Edmond JOUVE

Professeur à L'Université René Descartes - Paris V, directeur de l'Observatoire des relations internationales, du développement et de la Francophonie, président des écrivains de langue française

 

La jurisfrancité et l'émergence d'une Francophonie politique

 

D'utilisation courante depuis 1960, le mot "Francophonie" a été inventé par le géographe français Onésime Reclus, en 1880(1). « Nous acceptons comme francophones, écrivait-il, tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue ». Il s'agit, pour l'essentiel, d'une communauté constituée par un ensemble d’États, de peuples ou d'ethnies ayant en partage l'usage du français, employé comme langue nationale ou comme instrument de communication internationale. En conséquence, la Francophonie désigne un espace complexe et diversifié rassemblant quelque cinquante-cinq pays répartis sur les cinq continents et regroupant plus de cent soixante-dix millions d'individus parlant français. Il s'agit, aussi, d'un espace où la coopération, la solidarité, le dialogue et le partage sont à l'origine d'actions reposant sur des programmes porteurs de résultats concrets.

La Francophonie a eu ses promoteurs, au premier rang desquels le Sénégalais Léopold Sedar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Diori Hamani, le Canadien Jean-Marc Léger, le Libanais Charles Hélou, les Français Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterand... De la langue française, ils ont voulu faire un moyen de libération, un outil au service du développement culturel, mais, aussi, politique et économique. Dès lors, la Francophonie apparaît bien comme une idée neuve dont l'avenir nous appartient, et dont la vocation vise à instaurer un nouveau type de coopération fondé sur l'échange et la complémentarité.

La Francophonie ne saurait donc inspirer nulle attitude défensive. Elle ne saurait être à l'origine d'aucune espèce de ligne Maginot. Elle est ouverte. Elle est fraternelle. Elle est accueillante (2). Comme l'a écrit Aimé Césaire, elle n'est « ni une tour, ni une cathédrale. Elle s'enfonce dans la chair ardente de notre temps et de ses exigences (3). » Elle est comptable, devant l'histoire, de l'héritage d'une langue. Mais avant tout, elle est porteuse d'une grande ambition.

La Francophonie occupe un espace multidimensionnel. En 1996, M. Steve Gentili, président international du Forum francophone des Affaires, écrivait :

« La Francophonie se présente comme un pari : celui de former au vingt et unième siècle l'un des six ou sept principaux ensembles de la planète. Le triomphe de ce pari repose sur une triple exigence : une forte charpente culturelle; une ferme volonté politique; une action cohérente dans le domaine de l'économie, de la technologie et de la recherche (4). » Au nom de ces impératifs, les sommets d'Hanoï (novembre 1997) et de Moncton (septembre 1999) se sont attachés à mettre en œuvre une coopération politique plus poussée, dans laquelle le droit occupe une place privilégiée, liant ainsi la "jurisfrancité" - entendue au sens large (droit inspiré du droit français) - et l'émergence d'une Francophonie politique.

Cet aspect de la Francophonie se traduit par des institutions et une pratique (5).

 

I - Les institutions au service de la jurisfrancité

La Francophonie institutionnelle fut d'abord l'affaire des organisations non gouvernementales. Pendant une vingtaine d'années (1952-1970), elles ont, aux côtés des organisations internationales gouvernementales, rivalisé d'ardeur et d'imagination pour porter et incarner l'idée francophone que les sommets n'ont fait que "moderniser". À la veille de celui d'Hanoï, les institutions internationales de la Francophonie étaient au nombre de douze. Complétées, elles continuent néanmoins d'exister.

La Conférence des chefs d' État et de gouvernement ayant le français en partage se réunit tous les deux ans (6). De périodicité annuelle, La Conférence ministérielle de la Francophonie regroupe les ministres chargés de la Francophonie. Composé des représentants personnels de chefs d’État ou de gouvernement, le Conseil permanent de la Francophonie assure le suivi des décisions adoptées par les sommets et joue un rôle d'appréciation et d'orientation politique des actions menées par les opérateurs de la Francophonie.

Créée en 1960, la Conférence des ministres de l'éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN) est la plus ancienne institution ministérielle de la Francophonie. Elle constitue une structure d'information, de réflexion et de concertation entre les ministres de l'éducation des pays membres. Fondée en 1969, la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays d'expression française (CONFEJES) vise à renforcer, par une politique d'échanges, les liens de solidarité et de coopération entre les jeunes des pays francophones.

