Youssouf OUEDRAOGO

Maître-assistant au département de Lettres modernes, F.L.A.S.H.S., Université de Ouagadougou

 

Le français basilectal dans la littérature burkinabè

 

Dans son ouvrage intitulé La dimension hylique du roman, Javier GARCIA MENDEZ écrit : « L'écrivain travaille avec la pluralité des langages parlés dans la société qui est la sienne ; sa tâche consiste à reproduire, transfigurer et restructurer ces langages dans une forme esthétique ; le résultat de son travail - le texte - est une matérialisation littérairement organisée de la diversité des langages.» On sait par ailleurs que l'une des caractéristiques des sociétés

africaines actuelles est un multilinguisme composé des langues locales et une ou des langues européennes. Les divers modes d'apprentissage de ces dernières ajoutent une autre dimension à la pluralité des variétés de langue qui y sont pratiquées. Dès lors, une littérature dans ces langues étrangères se doit de prendre en compte cette spécificité. Au Burkina, la littérature en français n'échappe pas à cette nécessité. Comment la multiplicité des langages que l'on constate dans la réalité se manifeste-t-elle dans cette littérature ? Et plus particulièrement, comment la variété de français produite par les locuteurs non lettrés, connue sous le nom de français basilectal, est-elle reproduite dans les œuvres romanesques et dramatiques d'auteurs burkinabè ?

Pour répondre à cette interrogation, je vais essayer dans un premier temps de présenter rapidement les caractéristiques linguistiques de cette variété dans les textes, puis dans un second temps de voir les objectifs principaux que recherchent les écrivains par leur emploi.

Les ouvrages suivants serviront de corpus pour cette analyse :

Jean-Pierre GUINGANÉ, Papa, oublie-moi, Ouagadougou, UNICEF - Théâtre de la Fraternité, 1990.

Norbert ZONGO, Rougbêinga, Ouagadougou, éd. INC, 1990.

 

I. Présentation linguistique

Pour mieux comprendre les particularités linguistiques des énoncés basilectaux produits par les personnages littéraires, il est intéressant de les situer globalement de façon théorique par rapport aux autres pratiques de la langue française au Burkina. Pour ce faire on peut s'appuyer sur un article publié par Issaka NACRO(1) qui distingue au sujet des formes et des constructions linguistiques trois strates :

- Le niveau basilectal constitué de fautes d'orthographe et de syntaxe par rapport à la norme académique. Cette variété est produite généralement par un prolétariat urbain très peu lettré ayant tout au plus le niveau de l'école primaire.

- Le niveau mésolectal s'apparentant au français standard, mais comportant des régionalismes lexicaux notamment, du type de ceux qui sont relevés dans L'Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire. Les auteurs de cette variété se recrutent dans la classe moyenne de la société avec un niveau de scolarisation du secondaire.

- Le niveau acrolectal caractérisé par des usages normatifs de la langue s'appuyant sur une norme académique. Les locuteurs de cette variété possèdent au moins le baccalauréat.

Comme on peut le constater, le français basilectal est le fait de locuteurs ayant une très faible connaissance de la langue. Si certains ont pu acquérir ces quelques éléments sur la langue à l'école, la grande majorité de ces locuteurs les ont acquis sur le tas, c'est-à-dire par un apprentissage en milieu naturel, d'où les multiples anomalies et distorsions commises à tous les niveaux. Cette variété reçoit diverses appellations : au Burkina elle est connue sous le nom de français ancien combattant, de français de Goama ; de façon générale on l'appelle français petit nègre, faux français, français approximatif, etc.

 

I.1. Comparaison avec la norme du français standard

L'objet de notre rencontre n'est pas de condamner des usages du français en disant "ce que vous dites ou ce qu'il dit n'est pas bon" et de proposer une forme correcte du type "il faut dire ceci ou cela", mais de décrire la langue française, de montrer sa diversité, de la célébrer. Mais, pour la décrire et pour en faire percevoir la diversité, il nous faut nous appuyer sur une référence. Et on sait que l'étalon habituellement retenu pour cela est la norme du français standard : on pourrait alors parler d'approche normative. Mais dire que notre approche sera normative ne serait pas tout à fait satisfaisant. Nous avons alors envie de dire qu'elle est "normatologique" (pour éviter de laisser penser qu'elle est prescriptive), c'est-à-dire un discours sur la langue s'appuyant sur la norme. Mais cette appellation peut être également insatisfaisante du fait de l'ambiguïté du concept de norme à cause de sa polysémie. Dire qu'elle est "standardologique" - et les énoncés analysés considérés comme étant des "standardismes" - serait peut-être plus proche de la réalité mais le mot n'est pas très joli et connote toujours un sens de jugement péjoratif. Pour éviter de juger dans notre description, nous avons décidé de parler d'approche comparatiste, et de nommer les énoncés des créations.

