeunes qui commandent et j'espère que le gouvernement français prendra leur avis pour une leçon. Il y a vingt-cinq ans, ils étaient 70% à penser, à souhaiter même, que l'anglais soit la langue mondiale unique. Maintenant, il n'y en a plus qu'un sur dix qui voudrait de l'anglais comme langue unique, langue mondiale, dans toutes les conventions et les commissions, etc. Un sur dix veut encore l'anglais, mais 90% veulent le français plus une langue officielle, qui serait l'allemand, l'espagnol, le portugais, etc., ou alors deux ou trois langues le multilinguisme. Les jeunes auront-ils voix au chapitre ?, c'est ce que je me demande et c'est ce que j'espère.

 

Alain Landry

Il faut faire très attention aux données et aux chiffres : le Canada a vingt-neuf millions d'habitants et fait partie de la Francophonie, mais est-ce dire qu'il y a vingt-neuf millions de francophones ? Non. Il faut être prudent lorsqu'on parle d'un milliard deux cents millions de francophones... Je ne suis pas preneur. Il faut être réaliste, des enquêtes ont été faites, notamment par le Haut Conseil de la Francophonie, sur le nombre de parlants français langue maternelle ou autre dans le monde: on arrivait à peine à cent trente millions.

 

Intervention dans la salle

Si l'on compte en effet la population des pays membres de l'Organisation internationale de la Francophonie, par exemple au Vietnam où 2% de la population parlent français, toute la population est comprise dans le nombre de francophones, même chose en Égypte ou ailleurs. Ces chiffres ne sont pas du tout révélateurs du véritable nombre de locuteurs.

 

Alain Clavet, Bureau du Commissariat aux langues officielles du Canada.

Les constats de Mme Spencer semblent partagés si on en juge par les applaudissements nourris qu'a suscités sa présentation. Ma question est simple et courte : Comment pouvons-nous donner suite, de façon très concrète à ses constats et à son cri du cœur que nous partageons. Je crois que nous de la Biennale avons une responsabilité particulière pour nourrir cette réflexion et voilà ma question : Comment les suites de la biennale pourraient-elles de façon très concrète proposer des changements qui semblent urgents au niveau des institutions de la Francophonie ?

 

Samia Spencer

Je pense qu'avec les organisations de professeurs et les groupes de professeurs, on peut agir. Par exemple les études d'espagnol aux États-Unis n'ont pas besoin d'aide. Pourtant, il y a deux ou trois ans, le gouvernement de l'Espagne est venu en aide aux professeurs d'espagnol aux États-Unis. Ils ont conclu des accords au niveau des États. Ils se rendent compte que le pays est énorme et qu'on ne peut pas conclure un accord efficace avec les cinquante États donc avec des États spécifiques, ils ont conclu des accords d'échanges d'étudiants, de programmes de formation, de visites scolaires, d'échanges de professeurs, de formation de professeurs, d'échanges au niveau des universités, de bourses pour les jeunes Américains, parce qu'ils ont un peu peur de l'Amérique latine, et ne veulent pas que l'Amérique latine prenne tout l'intérêt et toute l'attention. Ils se rendent compte qu'un jeune qui serait allé ou qui irait en Espagne pour faire des études, habiter dans une famille, faire ses études et travailler dans des laboratoires en Espagne, favorisera, le jour où il deviendra décideur, certainement l'Espagne par rapport à d'autres pays. Je souhaiterais par exemple que les pays francophones offrent aux jeunes Américains puisque Madame parlait des jeunes, des possibilités de bourses et non pas des bourses de dix jours comme le fait la France aujourd'hui qui a restauré quelques programmes de bourses. Autrefois les bourses étaient d'un an, de six mois et des bourses d'été. Cette année, les bourses sont de dix jours! Il n'est pas facile de convaincre un jeune Américain de payer le billet d'avion pour aller en France faire un stage de dix jours! Ils se disent : Que puis-je apprendre en dix jours ? je veux faire des progrès linguistiques. Ce ne sont plus les mêmes bourses ni les mêmes situations. Nous voudrions que la Francophonie institutionnelle vienne en aide aux jeunes parce que c'est une base sur laquelle on peut agir. Il sont à un âge où tout les influence. Vous avez déjà des ressources sur place qu'il faudrait simplement cultiver.

