De la variation externe pour une communauté sociolinguistique francophone

 

Ousmane DIAO et Babacar FAYE

 

Beaucoup de communautés sont aujourd’hui dans une certaine bilingualité réelle ou imaginaire grâce aux contacts de langues réels ou virtuels toujours croissants. Dans cet «imaginaire des langues» (E. Glissant), les instances de la Francophonie ont raison de parler de «langues partenaires» qui pousseront le français à être une langue-cultures dans une totalité éparpillée. Dans cette perspective, il est nécessaire d’examiner la nécessité de passer du Dictionnaire français d’une part et de l’Inventaire des particularités d’autre part, au Dictionnaire francophone comme instance de légitimation de la langue française. Une telle instance francophone lato sensu que Dumont (2001) appelle de ses vœux aura à jouer un rôle important dans le décloisonnement des pratiques linguistiques en se rappelant qu’aujourd’hui chacun vit chez soi dans le monde

La codification permanente d’une langue ne peut ignorer sa variation extralinguistique (ex. variation du français liée au contact de langues qui ont des racines éloignées) si l’on veut construire une communauté sociolinguistique au-delà de la communauté linguistique restreinte.

Une communauté sociolinguistique est une communauté de reconnaissance qui assure l’effectivité de la communication linguistique dans une variation externe légitimée et non renvoyée à la marge, et où l’expression «écrivain francophone» ne serait plus une hétérodésignation marginalisante (Caïtucoli, 2004).

Nous démontrerons cette idée de communauté sociolinguistique à travers une variation socio-langagière que la Francophonie devrait prendre en compte parce que regroupant des communautés de pratique différentes.

 

Mots-clés: Francophonie, variation externe, communauté sociolinguistique, dictionnaire francophone




  1. Du Dictionnaire français d’une part et de l’Inventaire des particularités d’autre part, au Dictionnaire francophone

Une description dichotomique du français parlé en Afrique a amené les spécialistes à créer des inventaires pour faire état de normes endogènes capables de prendre en charge les subtilités de la réalité locale (Inventaires répertoriés dans Frey, 2006 (b)). Cette démarche aboutit à la réalisation de l’Inventaire des particularités lexicales en Afrique noire (IFA) mais en maintenant, pour la plupart des cas, une description dichotomique. Le Dictionnaire francophone universel semble être dans la bonne voie à travers l’institution (AUF) qui l’a pris en charge, il dégage une image particularisante comme s’il était réservé aux francophones autres que les Français.

Quant à la BDLP (Base de données lexicographiques panfrancophone : www.bdlp.org.), elle peut être un artefact de l’entrée des mots dans les dictionnaires qui font autorité.

Au-delà d’une communauté linguistique française, si l’on veut considérer une communauté sociolinguistique francophone, les instances de légitimation de la langue auront un grand rôle à jouer dans le décloisonnement des pratiques linguistiques en se rappelant qu’aujourd’hui chacun vit le monde chez soi:

« Il faut, certes, envisager l’élaboration de dictionnaires généraux de la langue française qui ne soit pas un simple travail de saupoudrage accordant un strapontin à tel ou tel régionalisme jugé mieux formé ou plus utile que tel autre, mais il faut également se pencher sur tous les mécanismes d’appropriation du français par tous ses locuteurs, faisant de celui-ci une langue réellement polyphonique, un espace linguistique pluriel à l’intérieur même du système. La langue française doit revendiquer comme une force, comme une marque de sa vitalité populaire cette multiplicité essentielle, ce caractère fondamentalement kaléidoscopique de sa nature. » (Dumont, 2001, p.30) 106

L’histoire de normalisation linguistique en France a révélé un certain nombre de principes sur lesquels l’activité langagière était fondée. Il est apparu que toute codification doit prendre en compte l’évolution de la langue, en considérant l’oral, la variation intralinguistique et extralinguistique pour ce qui concerne une communauté sociolinguistique au-delà de la communauté linguistique restreinte.

