Hommage à Philippe Desjardins

 

Roland Eluerd

Je ne saurais terminer cette journée sans saluer une personne qui est parmi nous depuis quelques instants. Cette personne, on en parle à chaque biennale, c'est un mythe, un mythe que moi, je n'ai pas connu. Non pas que je n'étais pas né, je ne vais quand même pas exagérer, mais je ne faisais pas partie de la Biennale; j'ignorais même jusqu'à son existence! En 1965, j'avais vingt-cinq ans, à la première biennale qui s'est tenue à Namur, en Belgique, qui ne s'appelait pas encore biennale d'ailleurs, parce que ce n'est qu'à la deuxième biennale qu'on a pu parler de biennale, M. Guillermou, avec sa foi, avec sa fougue avait réuni là un aréopage de personnes venues d'Afrique, d'Europe, d'Amérique c'était le Canada, essentiellement, à l'époque et c'était un moment tout à fait exceptionnel. Un moment exceptionnel dont vous avez pu prendre conscience d'une manière un peu insuffisante lorsque j'ai rendu hommage à Henri Bergeron, lors de notre séance inaugurale. Et si vous vous souvenez de cet enregistrement que nous avons diffusé où Henri Bergeron insistait sur le rôle de la délégation canadienne, le rôle de Radio-Canada, la présence de Radio-Canada à cette biennale de Liège qui était la troisième; on peut imaginer la première de la même manière, quatre ans auparavant à Namur. Et, parmi toutes les personnalités canadiennes qui étaient là, il y en avait une qui, à cette occasion, a prononcé une phrase qui dans les annales de la Biennale reste comme un mythe dont on parle souvent et qu'on attribue d'ailleurs parfois à d'autres personnes qu'à lui. Mais justement, les grandes phrases et les grands mots d'auteurs, c'est leur destinée qu'on les attribue à beaucoup. Cette phrase est la suivante. Il s'est levé et a dit : Cette biennale, il y a deux siècles que nous l'attendons! Cette phrase qui, encore une fois, est fondatrice de nos biennales fut prononcée par M. Philippe Desjardins, fondateur du comité linguistique de Radio-Canada. M. Desjardins, c’est bien vous qui avez dit : Cette Biennale, il y a deux siècles que nous l'attendons! C'est vrai ? Alors M. Desjardins, c'est avec infiniment de respect que la Biennale de la langue française vous salue.



Philippe Desjardins

Inutile de vous dire que je suis un peu ému parce que je ne m'attendais pas à cela. Ce qui m'émeut le plus, c'est de voir que les pionniers ne sont plus là : Le Bidois, Guillermou, Joseph Hanse. Cela ne vous dit rien, sauf pour notre ami Albert Doppagne que je pointe du doigt, il est le seul, je pense, parmi les quelques milliers de biennalistes qui ont existé, a avoir assisté à toutes les biennales. J'aurais aimé participer à vos délibérations, mais il y a déjà vingt-deux ans que je suis à la retraite, et il faut prendre un peu de recul parce qu'on commence déjà à songer bien que j'aie une bonne santé que bientôt notre tour viendra, qu'on comptera parmi les disparus et qu'on rappellera notre mémoire à la prochaine biennale.

Je vous souhaite la plus cordiale bienvenue au Canada et le plus grand succès pour cette biennale. Je suis un peu déçu parce que, quand je suis entré dans la salle tout à l'heure vers 17h , il y avait peut-être une cinquantaine de personnes. Cela m'a rappelé qu'en 1971, à Moncton, nous étions quarante-trois personnes du Canada seulement. Alors cela s'amenuise. Je ne sais pas qui va être chargé de donner du sang nouveau aux biennales, mais j'espère quelles vont durer encore longtemps même si je ne suis plus là pour y participer. Alors, je vous répète : Bienvenue au Canada, et à Hull (prononcer hul) comme disait Bernard Pivot l'autre jour à la télévision, quand il a présenté sa dernière émission, il a parlé d'une lettre qu'il avait reçue d'une personne de Hull (prononcer hul). Ici on dit bien Hull (prononcer holl) parce que c'est anglais.

Alors merci. Je vous parlerais encore bien longtemps mais il est déjà tard. À la biennale que j'avais présidée à Moncton en 1971, je vais vous raconter une petite anecdote: à l'époque, j'étais souffrant, j'avais confié la présidence à un compatriote, et à mon retour, vers 17h30 à la salle des délibérations, il restait deux ou trois personnes, dont deux Belges que je connaissais. On me dit : Eh bien, on continue ? Je vais voir les deux Belges, qui étaient MM. Pohl et Bal et leur dis : Si vous donnez votre allocution ce soir, il n'y a presque personne dans la salle, est-ce que cela ne vous plairait pas d'attendre plutôt demain ? Ils ont dit oui, en effet. Alors je monte à ma place de président, je dis que la séance est levée. Il était 18 heures. Je vous souhaite de faire la même chose, dorénavant, parce qu'ici au Canada, passé six heures, on pense à d'autres choses... Alors merci et puis... je vais toujours en vouloir à mon ami Pierre Murith qui est là et qui est venu me chercher; je me demandais pourquoi il insistait tellement... Qu'est-ce que vous voulez... J'ai regretté, je devais aller à Neuchâtel et une amie dont je m'occupe est tombée malade. Malheureusement, elle n'a pas de chance puisque, vendredi dernier, elle est encore tombée malade, elle est à l'hôpital. C'est pourquoi je suis seul. Je vous remercie et arivederci!

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93