René CORMIER

Directeur artistique du théâtre populaire d'Acadie (Nouveau-Brunswick)

 

La production artistique dans l'Acadie des provinces maritimes

 

Je vais dresser un bref portrait qui ne sera pas à la hauteur de la production artistique professionnelle à l'est du Québec, du côté acadien. Chez nous, dans l'Acadie des provinces maritimes, la production artistique est assez impressionnante, compte tenu de la petite population acadienne et francophone. Les arts et la culture, au Nouveau-Brunswick plus particulièrement, mais également en Nouvelle-Écosse et à l'Île-du-Prince-Édouard, se sont développés de façon beaucoup plus importante au cours des trente dernières années parce qu'on s'est donné des organisations et des compagnies de théâtre professionnelles et des associations d'artistes professionnels afin de créer, produire et diffuser notre travail.

Au départ, en Acadie, la musique et la poésie étaient deux des domaines privilégiés; la musique particulièrement, puisque dans nos maisons nous avions l'occasion d'entendre les chansons de nos ancêtres. Nous avons accédé aux arrière-cultures principalement à travers la chanson populaire et folklorique. Depuis trente ans, une volonté s'est affirmée de la part d'une communauté artistique professionnelle d’accéder à la modernité et de témoigner de notre monde actuel. Dans tous les secteurs et dans tous les domaines, il y a des artistes marquants; je pense à la littérature, à Mme Antonine Maillet, à des artistes comme Herménégilde Chiasson, et tant d’autres qui ont une production artistique foisonnante et qui diffusent leur travail non seulement dans les provinces maritimes mais un peu partout dans la francophonie.

En musique, aussi, des artistes sont très productifs. Il y a vingt-cinq ans, trente ans, des artistes comme Édith Butler et Angèle Arsenault ont ouvert la voie à un rayonnement de la chanson acadienne à l'extérieur de l'Acadie. Depuis, de nombreux artistes sont reconnus à l'extérieur, dont Marie-Jo Thério, que vous aurez l'occasion d'entendre ici.

L'Acadie produit beaucoup dans le domaine de la littérature et du cinéma également, grâce à l'Office national du film qui au départ a soutenu la production locale. Beaucoup de maisons de productions sont nées, existent et se produisent en Acadie : à titre d'exemple, les Productions du Far Est, les Productions Ça tourne, Transmar Productions, Cinémarévie dans l'ouest et le nord-ouest du Nouveau-Brunswick où la production cinématographique est assez importante.

C'est un peu plus timide dans le domaine de la danse. Mais on en est à la phase de la formation et du développement de cette discipline dans les écoles, notamment par le biais d'écoles privées de danse, et de compagnies comme Danse encore, comme Tandem, qui finalement font du développement et de la production artistique. Un foisonnement d'artistes, d'organisations sont visibles particulièrement au Nouveau-Brunswick, qui, comme vous le savez, est une province officiellement bilingue. C’est donc plus qu'un désir, c'est une affirmation de la culture acadienne contemporaine par le biais de ces artistes. À ce titre, la langue française joue chez nous évidemment un rôle capital, puisqu'elle n'est pas un simple moyen de communication, mais aussi, comme dans tous les milieux minoritaires, elle est un outil d'affirmation de notre territoire, de notre lieu. La langue française est l'Acadie, quand elle existe et qu'on l'entend dans un milieu majoritairement anglophone. Elle a un impact. Elle est incontournable dans l'expression de la culture acadienne.

 

Je vous dirais que de nombreux défis et des enjeux sont là qui menacent en quelque sorte la production artistique professionnelle mais aussi le développement et l'épanouissement de la langue française. Je pense à cette notion de centralisation des lieux d'expression de la culture. Dans un milieu comme l'Acadie, les centres urbains sont présents, mais les milieux ruraux sont extrêmement porteurs de culture et d'art; or on assiste depuis quelques années à un exode des ressources artistiques professionnelles vers les centres, que ce soit Moncton, Montréal ou ailleurs. Et d'ailleurs, Mme Dubois, de l'Université de Moncton, en a parlé aujourd'hui. Cela m'inquiète profondément parce que j'agis dans une petite région, le nord-est du Nouveau-Brunswick, une région majoritaire où on n'a jamais eu, nous, l'impression d'être des minoritaires. C'est à l'âge de seize ans que j'ai compris que j'étais un minoritaire sans trop comprendre ce que c'était. Je pense qu'on a une bataille énorme à mener, au Canada, de façon générale, à l’extérieur du Québec, pour que nos petites communautés, où souvent la langue française est la plus vibrante, soient dotées des infrastructures culturelles dont elles ont besoin afin de garder leurs artistes sur place. C'est l'un des grands défis.

Évidemment, se pose la question de la présence des arts et de la culture dans nos systèmes d'éducation. Le ministère de l'éducation du Nouveau-Brunswick est scindé en deux , d'une part les anglophones et d'autre part les francophones, d’où la difficulté d'intégrer des disciplines artistiques au système scolaire et de faire comprendre à nos dirigeants, plusieurs d'entre eux sont des Acadiens francophones, que dans le fond l'essor de notre culture et de notre langue passe par notre système d'éducation. On le constate forcément au Théâtre populaire d'Acadie puisqu'on a dû mettre sur pied des camps d'art dramatique et toute une série d'activités de développement culturel, ce à quoi cette jeunesse-là peut difficilement accéder dans le cadre scolaire.

Ainsi les grands défis qui attendent les artistes professionnels œuvrant à l'extérieur du Québec, on parle ici d'artistes œuvrant en milieux minoritaires militant en faveur de l'épanouissement de la langue française, passent par cette nécessité d'ouverture à l'autre, comme le disait M. Kattan, et de la force des réseaux.

Comment collaborer davantage entre nous ? Comment faire pour que la jeunesse soit de plus en plus présente ?

Je suis très heureux d'être ici et je suis sûr que nous sommes tous et toutes dans notre for intérieur des jeunes de cœur, mais la jeunesse à cette Biennale est un peu absente. Je suis profondément inquiet parce que j'ai très peur, en tant que francophone et artiste agissant sur notre langue, qu'on parle beaucoup de la langue française, mais qu'on agisse trop peu, du moins pas autant qu'on le devrait. J'encourage la Biennale que je remercie, d'ailleurs, de m'avoir accueilli ici à faire une place encore plus importante aux jeunes et systématiquement, à chaque biennale, de faire une place importante aux artistes, puisque ce sont eux qui portent la langue française à travers le monde de la façon la plus tangible.

J'applaudis les poètes qui nous ont charmés et touchés profondément par leur poésie, et je souhaite bien sûr que d'autres artistes, écrivains et gens de théâtre puissent être présents aux biennales afin de témoigner de la vitalité de la langue française par le biais des arts et de la culture. Je remercie beaucoup les collègues de leurs intéressantes présentations et je vous encourage à prendre le temps de visiter les stands d'organismes communautaires canadiens et de divers ministères du gouvernement fédéral qui ont été installés à votre intention.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93