Le principe de Vaugelas repose sur l’usage de l’époque, l’usage écrit et l’usage de la Cour. Selon ce principe, l’usage écrit et celui de la Cour peuvent être remplacés par les auteurs ; et on est tenté de dire : les bons auteurs. Mais qui est un bon auteur ? L’auteur natif ? Un auteur à succès? Un auteur jugé par les spécialistes de la langue ? Comment décider qu’un auteur populaire ne sera pas retenu ?

Grevisse répond dans son édition de 1961, p.8. Un grammairien du juste milieu comme lui dira que l’usage hésite entre deux formes, on ne peut pas donc éliminer la variation qui est partie intégrante de la langue. La variation francophone, l’objet de cette étude, fait partie de l’usage actuel que l’on doit prendre en compte.

La tradition française sur la norme linguistique fait que

« Toute innovation est suspecte, toute création sentie comme une déviance, voire une marque infamante d’incompétence. On ne touche pas à la langue-patrimoine » (Dumont : 2001, p. 13)

Cette représentation de la langue française n’est nullement linguistique, elle est politique et idéologique comme le montre bien Cerquiglini dans un article intitulé « le français, une religion d’Etat ? » et publié en ligne dans le site du Ministère français de la culture. En effet

« L'histoire du français est celle de la construction, multiséculaire, d'une langue conçue comme homogène en son essence, unitaire dans son ambition politique : un monolinguisme institutionnel. Ce monolinguisme est certes fictif (la France fut toujours, et est encore plurilingue), mais cette fiction a puissance de mythe : elle dit le sens du monde en rassemblant une communauté. Il s’agit bien d’une institution : la langue française est un bel exemple d’artefact (elle y trouve sa noblesse) ; elle fut instituée.» (Cerquiglini, en ligne) :

http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/politique-langue/article_francais.html)

Pour construire ce mythe, il fallait éliminer les autres patois parlés en France pour unifier le pays. A partir de là, non seulement il fallait apprendre le français mais aussi abandonner sa langue maternelle. L’école de Jules Ferry eut pour tâche de parachever l’institution du français, symbole de l’appartenance nationale. L’idéologie centralisatrice prend ainsi son chemin et s’étend jusqu’au niveau des colonies. La langue instituée fonctionne comme une religion et en tant que telle son dogme est intouchable. Cette charge historique agit jusqu’à présent sur la langue française et l’empêche d’institutionnaliser par exemple une variante jugée extralinguistique. Les linguistes et sociolinguistes qui travaillent en francophonie veulent faire comprendre que cette attitude est loin d’être en faveur du français, même si les puristes pensent le contraire, ainsi que le montre Dumont dans son ouvrage qui traite de l’interculturel.

« Réduire la norme du français à sa dimension hexagonale, c’est le rendre totalement inapte à l’expression identitaire de chacun [dans l’espace francophone] c’est donc le condamner à très court terme à n’être qu’une langue parlée par un relativement petit nombre de locuteurs - (…) – à n’être qu’une langue de culture, et non une langue communication, c'est-à-dire une langue morte » (Dumont, 2001, p.28)

Le dictionnaire est un ouvrage qui a beaucoup de contraintes mais doit tenir compte du public d’usagers-consommateurs qui sont différents d’un bout à l’autre de la Francophonie. Le problème n’est pas le lieu de réalisation mais la visée de la politique linguistique qui est derrière le dictionnaire. Même si le Robert est réalisé à Paris, il fait autorité en francophonie comme institution légitimante. D’un autre côté, les dictionnaires à vocation panfrancophone hésitent d’aller jusqu’au bout de leur logique. En considérant les riches descriptions lexicographiques à travers les inventaires et autres recherches,

« beaucoup de mots sont absents, et c’est en vain qu’on chercherait, parmi de nombreuses autres créations courantes en Afrique et de bonne facture : abacost, essencerie, mamba, nacco/nacot, noix de palme, primature, table-banc, taximan, tradipraticien, (pagne) wax ; des sens supplémentaires : broussard, gouvernance, pisteur, maraboutisme, sous-région ; ou encore des formes particulières comme du n’importe quoi « n’importe quoi », de toutes les façons « de toutes façons », accoucher un enfant « donner naissance à un enfant », téléphoner qqn « téléphoner à qqn », etc., dont certaines d’ailleurs sont entendues en France, selon les cas par nécessité référentielle ou en raison d’une évolution de l’usage. (Frey, 2008(a), p.89)

L’attitude à prendre dans l’ensemble de la francophonie par rapport à cette question du dictionnaire n’est pas simple. Frey dans l’article cité précédemment décrit trois sortes de réalisations possibles :

-deux descriptions possibles indépendantes concernant le français de France et le français de la francophonie stricto-sensu.

