Maître Titinga Frédéric PACERE
Avocat, écrivain

 

Jacques Chevrier

Merci à Louis Millogo d'avoir procédé à une relecture aussi stimulante d'un grand texte, d'un des textes fondateurs de la littérature burkinabè. Il me fournit la transition pour passer la parole à Maître Pacere. Je n'aurais pas à présenter Maître Pacere aux Burkinabè. Mais il faut tenir compte des nombreux biennalistes qui viennent pour la première fois au Burkina. Maître Pacere est l'un des acteurs majeurs de la vie culturelle du Burkina Faso. Juriste de réputation internationale, traditionnaliste, poète, c'est aussi, selon une dimension que vous découvrirez tout à l'heure à Manega, un pionnier.

Je suis heureux d'être une fois encore avec lui. Je me souviens de ma dernière visite à Manega. Pacere m'a mis une pelle entre les mains, m'a désigné un tas de ciment et j'ai dû poser non la première pierre mais la première pelletée d'un des nombreux monuments érigés en ce lieu. C'est donc avec un très grand plaisir que je lui donne la parole maintenant.

 

Maître Titinga Frédéric Pacere

Je vous remercie beaucoup professeur. Je voudrais aussi remercier Monsieur le président de la Biennale et tout le comité d'organisation pour m'avoir convié à cette table ronde.

Ce que vous m'avez dit attendre de moi, c'est l'expérience de l'homme du terrain en matière de littérature non écrite. Cette littérature inclut la littérature orale mais aussi d'autres littératures particulièrement singulières pour les amis de la Biennale qui viennent pour la première fois en Afrique ou au Burkina Faso.

Pour ma part, j'ai travaillé dans deux domaines particuliers : les tam-tams et les masques. Les deux, je les ai abordés, ou plutôt je m'y suis retrouvé impliqué dès la naissance. En effet, dès l'âge de trois ou quatre ans, à la cour de mon père, que vous allez visiter cet après-midi, j'ai vu des tambours se retrouver le matin, battre, et j'ai constaté que des gens se mettaient à rire ou à froncer les sourcils, et je ne comprenais rien. C'est plus tard que je me suis aperçu que les différents sons qu'émettaient les instruments n'étaient pas simplement des sons pour des rythmes ou des sons pour faire du bruit, mais un tangage. Nous avons le grand tambour qui dit des messages. Lui répondent des tambours plus petits et de toutes dimensions. Ceux d'entre vous qui sont allés ce matin à la cour de Sa Majesté le Moro Nâba ont pu voir le tambour d'aisselle qui s'exprimait, faisait la généalogie du Moro Nâba et expliquait le pourquoi de cette sortie du vendredi. Personne n'ouvrait la bouche. C'est le tambour qui battait et qui s'exprimait. Cet aspect m'a donc frappé dès l'enfance et je lui ai consacré plusieurs travaux, en particulier un livre Le langage des tam-tams et des masques en Afrique (Ndr : Paris, L'Harmattan, 1991).

 

Le langage des tam-tams.

Tout d'abord, le tangage des tam-tams. Ce tangage est très spécial. Dans la parole, l'écriture, la phrase est toute simple. Elle se ramène à sujet, verbe, complément. Le langage du tam-tam n'est pas du même genre. Il s'agit d'un métalangage, d'un langage de langage. Je voudrais me faire comprendre.

Vous êtes allés à la cour du Moro Nâba. Chez nous, quand quelqu'un devient responsable coutumier, dans la mesure où il aura à diriger, à s'occuper de plusieurs personnes, du fait que l'individu est égal à l'individu, il ne peut pas, en tant qu'individu, diriger une communauté. Dès qu'il devient responsable coutumier, l'homme perd son identité d'individu et prend une devise. C'est ainsi que le Moro Nâba que vous avez vu sortir ce matin, s'appelle Moro Nâba Baongo, qui signifie rivière. Et la devise c'est pour dire : L 'homme qui veut mettre le feu à la rivière aura plutôt à amener de l'eau chez lui. Quand les Mossé ont fait la conquête pour se retrouver à Ouahigouya, capitale du Nord
des Mossé, à 200 kilomètres d'ici, ils ont dit: Nous nous arrêtons ici, mais