Instituée en 1970 sous le nom d'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), l'Agence de la Francophonie rassemble 49 pays membres. Unique opérateur intergouvernemental, elle est chargée d'intensifier la coopération culturelle et technique de la Francophonie dans les domaines de l'éducation et de la formation, de la culture, des sciences et techniques, de l'agriculture, de la communication, du droit, de l'environnement et de l'énergie.

Mise en place en 1961, l'ex-Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF-UREF), l'Agence universitaire de la Francophonie est l'opérateur spécialisé des sommets francophones pour l'enseignement supérieur et la recherche. L'AUPELF avait reçu pour mission de coordonner les échanges entre ses membres : universités, instituts et centres de recherche. Constitué en 1986, le programme UREF (Université des réseaux de langue française) s'est doté de programmes concrets en information scientifique et technique, en formation et recherche. L'AUF, qui vient de connaître une crise, compte aujourd'hui dix bureaux régionaux. Elle est dirigée par le Recteur Michèle Gendreau-Massaloux.

Créée en 1984, la télévision internationale TV5 regroupe TV5 Europe et TV5 Québec-Canada. Son audience est estimée à plus de 60 millions de foyers.

Établissement privé d'enseignement, l'Université Senghor d'Alexandrie a été ouverte en 1990 pour former des étudiants dans des disciplines fondamentales pour le développement des pays du Sud.

Fondée en 1967, l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) est la seule organisation interparlementaire de la Francophonie reconnue comme telle par les sommets des chefs d’État et de gouvernement. Elle regroupe les sections de plus de 50 parlements ou Assemblées d'Afrique, d'Amérique, du Proche-Orient, d'Asie et d'Océanie. Au cours de la vingt-cinquième session, le 7 juillet 1999, M. Boutros Boutros-Ghali a déclaré à son sujet : « La charte fait de vous...notre assemblée consultative et une passerelle essentielle entre les populations de notre communauté francophone et les instances de la Francophonie. »

Le Forum francophone des affaires (FFA) est issu d'une initiative du Canada et du Québec; il a pour objet de développer les échanges économiques entre les pays francophones.

Le Comité international des jeux de la Francophonie (CIJF) dépend de la conférence des ministres de la jeunesse et des sports des pays d'expression française.

 

Les décisions prises à Hanoï et la conférence ministérielle de Bucarest ont conduit à compléter cet organigramme en créant l'Organisation internationale de la Francophonie. Elle comporte désormais un Secrétaire général chargé de " porter haut et loin notre idéal et les conceptions qui sont les nôtres, avec l'autorité que lui confèrent la charte et son prestige personnel ". A la demande des parties intéressées, il peut intervenir, en cas de conflit entre des pays membres ou de crise au sein d'un pays, pour rétablir la paix. Il est habilité à coordonner " les activités de coopération linguistique, économique, scientifique, culturelle et médiatique ". Le plan d'action d'Hanoï lui donne mandat pour « contribuer au règlement pacifique des conflits en cours , intensifier la coopération avec les organismes internationaux et régionaux, œuvrer à la consolidation de l’État de droit et du processus démocratique (7). » M. Boutros Boutros-Ghali , ancien secrétaire général de l'ONU, est le premier titulaire de ce poste.

Un Administrateur général est désormais à la tête de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie. Le titulaire de ce poste est un belge, M. Roger Dehaybe. Dans le cadre de la réforme de l'Agence, onze directeurs ont pris leurs fonctions en janvier 1999. Ainsi nantie, l'OIF entend « devenir une organisation internationale à part entière, résolue à faire entendre sa voix dans le concert des nations (8) ». Elle apparaît, bien sûr, comme l'un des vecteurs de la Jurisfrancité.

 

II Une jurisfrancité en construction

M. Boutros Boutros-Ghali a souvent déclaré que la Francophonie reposait sur des valeurs communes. Selon lui, en effet, « être francophone, c'est militer, au delà de la défense de la langue française, pour la tolérance, pour le respect de la diversité linguistique et culturelle, pour la préservation d'une civilisation plurielle. En un mot, pour un nouvel humanisme (9) ! » Des actions en découlent dans lesquelles le droit joue un rôle important.

 

II.A - Le droit international, ciment de la coopération

Le 20 mars 1998, M. Boutros Boutros-Ghali a réuni les secrétaires généraux et les représentants de seize grandes organisations régionales à participer à une réunion de travail à l'occasion de la journée mondiale de la Francophonie, à Paris. Cette première rencontre internationale entre organisations régionales a marqué le coup d'envoi d'une coopération avec l'OIF. Elle s'est concrétisée par divers accords. Outre les accords signés en 1998 avec la Ligue des États arabes et le Fonds égyptien de coopération technique avec l'Afrique, un accord a été signé le 20 février 1999 avec la CEDEAO et un autre le 14 avril 1999 avec la CNUCED.