-une description synthétique réunissant l’ensemble des variétés diatopiques.

-deux descriptions parallèles et complémentaires, dans une cohabitation proposant des renvois mutuels.

De ces trois possibilités, nous précisons l’esprit de notre position qui s’inspire des deux dernières. Cet esprit épouse la conception que nous avons de la mondialisation culturelle en considérant qu’accepter la mondialisation n’est pas forcément adopter un comportement unique pour tous. C’est dire que ce terme de « mondialisation » devient tout simplement « globalisation ». C'est-à-dire en la connaissance de l’autre description même si cela ne fait pas partie de son vocabulaire actif. La description francophone stricto-sensu doit donc faire partie – au moins – du vocabulaire passif du français et vice versa. Cela rejoint l’acception de l’expression « imaginaire des langues » de Glissant qui considère que cela n’est pas une obligation de connaître toutes les langues pour être dans cet imaginaire linguistique, c’est avoir la conscience de l’existence des langues concernées, c’est se placer dans le Divers. Selon cette conception, nous appelons à une description qui considère un seul ensemble hétérogène francophone qui permettrait la connaissance des autres descriptions (à statut égal). Cela est seulement possible dans une communauté sociolinguistique francophone lato-sensu qui dépasserait les termes de « centre » et de « périphérie ».

 

  1. Pour une communauté sociolinguistique francophone

Les littératures dites francophones sont une manifestation d’une réalité historique et/ou sociolinguistique qui appelle à dépasser les littératures étatiques pour brasser une communauté socio-linguistiquement hétérolingue. C’est dire que dans la conception actuelle des littératures francophones, un écrivain français peut être un écrivain francophone mais un écrivain francophone n’est forcément pas un écrivain français. Dans le cadre d’une littérature nationale, il est aisé de mettre un qualificatif national à un écrivain : écrivain français, suisse, belge…

Il est beaucoup plus difficile de trouver un qualificatif pour une littérature qui concerne un public hétérogène. Cela explique les hésitations des critiques pour nommer la réalité de cette écriture qui ne peut s’identifier à une nation. L’on a appelé cette littérature de « littérature d’expression française », « littérature de langue française », « littérature du sud », « littérature émergente », « littérature francophone ». En parlant d’Edouard Glissant, de Réjean Ducharme, et d’André Chedid; Alain Baudot les qualifiera comme :

« … « écrivains francophones », c'est-à-dire exprimant en français, sans qu’ils appartiennent nécessairement au domaine culturel de la France » (Baudot, 1983, p. 291)

Nous savons que la signification d’une expression n’est pas forcément la somme des significations des termes qui la composent. Mais on ne comprend pas par quelle magie linguistique, l’expression « littérature francophone » n’inclurait pas de facto la littérature française. Et même si l’on doit adopter la suggestion de Dumont (2001), (et avant lui Robillard (de) et Beniamino, 1993), de parler « d’espace francophone » et non de « francophonie » (pour neutraliser l’idéologie que charrie ce vocable), cet « espace francophone » désignera pour nous tous les espaces qui ont le français en partage, y compris la France. Mabanckou abondera dans le même sens :

« Je considère toujours la littérature francophone comme celle provenant des espaces qui ont en commun l’utilisation de la langue française, qu’on ait hérité cette langue par le biais de l’histoire de la colonisation par exemple ou par le biais de la nationalité en quelque sorte comme en France ; ce qui fait que ma conception de la littérature francophone englobe aussi bien la littérature française que la littérature/les littératures venues des anciens pays colonisés par la France ou d’autres pays qui ont le français comme langue première.» (Entretien Mabanckou, 2009)