« Ouahigouya, la puissance n'a pas de fin,

Il faut laisser la puissance finir par elle même. »

Ce qui se dit en moore :

« Wayugui pãng tont saabo

B bas ti pãng s'a a toore »

Il y a des devises d'individu, des devises de personne morale comme les circonscriptions administratives, etc. Mais n'importe quel homme, simple citoyen, peut aussi se choisir une devise. Vers chez moi, quelqu'un a dit : Moi, ma devise, c'est le paresseux et Le plat du paresseux ne .se remplira pas de boue. Il s'adressait à son père pour lui dire : «Que tu m 'aimes parce que je suis paresseux, ou que tu ne m'aimes pas parce que je suis paresseux, de toute façon, tu mettras de la nourriture dans mon écuelle, pas de la boue».

On choisit ces devises en fonction du contexte. A 25 kilomètre d'ici, il y a un village qu'on appelle Sapone. Le roi, le chef qu'on devait nommer y est arrivé à un moment où il y avait une véritable anarchie. Il s'est choisi une devise :

« Le vent a circoncis son fil ,

Ses respects à la montagne et au rocher,

Mais que tout le reste danse la danse des circoncis. »

La danse des circoncis, c'est une danse où tout le monde baisse continuellement la tête. Cela signifie qu'il a demandé au premier ministre du Moro Nâba, le Widi Nâba de l'accompagner pour obtenir le pouvoir auprès du Moro Nâba. La montagne et le rocher auprès desquels il s'excuse, c'est le Moro Nâba et le Widi Nâba. Il dit donc : «Je m'excuse auprès d'eux, mais que tous les autres baissent la tête». Et il s'est imposé, presque par une tyrannie, mais il a amené l'ordre.

Un autre roi était arrivé dans un temps où il y avait trop de superflu. C'est à Sourgou, à environ 100 kilomètres de Ouagadougou, vers l'ouest. Lui il a dit : «La chatte de Sourgou est en grossesse, l'avortement vaut mieux que l'enfantement». Je signale que chez les Mossé, un seul chat suffit pour croquer toutes les souris de la maison. Donc quand la chatte est grosse, c'est plutôt une charge inutile qui se prépare.

Voilà comment sont choisies les devises. Alors, la phrase du tambour, c'est prendre par exemple la devise de Ouagadougou, complétée par la devise de Ouahigouya, complétée par ce qui pourrait correspondre aux armoiries de Paris, complétée parce qui peut provenir de l'aval, etc., et c'est la conjonction de ces devises qui permet de développer le thème.

Pour que l'on puisse comprendre, je vous donne un exemple. On a demandé au tambour de développer le thème de la colonisation et de l'indépendance. En moore on dit :

« Voog wok yaa goanga ;

kosenkond lall .s'a aga... »

En français cela donne :

« Le haut kapotier est incliné,.

Le huppard est adossé au ciel,

Le rouge envahit la contrée,.

Il ne cultive pas le champ

Mais occupe la jarre,.

La joue du garnement ne se ramollit pas par la pommade ;

Il faut un sec gourdin.

Celui qui amasse pressé

Se baigne de chaleur ;

Cent tornades réunies

Ne peuvent fondre le rocher ,.

Le vent est retourné au ciel.

Les cultivateurs rient à gorge déployée. »

Quand on lit comme je viens de le faire, on a l'impression que c'est du charabia. Mais il faut comprendre.

«Le haut kapotier est incliné»: le tambour commence par dire que l'empire des Mossé, qui date d'un millénaire, du fait qu'il est très ancien a fini par perdre de sa force. Ici au Burkina Faso, du fait des vents est-ouest, tous les kapotiers qui deviennent hauts sont inclinés du côté de l'ouest. C'est pour dire que le Moro avait désormais des insuffisances compte tenu de l'âge. «Le huppard est adossé au ciel, Le rouge envahit la contrée» : le huppard est un oiseau avec des ailes rouges. C'est un carnassier. Quand le huppard est en haut, c'est qu'un lion a dû manger un animal. Donc la mort est présente dans le symbolisme. Si le huppard est en haut, c'est le symbole d'un drame qui arrive. Ici, c'est la colonisation.