D'autres conventions ont été négociées, notamment avec l'OUA et le Commonwealth. M. Boutros Boutros-Ghali s'est rendu en novembre 1999 au Sommet du Commonwealth. En accord avec les autorités du pays hôte, les secrétaires généraux et les plus hauts responsables de l'Organisation mondiale et des Organisations régionales ont été conviés à participer à la Conférence de Moncton.

Par ailleurs, une représentation permanente a été ouverte à Addis-Abéba auprès de l'OUA et de la CEA. L'Assemblée générale des Nations-Unies a décidé le 18 décembre 1998 que l'Organisation internationale de la Francophonie participerait, en qualité d'observateur, aux sessions et aux travaux de l'Assemblée générale et des organes subsidiaires. Le 4 mai 1999, le Président de la Commission européenne a notifié l'accréditation officielle de l'OIF auprès de l'Union européenne.

L'OIF a, elle-même, été invitée par l'ONU à participer pour la première fois, en juillet 1998 à New-York, à une réunion entre l'Organisation mondiale et les Organisations régionales sur le thème de la coopération pour la prévention des conflits. Dans le cadre du suivi de cette conférence, l'OIF a tenu, du 28 au 30 avril 1999, une réunion de travail bilatérale avec le secrétaire général de l'ONU. Cette rencontre a porté sur deux points essentiels. Elle a examiné la situation politique dans sept pays d'Afrique membres de l'OIF (République centrafricaine, Rwanda, Burundi, Congo, République démocratique du Congo, Guinée, Guinée-Bissau). La coopération entre la Francophonie et les Nations-Unies en matière d'assistance et d'observation électorale a été également évoquée ainsi que le rôle des organisations régionales en matière de maintien de la paix.

Dans ce contexte, on observe un engagement de plus en plus affirmé du monde arabe dans la Francophonie et réciproquement. En 1998, La Ligue des États arabes et l'OIF ont signé au Caire un accord de coopération. Le 9 avril 1999, elles ont mené pour la première fois une mission conjointe d'observation des élections à Djibouti. Sept États arabes, membres de la Francophonie - le Maroc, l’Égypte, la Tunisie, le Liban, la Mauritanie, Djibouti et les Comores - appartiennent à la fois à la Ligue des États arabes, à l'Organisation de la Conférence islamique et à l'Organisation de l'Unité africaine.

Les pays arabes, même s'ils ne sont pas les plus nombreux dans l'OIF, constituent l'entité où l'usage du français est le plus répandu en dehors des pays où il est langue maternelle. Chacun de ces pays a joué et joue de plus en plus un rôle majeur dans l'Organisation. Ainsi le Maroc a accueilli la huitième conférence ministérielle de la Francophonie et c'est à Marrakech qu'a été adoptée la nouvelle charte de la Francophonie.

 

II.B - Le droit interne, ciment de l’État de droit

M. Boutros Boutros-Ghali a souhaité que l'OIF développe une solidarité active au service de la démocratie, de l’État de droit et de la paix. De mars 1998 à juin 1999, 12 missions d'observation des élections ont été constituées, dont 7 conjointement avec d'autres Organisations. Elles ont porté en 1998 sur les élections présidentielles et législatives aux Seychelles, en collaboration avec le Commonwealth; sur les élections présidentielles au Togo, en collaboration avec l'OUA; sur les élections législatives au Cambodge, sous l'égide de l'ONU; sur le premier tour des élections législatives à Sao Tomé e Principe; sur les élections présidentielles au Burkina Faso; sur les élections législatives en République Centrafrique, sous l'égide de l'ONU; sur les élections présidentielles au Gabon et en Guinée; sur les élections présidentielles au Nigeria, sous l'égide de l'ONU; sur les élections législatives en Guinée équatoriale, en collaboration avec l'OUA; sur les élections législatives au Bénin; sur les élections présidentielles à Djibouti, en collaboration avec la ligue des États arabes.

Au-delà de cette assistance électorale, la Francophonie a mené une action diplomatique spécifique au sein de l'espace francophone, grâce à l'envoi de quatre missions de bons offices. L'une d'elle, sous la conduite de Moustapha Niasse, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, s'est rendue au Togo. À la suite de la crise ouverte lors de l'élection présidentielle de juin 1998, il s'est rendu dans ce pays en octobre, novembre et décembre 1998? Depuis le 24 décembre 1998, trois autres "facilitateurs" ont participé à cette médiation : l'Allemagne, la France et l'Union européenne. Les réunions tenues à Paris en février et mars 1999, ainsi que la mission effectuée à Lomé du 3 au 6 mai, ont permis au dialogue inter-togolais de déboucher à Paris les 9, 10 et 11 juin derniers. Pour sa part, M. B. Boutros-Ghali s'est entretenu à plusieurs reprises avec le président Eyadema et les chefs des principaux partis d'opposition.