Il faut dire que cette acception n’est pas encore admise. Le mot « francophonie » traîne une connotation éminemment politique, car avant de désigner un champ linguistique et/ou une littérature, la francophonie circonscrit un espace géopolitique sous influence de la Métropole. Le caractère problématique du concept « francophonie » apparaît dès son origine. En effet, il s’agit d’une création datée du XIXe siècle, du géographe français Onésime Reclus dans son ouvrage, France, Algérie et colonies (1886). Il définit les peuples « francophones » en ces termes : « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue » (Réclus, 1880, p.422). À travers un argument à la fois géographique, démographique et linguistique, il projette d’établir la langue comme nouveau vecteur du colonialisme. Mais il veut surtout en faire l’outil d’expression et d’uniformisation de différentes cultures. C’est dire qu’avant la prise en compte de la question littéraire, la francophonie apparaît comme une entité politique au service de l’influence française.

Au XXe siècle, notamment en 1962, le président et homme de lettres sénégalais Léopold Sédar Senghor s’approprie le concept de « francophonie » en le décontextualisant et en lui donnant un destin philosophique aux allures humanistes. La francophonie devient pour lui cet humanisme qui commence par la conscience du partage d’une langue et d’une culture francophone. Aujourd’hui, la francophonie regroupe cette zone précédemment citée et d’autres attachées à la Défense et illustration de la langue française, parce qu’étant dans un multilinguisme qui menace leur langue première, comme le Canada français, la Belgique, la Suisse… Mais le malentendu, la suspicion autour de ce concept est toujours d’actualité. Pour traiter ce malentendu, on peut s’intéresser au discours politique et aux institutions de la francophonie, on peut également analyser cette langue française classée à la périphérie et avec elle sa littérature. C’est cette dernière partie du posé qui nous occupe ici en disant que l’expression « écrivain francophone » est une hétérodésignation marginalisante (Caïtucoli, 2004, p.10). Pour éviter cet alignement périphérique, il importe de suivre une objectivité intralinguistique : l’expression « écrivain francophone » devra désigner tous les auteurs dont l’essentiel de la production se fait en français. Une considération de sa pluralité tente donc d’atténuer ce caractère politique qui peut être parfois gênant. C’est ainsi que, pour ce qui concerne la littérature, Jean-Louis Joubert (l’Encyclopédia Universalis, Corpus 10, p.263) distingua le singulier du pluriel. En effet, le singulier (littérature francophone) désignerait l’ensemble des textes littéraires écrits en français, et le pluriel, les ensembles particuliers de textes de langue française, qui renvoient à des pays ou régions hors de l’hexagone, dont ils contribuent à construire l’identité.

Sans rentrer dans les discussions de géostratégie concernant les institutions de la Francophonie, intéressons-nous à l’écriture francophone et à sa problématique sociolinguistique. Se pose alors la question de savoir comment nommer ces littératures. Est-on contraint d’associer à la littérature un principe de territorialité ? Le territoire de cette littérature n’est-il pas la langue elle-même ?

Notre propos n’est pas proprement littéraire au regard des cloisons disciplinaires, il voudrait apporter un regard sociolinguistique dans la critique littéraire francophone. Bien que le terme « francophone » doive désigner l’ensemble des peuples ayant le français en partage, il a tendance à signifier dans le domaine de la littérature et par convention, un ensemble de textes disparates venant d’aires culturelles hors de France et ayant le français en partage ; ces zones culturelles baignant dans un multilinguisme et un multiculturalisme qui rend problématique le statut de cette écriture. La communauté francophone qui constitue notre corpus est une communauté linguistique mouvante et hétérogène.

La notion d’intertexte dans cette littérature peut donc appartenir aussi bien à l’aire intracultuelle qu’à l’aire extraculturelle de la langue française. Ce qui fait que l’ensemble pertinent se trouve être l’aire interculturelle qui correspond à une aire interlinguistique qui rappelle la notion de communauté sociolinguistique. L’application de cette situation dans les textes donne la notion d’identité mouvante. En définitive, une communauté sociolinguistique est une communauté de reconnaissance qui assure l’effectivité de la communication linguistique, ce qui est le cas dans cette communauté sociolinguistique francophone que nous évoquons.