«Il ne cultive pas le champ. Mais occupe la jarre»: c'est une devise pour ceux qui n'ont pas travaillé à quelque chose mais qui viendront tout récupérer. La colonisation a vu une terre quelque peu fertile. Ce n'est pas elle qui l'a faite fertile, mais elle vient pour récupérer. «Celui qui amasse pressé. Se baigne de chaleur». Cela signifie celui qui se précipite risque d'avoir des problèmes. La colonisation s'est trop précipitée, c'est maintenant la lutte pour l'indépendance Quant aux tornades qui ne peuvent fondre le rocher, c'est pour dire que malgré toute cette violence, on n'a pas pu détruire ta civilisation ou le peuple. «Le vent est retourné au ciel»: la colonisation est retournée chez elle, «Les cultivateurs rient à gorge déployée» : le pays a retrouvé son indépendance.

Mais il faut aussi savoir que «Le haut kapotier est incliné», c'est la devise de Voaaga, une circonscription administrative; «Le huppard est adossé au ciel», c'est celle de Tambogo, etc. Donc le langage du tambour est une juxtaposition de ces devises.

Ce qui est important, et je vous le rappelle, c'est qu'on choisit la devise en fonction du contexte politique du moment. Dès que vous en interprétez une, vous avez la situation politique du moment, la situation sociale, la situation culturelle. Donc la phrase du tambour est une phrase qui constitue une sorte d'archive, une sorte de bibliothèque, J'ai dit que cela était peut-être un handicap, puisqu'en raison de l'existence de ce genre de langage qui renferme toute la culture, l'écriture n'était pas apparue nécessaire. Ce langage est devenu une sorte de pesanteur qui a retenu ces peuples dans l'invention de la culture écrite. Ils n'en avaient pas besoin pour conserver leur mémoire.

Et la conservation de cela même s'est imposée par la force. Il y a quelques années, j'ai été invité par le Nâba de Tenkodogo, qui est supposé être le père du Moro Nâba de Ouagadougou. C'était la période qui correspond au nouvel an. Il y a à ce moment le grand tambour qui bat la généalogie et qui dit, à la fin de chaque épisode : «Telle période nous étions là, le roi a fait ceci ou cela, malheureusement cela s'est retourné contre le peuple, et la mort a .suivi. Telle autre période, il y a eu l'abondance...» Et il tire la conclusion pour qu'on puisse voir comment orienter l'avenir.

Or j'assistais à cette cérémonie à un moment terrible de notre pays : on avait décidé de supprimer la chefferie traditionnelle. Après avoir fait la généalogie, le tambour a dit :

« L'homme ne doit pas dire qu'une .saison est devenue mauvaise,

pour détester son père

et méconnaître son grand-père .

Si le père a appris à tisser et était tisserand,

il ne faut pas détester les tisserands. »

Le tambour a donc tiré la conclusion pour dire : «Il ne faut pas oublier et méconnaître la culture du peuple, l'homme doit rendre grâce et voir dans la culture de son peuple des valeurs à pouvoir méditer» .

Si je vous fait état de cela, c'est parce que le tambour, pendant qu'il bat, est contrôlé par quatre ministres de contrôle. S'il se trompe, c'est qu'il veut que le peuple s'oriente vers le malheur. Et il est mis à mort dans tes quarante-huit heures. Donc il a intérêt à préserver lui-même, à étudier, à connaître la culture du peuple pour pouvoir l'exprimer et pour que le peuple s'en serve pour aller de l'avant. C'est pour cela que certains ont dit que la littérature orale dans ce milieu avait un caractère scientifique parce que ceux qui sont chargés de la connaître et de la défendre le garantissent par leur propre vie.

