Auguste Robert NEBIE

Inspecteur de l'Enseignement secondaire

 

La littérature burkinabè dans les programmes d'enseignement

 

Dans la pratique de la classe, la plupart des situations pédagogiques reposent sur la communication orale, mais la maîtrise de l'écrit demeure l'un des objectifs majeurs dans l'enseignement du français au premier cycle. Dans le contexte social qui est le nôtre, celui d'une francophonie relative, le texte constitue un support privilégié de la pédagogie des langues. Cela a très souvent conduit à considérer l’explication de texte comme étant «l’exercice roi » de la classe de français.

Ainsi, tout élève, à l'issue des classes du premier cycle, doit confirmer trois capacités : pratiquer une lecture autonome, accéder à une lecture consciente, acquérir le goût de la lecture. Dans le même esprit, au second cycle, les objectifs visent à la pratique raisonnée de la langue, à l'acquisition des méthodes de pensée et de travail, à l’accès à d'autres cultures. Au niveau des deux cycles, si quelques œuvres sont recommandées par les programmes, les instructions officielles laissent toute latitude aux professeurs dans le choix des textes et des ouvrages en fonction de critères tels que le genre, les capacités et les besoins des élèves selon les niveaux, la difficulté, l'intérêt..., voire la disponibilité des ouvrages en bibliothèque ou sur la place.

La littérature burkinabè, en fonction des objectifs des deux cycles, occupe sa place, selon les principes et les critères précédents, dans les programmes en vigueur.

 

1. L'enseignement de la littérature: démarches pédagogiques

L'enseignement de la littérature obéit pour l'essentiel aux orientations adoptées en 1972 par la Conférence des ministres de l'Éducation des États francophones d'Afrique et de Madagascar ( CONFEMEN).

En voici quelques objectifs :

-Introduire à part entière l'étude de la littérature africaine et malgache à côté de cette de la littérature française et des littératures étrangères en général, afin de former les élèves à la connaissance de leur propre culture.

- Enraciner ces littératures dans leur contexte de civilisation en employant les méthodes les plus appropriées pour dégager leur spécificité. La vieille école coloniale avait déjà appliqué ce principe.

- Conduire l'étude de la littérature de manière à favoriser le perfectionnement linguistique des élèves.

Au premier cycle, traditionnellement attaché à l'exploitation d'extraits de manuels « morceaux choisis », quelques principes nouveaux guident désormais l’étude d’œuvres complètes, notamment en lecture suivie et dirigée: les intérêts - je dis bien les - que manifestent les élèves, rendre authentique toute situation de lecture en la fondant sur la volonté ou le besoin, diversifier les projets de lecture (le propos qui préside à la lecture) avec un choix de textes qui élargissent le champ de la curiosité et de l'intérêt.

Les programmes de 1993 donnent la priorité à la littérature avec la lecture d’œuvres complètes en abordant tous les genres et toutes les époques. Quelle que soit la progression adoptée de la sixième à la troisième, il est nécessaire d'avoir atteint, à la fin du premier cycle, un des objectifs assignés par les programmes à l’enseignement du français, c'est-à-dire d'avoir mené à bien la lecture d'au moins huit œuvres. Ainsi, en lecture suivie et dirigée, chaque classe étudie au minimum deux œuvres complètes dont l'une au moins appartient à la littérature négro-africaine d'expression française.

Sur le plan méthodologique, au second cycle, l'approche thématique en seconde et en première et l'approche par genre en terminale sont privilégiées. Pour les travaux, il s'agit d'aborder les textes par les explications de texte, les résumés, les commentaires, les exposés faits par les élèves et, aujourd'hui, la tendance est de privilégier la lecture méthodique.

Dans la démarche pédagogique, on constate que beaucoup de professeurs chargés de l'enseignement de la langue et de la littérature se révèlent à la pratique peu armés pour le faire, et un trop grand nombre n'ont pas reçu de formation pédagogique initiale. En 1996, une étude a révélé une prépondérance de l'étude des œuvres africaines, avec une moyenne de 72,5 % contre 27,5 % pour les œuvres françaises. Ceci s'explique souvent par un déficit dans la formation de certains enseignants en littérature française. En 1996, toute une promotion d'élèves candidats au CAPES niveau 2 n'avait étudié aucune œuvre française dans son cursus universitaire ( 1985-1992).

Dans la pratique très peu d’œuvres burkinabè sont exploitées au niveau des œuvres africaines. Les professeurs avouent ne pas avoir lu les œuvres les plus connues, même primées. Ils en invoquent le coût, l'indisponibilité, etc. Sur le handicap majeur du manque de manuel et d’œuvres littéraires dans l'immense majorité des établissements (publics ou privés) se greffe un problème de connaissances académiques et de savoir-faire, voire de motivation.

 

2. Perspectives et suggestions

Si dans les programmes et les instructions officielles aucune disposition particulière ne souligne la place de la littérature burkinabè, il n'en demeure pas moins que le professeur de lettres est celui qui ne souffre d'aucun carcan en la matière. Il a toute latitude pour développer des initiatives, innover. L'approche thématique ou par genre offre de nombreuses possibilités dans la littérature burkinabè, généralement enracinée dans le vécu quotidien national. Ceci au second cycle notamment. Il est certain que la disparition de l'épreuve orale au baccalauréat n'a pas incité les élèves à la lecture des œuvres au programme, même si les instructions officielles encouragent les professeurs à proposer
des sujets à partir d’œuvres de la littérature burkinabè.