M. Emile Derlin Zinsou, ancien président de la République du Bénin, a conduit une mission de bons offices en République démocratique du Congo, du 2 au 5 octobre 1998. Revenu à Kinshasa en mars 1999, il a rencontré plusieurs membres de l'Opposition à Paris et à Cotonou, ainsi que des représentants de l'opposition intérieure. Il s'est également entretenu avec le Président Kabila qui lui a fait part de son intention de lancer un débat national.

Faisant suite à la résolution adoptée par la Conférence ministérielle de Bucarest le 5 décembre 1998, sur la levée immédiate de l'embargo au Burundi, un émissaire, M. Mohamed El Hacen Ould Lebatt, ancien ministre des Affaires étrangères et de la coopération de Mauritanie, s'est rendu auprès du Président Buyoya, pour une première prise de contacts afin d'identifier l'assistance que la Francophonie pourrait apporter à ce pays. À la suite de la rencontre de M. B. Boutros-Ghali avec le président Nyerere, au siège de l'Organisation, le 25 avril 1999, l'OIF a été invitée à participer aux pourparlers de paix, en qualité d'observateur. M.Mohamed El Hacen Ould Lebatt s'est rendu à Arusha dès le 5 juillet 1999, date de la reprise des travaux des Commissions préparatoires à la prochaine session plénière des négociations.

Enfin, s'agissant de la République centrafricaine, l'Ambassadeur Alioune Sène, qui avait conduit le groupe d'observation des élections législatives en novembre et décembre 1998, a accompli une mission de bonne volonté pour aider au renforcement de la démocratie et de la réconciliation nationale, conformément aux accords de Bangui. Cette démarche s'est déroulée du 1 au 9 mars 1999. L'ambassadeur Sène a été reçu par le président Patassé, qui a souligné son désir de renforcer la coopération avec la Francophonie, notamment pour la préparation du prochain scrutin présidentiel en septembre 1999.

M. Boutros-Ghali a rencontré à Paris le 13 avril 1999, le Premier ministre de Centrafrique. Il a confirmé que son pays souhaitait l'envoi d'observateurs pour le scrutin présidentiel.

Toutes ces actions vont dans le sens d'une "jurisfrancité" championne des droits de l'homme et des peuples.

* * * * *

La Francophonie ne délimite pas seulement un champ politique. Elle détermine aussi un espace économique auquel elle accorde une place de plus en plus importante. L'espace économique francophone - environ 10% de la population du globe - constitue une donnée déterminante de l'économie mondiale. Il représente plus de 17% des échanges commerciaux. Le sommet de Cotonou (les 2, 3 et 4 décembre 1995) s'est spécialement penché sur la situation économique des pays francophones et sur les moyens à mettre en œuvre pour renforcer la coopération pour le développement. L'Agence gère deux fonds qui contribuent à la création et au développement de petites entreprises en vue d'une meilleure insertion des jeunes sur le marché du travail, de la mobilisation de l'épargne nationale et de l'accès au crédit. L'instrument principal de l'Agence de la Francophonie dans ce domaine est son programme spécial de développement (PSD).

Ce dispositif s'accompagne d'une action de sensibilisation, dans les pays du Sud, d'un environnement juridique plus favorable aux entreprises (droit des sociétés, droit du travail, respect des licences d'exportation, etc. ). Une attention particulière est apportée à la création d'entreprises par les femmes. Elle s'appuie sur des activités d'information et de formation à la gestion, et de transfert de techniques et de connaissances. La Déclaration d’Hanoï avait mis l'accent sur la nécessité de renforcer la dimension économique de la Francophonie. Une première conférence de ses ministres de l’Économie et des Finances s'est tenue avec succès à Monaco les 14 et 15 avril 1999 (10).