Sous l'angle de cette littérature, il y a aussi les légendes. Par exemple la légende de Bilgo : celui qui est né sans placenta c'est-à-dire sans accouchement, après neuf ans et non neuf mois de grossesse, et qui est mort au même moment en deux lieux différents: la ville de Pô, historiquement connue aujourd'hui et la ville de Nobéré. Deux délégations venues de chacune des localités se rencontrèrent :

« Ne i y tarm

Wend na ma ag teng t b gaande. »

« Nos condoléances

Que la terre lui .soit légère. »

Puis elles se sont serré la main et elles furent transformées en rochers.

Il y a aussi la littérature de la légende, celle de la musique, celle des contes, celle des solemkoeesse, c'est-à-dire des contes courts, qui ne sont pas du tout des contes courts mais des phrases courtes, versifiées sur le même nombre de pieds. Tout cela forme cette littérature qui n'est pas une littérature simplement orale mais une littérature non écrite.

 

Le langage des masques

J'ai également fait des travaux sur le langage des masques. J'aurai à en reparler tout à l'heure quand vous viendrez visiter Manega. Je suis de ceux qui disent qu'il n'y a pas de masques de danse. Très généralement vous ne connaissez l'Afrique que par des masques qu'on voit se trémousser, mais il faut comprendre.

Des amis européens m'avaient rendu visite. Ils avaient vu le masque, à l'occasion de funérailles, se prosterner, se relever, s'éloigner, revenir, etc. Ils m'ont demandé ce que faisait le masque en dansant comme ça. Je leur ai dit: - Non, le masque ne danse pas. Il dit un message. Chez vous, vous avez le discours par l'écriture. Vous avez le bic qui écrit : il ne danse pas, il matérialise des caractères intelligibles qui, associés, constituent un discours qu'on appelle le langage écrit. De même le tambour ne danse pas, le tambour ne parle pas. Je suis contre l'appellation « tambour parleur ». Le tambour émet des sons qui sont intelligibles et qui forment un langage, le langage tambouriné que j'ai appelé bendrologie.

De même le masque ne danse pas. Le masque matérialise des comportements physiques qui sont intelligibles et qui associés constituent un discours. Le masque des funérailles venait tout simplement de dire : «Dans la case que voici il y a un homme qui est malade, il faut aller dans la brousse prendre les graminées, faire une décoction et la lui donner pour obtenir la guérison.

Et j'ai dit à ces Européens : - Peut-être qu'on vous a expliqué que Maître Pacere défend de manière maladive la culture africaine. Eh bien allez voir ces vieux assis dans la poussière, assez loin de nous et qui n'ont pas pu m'entendre. Faites-vous accompagner par un enfant de l'école primaire qui parle le français et demandez à ces vieux de vous expliquer ce que fait le masque. Ils sont allés et sont revenus me dire : - «Le masque a dit que dans la case que voici, il y a un homme qui est malade, etc.»

Le masque a donc lui aussi un discours. Son langage peut être spécial. À titre d'illustration je rappelle ici une anecdote que connaissent mes amis présents. Un jour le masque avait dit :

« Un vieil os du champ de maïs,

Dort dans le champ de maïs ;

Les fourmis rouges s'associent par centaines,

Ne peuvent le déplacer ,.

Un chien voleur vient le prendre

Et l'emporte dans sa demeure. »

Un os qui dort dans un champ de maïs, c'est qu'on l'a jeté, que personne ne le veut. Et si personne ne le veut, ça veut dire que n'importe qui peut le prendre. Mais voici que les fourmis rouges n'arrivent pas à la prendre alors qu'un chien, animal réputé voleur, l'emporte. Le masque a voulu dire que dans la vie d'une nation la raison ne suffit pas, les fourmis avaient raison, le droit ne suffit pas, les fourmis avaient le droit: une force aveugle, le chien réputé voleur, peut l'emporter sur la raison et le droit. Donc si vous êtes croyants, priez Dieu qu'il n'y ait pas un dictateur à ta tête de la nation. Si vous êtes simplement citoyen de votre pays, luttez pour que, à la tête de la nation, il n'y ait pas un dictateur. On voit que le message du masque est éminemment poétique, éminemment politique, éminemment social...