 

I.1. Une variété faite de créations nouvelles

I.1.1. Les créations phonétiques

Il est toujours délicat de parler de réalisations phonétiques quand on travaille sur de l'écrit comme c'est le cas ici, celles-ci pouvant varier d'un individu à l'autre, mais le risque peut être pris, la reproduction orale de l'écrit présentant malgré tout des constantes. Les principales créations qu'on constate dans les énoncés basilectaux de personnages littéraires burkinabé révèlent des substitutions, des ajouts et des suppressions phonétiques.

L'étude de ce type de créations présente de multiples dangers liés soit à l'hypercorrection (risque d'être trop sévère, de ne pas tenir compte des spécificités de l'ordre de réalisation orale et d'analyser toutes les productions selon les grilles de l'écrit), soit à l'absence de distance qui empêche l'analyste africain ou burkinabè d'être capable d'observer et de considérer comme correctes des réalisations non standard.

I.1.1.1. Les substitutions

Ce sont incontestablement les formes de créations, tous types confondus, les plus nombreuses. Elles portent aussi bien sur les voyelles que sur les consonnes. Du fait de leur nombre élevé, il ne sera pas question ici de chercher à relever ni tous les types de phonèmes substitués ni tous les énoncés. Contentons-nous de quelques exemples qui nous semblent suffisants pour donner une idée du phénomène.

- Les voyelles

[a] employé à la place de [e]

"sarsent" mis pour "sergent", Rougbêinga, p.63

"Ti conna rian" pour "tu connais rien", Rougbêinga, p.63

 

[é] employé à la place de [eu]

"Sarsent elle vé pas" pour "sergent elle veut pas", Rougbêinga, p.63

"Dé" pour "deux", Papa, oublie-moi, p. 63

 

[é] employé à la place de [e]

"Francé" pour "France" , Papa, oublie-moi, p.59

"boiré" pour "boire", Papa, oublie-moi, p.56

"Tout lé monde" pour "tout le monde", Papa, oublie-moi, p.57

"A rien dé mal" pour "Rien de mal", Papa, oublie-moi, p.57

"sé qué zé pé fai" pour "ce que je peux faire", Rougbêinga, p.54

 

[i] employé à la place de [u]

"Silence ou ti va sort" pour "silence ou tu vas sortir", Rougbêinga, p.63

"mitilé de guerre" pour mutilé de guerre", Papa, oublie-moi, p.60

 

[i] employé à la place de [wa]

"Mon femme il bit kiapalo" pour "Ma femme, elle boit kiapalo", Papa, oublie-moi, p.57

 

[i] employé à la place de [è]

"Mison" pour "maison", Papa, oublie-moi, p.58

 

- Les consonnes

[z] employé à la place de [c]

Merzi beaucoup" pour "Merci beaucoup", Papa, oublie-moi, p.57

 

[c] employé à la place de [g]

"Si collèce dans son vilace" pour "Y a-t-il un collège dans son village", Papa, oublie-moi, p.58

"Souvasse" pour "sauvage", Rougbêinga, p.52

 

[z] employé à la place de [g]

"Méninzite" pour "méningite", Papa, oublie-moi, p.60

 

I.1.1.2. Les ajouts

Les ajouts de phonèmes peuvent se faire en début de mot.

"Zenfant" et "nenfant" pour "enfant", Papa, oublie-moi, p. 59

"Navenir" pour "avenir", Papa, oublie-moi, p. 59

"Nopital" pour "hôpital", Papa, oublie-moi, p. 63

"Zimbécile" pour "imbécile", Papa, oublie-moi, p. 60

"Zarbre" pour "arbre", Papa, oublie-moi, p. 61

 

L'ajout peut s'opérer à l'intérieur d'un mot.

"Boloqué" pour "bloqué", Papa, oublie-moi, p.60

"Balandine" pour "Blandine", Papa, oublie-moi, p. 60

 

I.1.1.3. Les suppressions

Les suppressions se manifestent essentiellement en début de mot et se limitent à la voyelle initiale.