Il n'en reste pas moins que la Francophonie repose sur le partage d'une langue et d'une culture. En 1982, le président Abdou Diouf déclarait à Dakar : « Nous avons une double responsabilité : celle d'arrêter le recul du français et de le promouvoir dans le domaine de la science et de la technologie, celle de respecter scrupuleusement les identités culturelles. » Ces préoccupations rejoignaient celles qu'André Malraux avait exprimées lors de la première Assemblée générale de l'association internationale des parlementaires de langue française à Versailles : « Notre problème n'est nullement dans l'opposition des cultures nationales, mais dans l'esprit particulier qu'une culture nationale peut donner à la culture mondiale. »

Autrement dit, plus la Francophonie sera respectueuse des différences, plus elle sera grande. Est-ce à dire que la Francophonie s'est débarrassée de toutes ses impuretés et de ses ambiguïtés ? Est-ce à dire qu'elle ne suscite plus de réserves (11) ? Souvenons-nous, en tout cas, que, tout au long de son histoire, le français ne fut jamais une langue de ghetto. Au seizième siècle, à ceux qui déploraient ses emprunts à l'italien, Joachim du Bellay répondait : « Ce n'est point chose vicieuse, mais grandement louable : emprunter d'une langue étrangère les sentences et les mots pour les approprier à la sienne. » Au dix-huitième siècle, l'abbé Grégoire faisait écho à ces propos : « Quand un peuple s'instruit, nécessairement sa langue s'enrichit. »

La Francophonie vivra si sont réussies ses noces avec la langue française. Celle-ci sera d'autant mieux à même de jouer son rôle qu'elle respectera les autre langues. Certes, la Francophonie a besoin des États pour continuer à avancer et à s'organiser. Mais elle ne saurait se passer non plus des hommes et des femmes ni de leur rêves. A nous de faire sortir la Francophonie des catacombes où elle fut trop longtemps reléguée. A nous de lui donner un visage ouvert, fraternel, convivial et de la faire marcher sur ses deux jambes : celle des États et celle des peuples, pour en faire une Francophonie populaire !

 

Notes

1. - Auguste Viatte, La francophonie, Paris, Larousse, 1969;

- M. Guillou, A. Littardi, La francophonie s'éveille, Paris, Berger-Levrault, 1988;

- C. Philip, "Le général de Gaulle et l'institutionnalisation de la francophonie", Etudes gaulliennes, avril-juillet 1979, pp. 27 et suiv.;

- Jean-Jacques Luthi, Auguste Viatte, Dictionnaire général de la francophonie, Paris, Letouzey et Ané, 1986;

- E. Mworoha, "La Francophonie" (dossier), Esope, 16 janvier-15 mars 1999, n° 506.

2.- Michel Tétu, La Francophonie, Paris, Hachette, 1988;

- E. Mworoha, "ACCT 1970-1995" : 25 ans au service du développement et de la coopération francophone, Paris, ACCT, 1995.

3.- Annuaire biographique de la Francophonie : 1986,1987, Paris, Cercle Richelieu de Paris, 1986, P. 13.

4.- A. Chauprade, L'espace économique francophone, Paris, Ellipses, 1976, p. 3 (préface).

5.- Organisation internationale de la Francophonie, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie; de Hanoi à Moncton, 1998-1999, Paris, OIF, 1999.

6.- Le huitième Sommet s'est réuni à Moncton (Nouveau-Brunswick), du 3 au 5 septembre 1999. Le neuvième se tiendra à Beyrouth en 2001, le dixième à Ouagadougou.

7.- B. Boutros-Ghali, « Intervention devant les parlementaires de l'APF », Ottawa, 6 juillet 1999.

8.- B. Boutros-Ghali, Le Monde, 23 février 1999.

9.- B. Boutros-Ghali, message adressé à l'occasion des neuvièmes rencontres internationales francophones du Canton de Payrac et du Pays de Quercy, Souillac, 26 août 1999.

10.- Voir le n° spécial du Journal de l'Agence de la Francophonie de mars 1999, consacré à cet événement.

11.- S. Chikh, M.Elmandjara, B. Touzani, Magreb et francophonie, Paris, Economica, 1988.

 

Michel Tétu

Vous avez demandé pourquoi De Gaulle n'avait pas soutenu la Francophonie. La réponse a été donnée dans les mémoires et les propos de Maurice Couve de Murville, Jean-Marie Domenach et Maurice Schumann. De Gaulle était très affecté par l'échec de la Communauté et a eu peur de lancer une machine qui risquait non pas d'échouer mais de faire rappeler par la presse les mauvais souvenirs, les mauvais traitements, les mauvaises façons d'envisager les choses par Sekou Touré notamment. Senghor a confirmé par la suite que De Gaulle n'était pas prêt à s'impliquer dans la Francophonie et qu'il lui a dit: « A vous de prendre la suite ».

Je précise d'autre part que les célèbres vers que vous avez attribués à Senghor sont en fait de Césaire : "La négritude n'est ni une tour ni une cathédrale...."

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93