Ce langage du masque intervient à deux périodes. Quand une personne est morte, on refait la vie du défunt : «Il est né à tel endroit, il s'est marié, il a eu tant d'enfants, mais voici que la mort l'a emporté, il aurait fallu prendre telles graminées, etc.» comme je vous l'ai déjà dit. Mais en dehors de la mort physique, il y a ce qu'on appelle la mort culturelle. Chez nous l'homme n'est pas ramené à son corps physique. La mort intervient trois mois, six mois, deux ou trois années après, suite à un rituel qu'on appelle, improprement d'ailleurs, funérailles. C'est uniquement après ce rituel que l'intéressé rejoint les ancêtres. Tant que ce rituel n'a pas été accompli, le monsieur n'est pas mort. Les enfants ne peuvent pas hériter de leur père parce qu'il est supposé vivant. Les veuves ne peuvent pas se remarier parce que leur mari est toujours supposé vivant.

Donc lors du premier rituel qui comporte 333 mouvements de masque, c'est la vie de l'intéressé qu'on refait. Mais lors des funérailles, lors de la mort culturelle, on a plutôt des formules de sagesse.

Par exemple, en moore on dit :

« Gomtiuug

Yeela me :

Mam se n waa

N puk Dunia

Tengr

Yaa beega.

Mam saa n naa n kiene

Tengr

Y aa beega ;

Ti mam naa

N maag m menga,

N lamsde,

N lamsde,

N lamsde. »

En français, le masque disait :

« Le caméléon

A dit :

Quand je venais

Au Monde,

Tout s'éboulait ,.

Quand je voulais marcher,

Tout s'éboulait.

J'ai décidé de prendre

Tout mon temps

Pour marcher doucement,

Doucement,

Doucement. »

Mais derrière ce langage qui est déjà métaphysique, c'est encore un autre langage qui intervient où le masque ne parle pas de caméléon. Il dit : «Il faut savoir que la terre est quelque chose qu s'éboule. Il faut .savoir que la vie, c'est quelque chose de très difficile . Alors, il faut aller doucement, doucement, doucement».

Voilà ce que je peux vous présenter de mes travaux, ou plutôt comme introduction à mes travaux parce que ce volume n'est que le premier. Il yen a onze autres, non plus sur la théorie, mais sur la pratique du tambour.

Je terminerai par un poème, le poème d'un enfant. Je dis un enfant parce qu'il est mort à trente ans, mort parce qu'il n'a pas eu 25 francs CFA, c'est-à-dire 25 centimes de francs français pour s'acheter un cachet de Ganida. C'est le plus populaire et le plus grand poète de la littérature du violon traditionnel qu'on appelle la littérature de la vielle. Il s'agit de Kabore Mathias.

J'ai directement pris ce qu'il disait avec son violon et je vous lis en français ce que cela veut dire :

« Accompagne-moi,

Accompagne-moi à Panguin.

Le Gnougnoaga

Il y tient la Hache Sacrée qui tue .

Les hommes de Sesseko disent
Qu'ici ils n'ont pas la Hache Sacrée.
Vent de Mankouggdougou
Compagnon, mon ami,

Sois mon compagnon!!

 

Hommes,

Où est l'origine du Pouvoir ?
Le Pouvoir fut à Gambaga.

La cola recherche l'eau.
Gambaga!

Gambaga!

Le tamarinier est tombé à terre .
La saveur est sans fin.
Gambaga!

Viens, viens mon ami,

Sois, sois mon compagnon !

 

L'Ancêtre fut le mortier .
Gambaga!

La cola recherche l'eau.
Gambaga!

Le mortier enfanta Yennenga ;
Yennenga enfanta l'Étalon,
L'Etalon enfanta Zoungrana,
Zoungrana enfanta

Oubri du Kadiogo.

Viens, viens mon ami,

Sois, sois mon compagnon !

 

Ils enfantèrent le Mortier ;

Ils enfantèrent Zoungrana.

La vieille terre ne se couvre pas de moisissures.
Viens, viens mon ami,

Sois, sois mon compagnon !