"Lui m'pélé moi" pour "il m'a appelé", Rougbêinga, p.49

"Sarsent elle vé pas cepté" pour "Sergent, elle ne veut pas accepter", Rougbêinga, p.63

"Coutez-moi ben bon" pour "écoutez-moi très bien", Papa, oublie-moi, p.59

"Toudié" pour "étudié", Papa, oublie-moi, p. 59

 

I.1.2 Les créations syntaxiques

Dans ces créations nous regroupons trois types de construction : l'emploi d'éléments grammaticaux (déterminants, prépositions, conjonctions, etc.), l'agencement de constituants et l'absence de constituants fondamentaux.

- L'emploi d'éléments grammaticaux

Il peut s'agir d'ajouts.

Ajout d'adverbe

"Elle si bivé beaucoup beaucoup kiapalo" pour "elle, elle boit beaucoup de kiapalo", Papa, oublie-moi, p. 60

 

Ajout d'article

"Touer sept la maladie" pour "tuer sept maladies", Papa, oublie-moi, p. 62

"Mon cinq la doigt" pour "mes cinq doigts", Papa, oublie-moi, p. 62

 

Ajout de préposition

"Mais il vé pas dire à où" pour "mais il ne veut pas dire où", Rougbêinga, p.166

"Mon sarsent est-cé qué on va pas voir Liguidy en premièrement" pour "Sergent est-ce que on ne va pas voir d'abord Liguidy", Rougbêinga, p.165

Les créations dans l'emploi d'éléments grammaticaux peuvent se traduire par des substitutions.

Substitutions d'adverbes

"Coutez-moi ben bon" pour "écoutez-moi très bien", Papa, oublie-moi, p. 59

Substitutions de pronoms

"Tasse lui et mené lui ici" pour attache-le et amène-le ici", Rougbêinga, p. 59

"V'la lui sarsent" pour "Le voilà sergent", Rougbêinga, p. 60

 

Substitutions d'articles

"Mon femme il bit kiapalo" pour "Ma femme, elle boit kiapalo", Papa, oublie-moi, p.57

 

- L'agencement de constituants.

Ces agencements concernent la place du pronom complément resté à l'endroit du nom qu'il remplace et non antéposé.

"Captél, sé lé Noir même qui coumencé à tié nous" pour "Capitaine, ce sont les Noirs qui ont commencé à nous tuer", Rougbêinga, p. 82

"V'la lui sarsent" pour "Le voilà, sergent", Rougbêinga, p. 60

 

- L'absence de constituants fondamentaux.

Parfois le prédicat se ramène à des constituants autres que verbaux même dans des phrases normalement verbales.

"Moi content pas ça di tout" pour "moi, je ne suis pas content du tout", Papa, oublie-moi, p. 58

On note également l'absence fréquente d'auxiliaires verbaux.

"Je parti donc voir le féticheur" pour "je suis allé voir le féticheur", Papa, oublie-moi, p. 61

"Je parti voir marabou" pour "je suis allé voir le marabout", Papa, oublie-moi, p. 61

 

I.1.3 Les créations lexicales

Elles se traduisent essentiellement par des créations de mots nouveaux, généralement à partir d'éléments de la langue.

"Bougidandouille" pour "bougre d'endouille", Rougbêinga, p. 52

"Causément" pour "causerie", Papa, oublie-moi, p. 58

"Bandissalo" pour "bandit, salaud" ou "bande de salauds", Papa, oublie-moi, p. 60

"Pigasses" pour "pioches", Rougbêinga, p. 54

"Foumalekan" pour "Fous-moi le camp" ou "foutez-moi le camp", Rougbêinga, p. 57

 

Les créations lexicales peuvent également être des emprunts divers.

"Kiapalo" pour "bière de mil", Papa, oublie-moi, p. 60

"Garibou" pour "mendiant, élève d'école coranique", Papa, oublie-moi, p. 59

Dans les emprunts à des langues burkinabè, les interjections occupent une place importante.

"Ti conna rian wê" pour "vraiment tu ne connais rien", Rougbêinga, p. 63

"Faut faire par force kai!" pour "Mais, il faut utiliser la force!", Rougbêinga, p. 63

"Passé-qué on pé pas terré avec lé flèces là dès" (dès : emphatiseur difficile à traduire en français), Rougbêinga, p. 166

 

Enfin les créations lexicales peuvent se limiter à une modification du sens de mots français existants ou à l'emploi de mots français pour d'autres.