 

Alain Landry

...après tout, dix jours, pour un fonctionnaire, ce n'est qu'une longue fin de semaine! (Rires)

 

Ridha Mezghani de Tunisie

J'ai deux questions brèves et ponctuelles. La première s'adresse à Mme Dubois et à M. Allaire. Dans ces régions canadiennes partagées entre francophones et anglophones dans des proportions inégales, y a-t-il une obligation de recours au bilinguisme sur le plan légal et institutionnel. Puisque les textes officiels doivent être publiés dans les deux langues, l'administration recrute-t-elle des fonctionnaires qui sont obligatoirement bilingues ?

La deuxième question s'adresse à Mlle Labrecque concernant la maîtrise et la qualité de la langue au Québec. Lorsqu'on est bilingue, peut-on maîtriser parfaitement les deux langues, ou bien le fait de posséder deux langues se fait-il aux dépens de la qualité des deux ? Dans les dispositifs qui nous ont été présentés, une expression m'a un peu étonné, c'est l'obligation de résultat. Nous, les juristes, nous opposons l'obligation de résultat à l'obligation de moyens. Peut-on parler d'obligation de résultat dans l'enseignement ? En quoi consiste cette obligation ? Les professeurs sont-ils obligés de faire en sorte que leurs élèves maîtrisent parfaitement la langue qu'ils leur enseignent ?

 

Lise Dubois

Le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue en vertu d'une loi datant de 1969 qui s'intitule la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Elle oblige le gouvernement à diffuser simultanément tout document dans les deux langues officielles. La loi oblige également le gouvernement à offrir ses services dans les deux langues officielles; ou en français ou en anglais aux contribuables qui demandent à être servis dans leur langue, ce sont à peu près les seules obligations relatives à la langue. Elle permet au député de l'Assemblée législative de s'adresser en français ou en anglais au sein même de l'Assemblée. C'est tout.

 

Gratien Allaire

Pour ce qui est de l'Ontario, c'est la Loi 8 de 1986 qui définit la place du français à l'intérieur de la province. Le français n'a pas statut de langue officielle au plan provincial, mais il est défini comme l'une des langues d'utilisation par l'administration publique dans des districts considérés comme bilingues et dans des endroits ou dans des villes ayant un certain nombre de francophones; par exemple cinq mille francophones dans une ville obligent l'administration publique provinciale à offrir des services en français. C'est la limite. Un des problèmes posé est qu'au cours des cinq dernières années, des dévolutions de pouvoir provincial ont été faites au pouvoir municipal, et on a enregistré soit des difficultés soit des pertes. Ainsi en est-il dans les villes de Sudbury et d'Ottawa, villes bilingues. Ce sont les municipalités qui se déclarent elles-mêmes bilingues et il n'appartient donc pas au gouvernement provincial de le faire. Un statut de langue d'utilisation par l'administration publique est défini par la Loi 8 de l'Ontario mais ce n'est pas un statut de langue officielle. C'est la raison d'être d'Opération Constitution qui vise à faire en sorte que le français soit déclaré l'une des langues officielles de l'Ontario, et que ce soit enchâssé dans la Constitution canadienne, de la même façon que l'égalité des langues au Nouveau-Brunswick est insérée dans la Constitution.

Permettez-moi de revenir sur la question des jeunes. L'avenir de la Francophonie repose sur les jeunes, c'est une lapalissade. Ce que disent les jeunes que je côtoie de temps à autre ou fréquemment, c'est que la Francophonie ne traite pas des questions mondiales actuelles : l'environnement, la mondialisation, la globalisation, dans les termes qu'on retrouve à Seattle, à Göteborg, à Québec et à Gênes. Ils ont souvent l'impression que la Francophonie est absente et ne parle pas la langue des problèmes mondiaux actuels. Je pense que c'est l'un des grands défis qu'aura à relever la francophonie canadienne et la Francophonie internationale.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93