 

L'Eau, l'Eau fils de Zalissa

N'est plus;

Le Ciel, fils de la Courte Étrangère

N'est plus.

Il reste la pierre

Du symbole de la Mort.

La pierre du bonheur s'est installée.
L'éviction est difficile
,.

Les arbres fruitiers .sont par centaines,

Le colatier produit le plus grand bénéfice ;

Le Sage ancien est adossé au muret,

Celui qui contourne se fait du tort,

Celui qui atteint la récolte atteint le bénéfice.
Viens, suis-moi à Panguin,

Le pouvoir fut à Panguin ,.

Viens, mon ami,

Sois, sois mon compagnon !

Le sage ancien est adossé au muret ,.
On entre pas à Panguin par la force ,
On entre à Panguin par la ruse.

Le Gnougnoaga !

Il tient

La Hache Sacrée qui tue .

Les hommes de Sesseko disent
Qu'ici, ils n'ont pas la Hache Sacrée.
Vent de Mankougdougou,

La Hache de Gnougnoaga

N'est pas un jeu pour enfants !

Mon ami, viens mon ami,

Sois mon compagnon ! »

 

Si je lis la littérature de cet enfant, c'est pour dire qu'au Burkina Faso, dans le langage de la littérature orale, dans le langage de la vielle, du tambour ou du masque, c'est pour dire: Vous êtes venus, nous sommes venus, nous souhaitons longue vie à ta Biennale, souhaitons que cette Biennale fasse de nous des compagnons, fasse de nous des frères !

 

Jacques Chevrier

Ces applaudissements nourris disent tout l'intérêt, tout le plaisir que vous avez eu à rencontrer Maître Titinga Pacere. Mais ce n'est pas fini, nous allons le retrouver tout à l'heure.

Il est temps de clore le débat. Il m'a semblé, dans tout ce qui a été dit et en particulier dans ce que disait Maître Pacere à l'instant, que très souvent le discours oral est une parole biaisée. On fait semblant de parler de quelque chose mais on parle d'autre chose. Ce langage est très poétique et très métaphorique. Ce que nous avons entendu ce matin, montre à quel point la tradition orale est complexe, riche. Et je pense que les Européens qui regardent quelquefois l'Afrique avec dédain auraient intérêt à entrer dans ces cultures dont la complexité peut être déroutante. Très souvent on croit comprendre mais, comme avec les pelures de l'oignon, il faut aller plus loin pour accéder à la connaissance.

Je remercie très chaleureusement tous les orateurs et je remercie aussi le président d'avoir accepté d'organiser cette table ronde qui aura été un des temps forts de la Biennale.

 

Roland Eluerd

J'ai vu souvent au cinéma ou à la télévision de jeunes écoliers africains réciter, avec beaucoup de grâce et d'élégance, les poèmes de mon pays, de La Fontaine, de Lamartine. Alors, Maître, et je m'adresse ainsi au poète et à l'avocat, permettez-moi, en retour, de lire quelques vers qui prépareront notre voyage de cet après-midi. Extraits de votre recueil Refrains sous le Sahel, ils terminent en effet le poème qui s'intitule Manega. Entendez-les comme un hommage que nous vous rendons tous et que nous rendons à l'Afrique :

« Chaque pierre

A son histoire !

Chaque feuille

Son histoire !

C'est le lieu où se retrouvent

Patiemment rassemblés

Dans le Cœur des aînés,

Tous les souvenirs de fonds antiques !

C'est

Une terre d'originalité,

Une terre de fidélité,

Où la case comme le ruisseau

Le rocher comme la rivière

Ne sont pas comme ailleurs ;

Où l'homme est producteur,

Et le producteur à l'échelle des hommes ;

Où l'artisan

Et le fabricant

Suivent leur œuvre

Avec. une patiente ténacité

Pour lui transmettre le réel d'eux-mêmes.

Je suis né dans ce village,

Perdu des savanes,

Dans la chaleur du Sahel,

Où la pluie nous vient des rivières! »

 





A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93