"Tous si mort moi je posé seul" pour "tous sont morts et je suis seul", Papa, oublie-moi, p. 61

"Je parti voir medecin général Laforêt" pour "je suis allé voir le médecin général Laforêt", Papa, oublie-moi, p. 62

"Son darrière est sec comme un vié marigot" pour (à peu près) "son postérieur est tout plat", Rougbêinga, p. 63

"Moi, j'ai gagné six nenfants" pour "moi, j'ai eu six enfants", Rougbêinga, p. 61

"Pour conduir aviation" pour "pour devenir pilote", Papa, oublie-moi, p. 59

 

I.2. Comparaison avec d'autres variétés approximatives : les sabirs et les pidgins.

Avant de procéder à cette comparaison, rappelons rapidement ce qu'est un sabir et ce qu'est un pidgin. Le sabir et le pidgin naissent tous d'un besoin de communication entre deux ou plusieurs communautés qui ne possèdent pas de langue commune. Ces groupes vont donc créer un système linguistique puisant dans les différentes langues en présence. Si ce système, utilisé pour des besoins de communication particuliers, se ramène à quelques structures syntaxiques et à un vocabulaire limité on parlera de sabir. Si au contraire il couvre des besoins de communication plus étendus, on parle de pidgin. Enfin, le sabir tout comme le pidgin ne sont les langues maternelles d'aucun des groupes.

L'observation des caractéristiques du sabir et du pidgin d'une part et de la variété basilectale d'autre part fait apparaître des points communs. Ils puisent tous d'une certaine manière les formes dans les langues en contact. Pour le français basilectal, les éléments lexicaux, phonétiques et syntaxiques appartiennent à la fois au français et aux langues de nationalité burkinabè.

Cependant on constate un grand nombre de points de différences entre le français basilectal et les sabirs et les pidgins :

- Sabir et pidgin sont d'une utilisation communautaire alors que le français basilectal procède d'une utilisation individuelle. En effet, contrairement aux sabirs et aux pidgins qui se pratiquent à une échelle étendue, sinon par tous les membres de la communauté ou de plusieurs communautés ou en tout cas par la majorité, le français basilectal est le fait de quelques individus isolés. Dans les œuvres littéraires considérées, ce qui, toute proportion gardée, reflète une certaine réalité, sa pratique se ramène à un personnage dans Papa, oublie-moi, le personnage de l'ancien combattant Sarzan, et à quelques personnages dans Rougbêinga, les gardes notamment.

- Le français basilectal n'est pas une variété stabilisée avec des récurrences strictes. En effet, si l'on constate la récurrence de certaines formes phonétiques et syntaxiques notamment, et qu'on note des phénomènes explicables en termes de règles par la négative (par exemple un locuteur basilectal moréphone ne réalisera pas le son [y] dans ses énoncés parce que ce son n'existe pas dans sa langue), les formes présentent parfois des variantes chez le même locuteur : "Mon zenfant" ; "nenfant si malade" dans Papa, oublie-moi. D'autre part certaines formes varient selon les locuteurs de langues premières différentes : dans Rougbêinga, le mot "commandant" est réalisé différemment suivant que le personnage est moréphone ou qu'il est bwabaphone : les moréphones réalisent "coumandant" et les bwabaphones réalisent "coumandow".

En résumé, au vu de l'importance de ces différences, on peut considérer que le français basilectal n'est ni un sabir ni un pidgin mais une simple variété de français comportant des idiomatismes et des créations explicables par le système du français et des langues africaines.



II. Les valeurs littéraires de ces variétés

Dans ce petit paragraphe nous essayerons de répondre à la question suivante : en quoi le français basilectal en tant que choix de présentation des discours des personnages participe-t-il de l'esthétique littéraire ou encore quelle est la place de cette variété dans la beauté ou la littérarité des textes ? En d'autres termes, il s'agit de se demander si le fait d'avoir choisi de présenter les propos des personnages sous cette forme contribue à rendre l’œuvre plus belle ou au contraire si cela entache cette beauté.

Une des conditions d'esthétique est qu'il faut qu'il y ait une rencontre entre la fiction et la réalité. Cette condition est tout à fait conforme à ce qu'on constate dans les textes de notre corpus puisque effectivement le type de personnage existe bel et bien dans la réalité et les propos tenus dans les œuvres littéraires reflètent l'image de ce qui est vécu dans la vie de tous les jours. Sarzan dans Papa, oublie-moi et les gardes forgos dans Rougbêinga s'expriment comme le font les anciens combattants et les gardes républicains.

