Témoignage de Anne PHAM-HUY

Boursière de la Fondation Baxter & Alma Ricard, étudiante en médecine à l'Université dOttawa

 

Fierté francophone

 

Je suis une canadienne-française d'origine vietnamienne. Je suis étudiante en médecine à l'Université d'Ottawa. Je suis ici aujourd'hui pour ajouter mon témoignage au thème du paysage canadien, pour vous parler en tant qu'une personne qui est francophone de choix et non de souche. C'est-à-dire que ma langue maternelle n'est pas le français, mais le français est une langue que j'ai adoptée, que je parle et que j'aime beaucoup.

Mes parents sont tous deux vietnamiens. Ils ont émigré au Canada en 1975 à la fin de la guerre du Vietnam. Ils se sont retrouvés premièrement à Toronto, où je suis née, et 2 ans après à Ottawa, où je suis depuis. En 1980, quand je n'avais que 4 ans, mes parents ont pris une grande décision pour moi, une décision qui influencera ma vie à plusieurs niveaux. Ils ont décidé de m'inscrire à l'école en français, un choix qui n'était pas aussi évident. Ils pensaient initialement m'inscrire à l'école anglaise. Pour plusieurs nouveaux immigrants, l'anglais était la langue de l'avenir et du monde occidental. C'était une langue plus facile à apprendre car elle était présente partout. Mais ils ont finalement pensé que c'est plutôt le français qui pourrait m'offrir un meilleur avenir, surtout en vivant à Ottawa, une ville bilingue. Mes parents voulaient que je parle autant le français que l'anglais.

Le Vietnam est un pays qui possède un grand attachement au français. C'était une colonie française pendant très longtemps et donc il existait une forte influence française au Vietnam. Mes parents parlaient déjà le français. Ils se sentaient même plus à l'aise en français qu'en anglais. Arrivés dans un pays étranger, comme le Canada, le français représentait pour eux quelque chose de familier. Et donc, avoir choisir le français était pour eux, un choix sentimental, réfléchi et disponible à Ottawa.

Voilà comment a débuté ma vie en français. C'était difficile au début. Quand j'ai commencé l'école, je ne parlais ni le français, ni l'anglais. On ne parlait que le vietnamien à la maison et on était assez isolé. Je n'avais pas vraiment d'interaction avec d'autres petits enfants canadiens avant de commencer l'école.

Étant dans une école française, mes premiers amis étaient francophones. J'ai commencé des cours de piano, ils étaient aussi en français. À l'école on faisait des sorties de classe à la cabane à sucre, au festival FRANCO, à des pièces de théâtre…Et donc, par mon école, mes amis, mes parents, j'apprenais peu à peu la culture canadienne française.

Après l'école primaire, c'était à moi de prendre des décisions. Mais le choix était simple! J'ai donc fait toutes mes études en français. Quand ce fut le temps de faire ma demande en médecine, j'ai coché la case qui me demandait si je voulais faire partie du programme francophone de médecine. Pour moi, c'est un privilège d'étudier en français et je ne voudrais pas qu'il en soit autrement.

Je viens de terminer deux ans d'étude de médecine à l'université d'Ottawa. L'université d'Ottawa est une université bilingue qui s'est fermement engagée à offrir ses programmes éducatifs dans les deux langues officielles. Depuis des années, la faculté de médecine cherche à remplir ce mandat. En 1995, ils ont créé le bureau des affaires francophones pour faciliter le processus de franciser le programme. Nous sommes 88 dans notre classe dont 22 inscrits au programme francophone. En étant une plus petite classe, on profite de beaucoup d'avantages, tel un enseignement plus personnel… Nos classes ressemblent plus à des groupes de tutorat, ce qui permet des échanges et des discussions fort intéressants. Tous nos cours sont donnés en français par des médecins de la région. De pouvoir exercer la profession dans les deux langues, de façon à pourvoir aux besoins de toute la population ontarienne, y compris la collectivité franco-ontarienne est un grand avantage. C'est très important pour un patient d'avoir le choix entre l'anglais ou le français. On peut donner de meilleurs soins, si le patient se sent à l'aise et s'il comprend bien les soins qu'il reçoit.

Un autre avantage de parler français est la possibilité de mieux apprécier le Canada, un pays unique dans son multiculturalisme et son paysage linguistique. Être bilingue me permet de vivre les multiples facettes du Canada.

Le français est un sujet qui me tient beaucoup à cœur parce qu'il occupe une grande place dans ma vie. C'est une langue qui m'a tellement donné et tellement ouvert de portes. C'est ma langue de communication, ma langue de travail et d'éducation Je considère le français non seulement comme un excellent avantage mais aussi comme une partie de mon identité. J'espère toujours pouvoir vivre dans un milieu francophone

Je ne suis peut-être pas canadienne-française de souche, mais je vis en canadien-français. C'est peut-être cela, l'image du nouveau canadien français, des gens venant de partout qui partagent une même langue et une même fierté. Ça démontre que c'est une culture qui est dynamique, qui évolue, et qui s'adapte à son peuple. C'est ce que la francophonie représente pour moi.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93