Au premier cycle, on peut se féliciter d'un bon éventail de contes, nouvelles, poèmes et autres ouvrages spécialement écrits pour la jeunesse (Hien A. Ignace, Bernadette Dao, J. Prosper Bazie...)

Le professeur de lettres est un homme de culture et il doit s'assumer comme tel malgré un environnement socio-culturel et économique difficile, voire ingrat. Il faut promouvoir l'autoformation de l'enseignant et créer un environnement propice à la lecture, à l'accès au livre, lequel demeure encore malheureusement une denrée de luxe.

Soulignons ici la grande contribution du Projet d'appui à l'enseignement secondaire général (PAESG) dans la création et l'approvisionnement des centres régionaux de documentation. Les professeurs et les élèves de la capitale ont la chance de disposer du Centre culturel Georges Méliès. L'action des Centres de lecture et d'animation culturelle (CLAC) contribuera très efficacement à faciliter l'accès au livre du grand public et des élèves en particulier à travers le pays. Ils sont actuellement 11, ils seront 17. Nous n'oublierons pas la Direction du livre et de la promotion littéraire dont l'appellation est claire.

Nul doute enfin que la parution d’œuvres critiques et d'analyses, du genre « profil d'une œuvre », d'anthologies et autres documents de vulgarisation à caractère didactique inciterait davantage à la pratique des œuvres nationales. Ce qu'a dit ce matin notre ami Salaka ouvre des espoirs de ce côté et la recherche universitaire pense assurément à ce genre d'ouvrage qui vulgariserait les œuvres, qu'elles soient au programme ou non.

 

En conclusion je dirai qu'il est certain que la littérature burkinabè n'occupe pas encore toute la place qu'elle mériterait dans nos programmes. Il serait illusoire cependant de considérer que la promotion de la littérature burkinabè est l'affaire des seuls enseignants.
Chacun est interpellé, des auteurs eux-mêmes, en ce siècle de marketing, jusqu'aux opérateurs économiques, en passant par le ministère de la Culture et des arts. Cependant, tout comme des goûts et des couleurs, la promotion du livre ne se fera pas à coup de décrets !

 

Annexe 1 : Extrait de la liste d’œuvres recommandées pour la lecture suivie ou la bibliothèque scolaire du premier cycle.

L'Enfant noir, C. Laye. Le Pagne noir, B. Dadié. Maïmouna, A. Sadji. Sous l'orage, S. Badian. Sansoa, P. Dabiré. Le Fils aîné, P. Claver Ilbouo. Refrains sous le Sahel, F. T . Pacere. Crépuscule des temps anciens, Nazi Boni. Etc.

Le Cid, Horace, Corneille. L'Avare, Molière. Les Caractères, La Bruyère. Eugénie Grandet, Balzac. Le Lion, J. Kessel. Le Petit Prince, Saint-Exupéry. Le Temps des secrets, M. Pagnol. Vendredi ou la vie sauvage, M. Tournier. Etc.

Le Vieil Homme et la mer, E. Hemingway. La Perle, J. Steinbeck. Pleure O Pays bien-aimé , A. Paton. Etc. -

 

Annexe 2 : Classe de terminale. Les œuvres sont classées par genres (roman, théâtre, poésie). Il est impératif de traiter au moins deux œuvres intégrales de chaque genre: une en littérature française et une en littérature africaine.

Exemple pour le roman. Œuvres au programme :

Eugénie Grandet, Balzac. Thérèse Desqueyroux, Mauriac. La Condition humaine, Malraux. La Peste, Camus. Les Choses, Perec.

Le Fils d'Agatha Moudio, F. Bebey. Les Soleils des Indépendances, A. Kourouma. L'Étrange Destin de Wangrin, A.H. Bâ. LePleurer-Rire, H. Lopès. Les Écailles du ciel, T.Monemembo.

 

Synthèse des débats

M. Sanou complète avec humour l'information de Mme Prignitz en lui signalant qu'il est souvent un maribataire : entendre un mari que ses obligations professionnelles tiennent éloignés de chez lui. Il rend ensuite hommage à l'expérience de M. Nébié puis regrette que beaucoup de projets d'ouvrages de vulgarisation ou de critique littéraire ne puisse aboutir. Il cite en particulier une anthologie de ta poésie burkinabè.

Mme Le Goff demande si des bibliothèques itinérantes ou des bibliobus existent au Burkina.

M. Nébié regrette la non-publication d'ouvrages de vulgarisation, précise qu'il n'y a pas de bibliobus mais indique la mise en place de Centres de documentation et de recherche à la disposition des enseignants.

M. Sawadogo conclut la séance en soulignant que les questions ne peuvent être résolues en peu de temps et que l'effort fait pour une langue sera aussi de plus en plus fait pour les langues nationales africaines.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93