Pour que la beauté soit considérée comme relevant de l'esthétique négro-africaine, il faut que le personnage qui prétend parler français exprime une conception du monde par l'Africain. Il suffit pour cela de se référer par exemple aux créations lexicales (bandissalo, bougidandouille) pour qu'apparaissent ces aspects.

Enfin, un élément important d'esthétique en général est que l’œuvre doit donner du plaisir; et une des traductions de cela est que les passages de français basilectal cherchent à faire rire. Ce qui amuse dans ce cas précis est que les personnages sont très sérieux et surtout convaincus de la qualité de la langue utilisée.

Cependant, on peut se demander si à vouloir trop rechercher ce réalisme les écrivains n'excluent de la compréhension ou en tout de la jouissance de cette beauté tous les lecteurs qui n'appartiennent pas à la culture, à la langue africaine dont ils s'inspirent ou qui n'en ont pas une connaissance approfondie. Cela reste une question posée.

En résumé, pour que l’œuvre manifeste une beauté africaine, le texte littéraire doit apparaître comme l'expression d'une identité, de sorte que le lecteur ne ressente pas un certain dépaysement. Les éléments linguistiques relevés complètent en cela les références onomastiques africaines (de lieu, de personnages, etc.)

 

Conclusion générale

Il y a quelques années, lorsqu'on s'est mis à s'intéresser ou à prendre en compte ce qui apparaît comme un français proprement africain, on a parlé d'africanisme, tout comme il est question de belgicisme, d'anglicisme, etc. Mais l'Afrique est vaste, multiple, variée, et le terme d'africanisme n'a pas toujours permis d'être précis. On a alors choisi de parler de particularités du français d'Afrique. En comparant les deux appellations, on peut estimer que c'est du pareil au même. Comme on sait que les constructions indexées sont générées par les spécificités des nationalités (langue et culture notamment), ne pouvait-on pas ou ne pourrait-on pas s'appuyer sur les dénominations des nationalités pour les désigner et parler alors de dioulanisme, de morénisme, de foulanisme, etc. quand le phénomène en question est nettement identifié comme s'expliquant par la langue et/ou la culture dioula, moaga ou peul ? Ces désignations auraient sans doute l'avantage de la précision mais posent deux types de problème : d'une part celui de la trop grande segmentation et d'autre part celui de l'exclusion de certains phénomènes qui ne sont spécifiquement propres à aucune nationalité mais à l'espace commun à toutes les nationalités qui a généré ses propres éléments langagiers. Dans tous les cas, si l'emploi de ces variétés répond à ce souci de réalisme notamment, il pose tout de même le problème de la codification, c'est-à-dire des règles orthographiques. Avec quel système graphique transcrire ces discours ? le système phonétique, le système orthographique du français ou un système original ?

Qu'apporte ce type de variété de langue qu'est la variété basilectale à la langue française ?

Évidemment deux positions opposées sont possibles en face d'une telle question. La première est celle des conservateurs qui tiennent à une certaine pureté de la langue et qui considèrent qu'elle contribue à la dégradation du français. La seconde est celle, plus progressiste, qui, s'appuyant sur le point de vue selon laquelle la diversité est une richesse en soi, estime qu'elle constitue un enrichissement du français. Dans tous les cas, dégradation ou enrichissement, la variété est là et ce ne sont pas les condamnations ou les fleurs jetées qui changeront quelque chose, surtout que ses locuteurs ne savent pas lire et ne se sentent pas concernés par nos discours savants.

 

Notes

(1) Issaka Nacro, Cahiers de linguistique sociale,1988 - 2 - n° 13, Université de Rouen, p.134-146.

 

Bibliographie

CAITUCOLI (Claude), Le Burkina Faso, société multilingue et sa représentation dans le roman burkinabè, Annales de l'Université de Ouagadougou, numéro spécial, décembre 1988.

MENDEZ (José Garcia), La dimension hylique du roman, Québec, Le Préambule, 1990.

NACRO (Issaka), Le français parlé au Burkina Faso : approche sociolinguistique, Cahiers de linguistique sociale, 1988 - n°13, Université de Rouen.

PRIGNITZ (Gisèle), Aspects lexicaux, morphosyntaxiques et stylistiques du français parlé au Burkina Faso (période 1980-1996), Thèse de doctorat, Université de la Sorbonne nouvelle Paris III, 1996.

 

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Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93