« Les écrivains africains dont nous lisons les œuvres sont-ils francophones ? Question impertinente si l'on veut bien écouter les chantres d'une francophonie différenciée : pour moi, il y a francophonie dès que le français sert de modèle de référence, et non lorsqu’on peut faire passer des tests de compétence et décider que certains sont des francophones à part entière et d'autres, des francophonoïdes et / ou des franco-aphones20… » (Prignitz, 2004, p.26).

Nous ajouterons : y compris les Français. C’est dire que dans le cadre de la littérature, l’expression « littérature francophone » (tout court) désignera tout francophone ; et pour spécifier, il existera :

-Une littérature française (parce que l’expression « francophone française » sonnerait mal)

-Une littérature francophone africaine

-Une littérature francophone canadienne

Le système de nomination étant : Littérature francophone + X

Et cela fonctionne pour les nations ou zone plus larges:

Littérature francophone camerounaise (en ayant à l’esprit que la littérature anglophone camerounaise existe)

« Dans son essai sur le roman français au siècle précédent, Dominique Rabaté (Le roman français au XXe siècle, Que sais-je, 2001) commence par exclure les francophones du roman français, et finit par en inclure quelques-uns avec des précautions oratoires. Il a raison et devrait être moins timide. Le roman français au vingtième siècle, c’est aussi Mongo Beti et Ahmadou Kourouma. La question de la pertinence de certains regroupements et de la périodisation se pose à partir des expériences de lecture ; je crois aux questions que l’on pose aux textes, à la façon dont ils y répondent. Je pose les mêmes questions aux textes africains qu’aux autres. » (Ricard, 2004, p.317)

 

  1. De la variation externe

Les recherches sur la didactique ont bouleversé la conception de l’enseignement puisque l’accent est mis sur l’apprenant, l’enseignant ne se concentre plus, seulement, sur la transmission des connaissances nouvelles mais sur la transformation du savoir passif de l’élève. C’est donc permettre à l’enfant de construire son savoir car l’écoute passive d’un élève face à son enseignant qui pratique de l’oral écrit ne conduit qu’à un savoir passif. Les questions-réponses entre le maître et son élève (corpus) est une fausse maïeutique qui ne permet pas vraiment la co-construction des savoirs. En regardant du côté de l’acquisition de la parole par l’enfant, on constate que celle-ci est acquise d’une manière indirecte, c’est-à-dire que l’enfant est acteur de son propre apprentissage et reconstruit le langage à partir de données contextuelles. Des recherches sur les usages devraient permettre de repositionner l’enseignant sur cette question d’hétérolinguisme qui englobe le plurilinguisme, interne ou externe. L’exemple suivant, extrait du corpus SN2, est éloquent sur la rigidité de la pédagogie classique :

EM : et Nabou est la cousine à Mawdo_

P : la cousine de°

ES : la cousine de Mawdo_

P : très bien + est la cousine de Mawdo + on ne dit pas la cousine à + la cousine de (Corpus SN2, Inédit)

E: élève; ES: élèves; EM: même élève que précédent; P: professeur ou maître

 

On voit ici à l’œuvre le modèle normatif, dont parle Sylvie Plane, qui suit le bon usage : ne dites pas comme ci, dites comme cela. « Quand on dit aux élèves « ça ne se dit pas » en réalité c’est ce qui se dit, c’est le problème entre norme et normalité, il y a ce qui se dit, ce qui s’enseigne, ce qui se dit de dire… » (Sylvie Plane : http://tice18.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/mdl/public/Actes_2005/Sylvie_Plane.pdf)

Et cela se complexifie lorsqu’on considère le contexte de langues en contact. La formule est présentée donc comme un axiome qu’on ne démontre pas : on ne dit pas la cousine à …mais la cousine de... Pourtant la cousine à… peut avoir un sens en parole. Hormis la fonction affective que cette expression peut avoir (la cousine à maman vient aujourd’hui, en parlant à son enfant dans le but de l’intégration de la personne concernée), il nous semble qu’il y a une idée de nombre qui viendrait à la fois de la préposition à et du contexte d’énonciation, justement hétérolingue. Les expressions : notre cousine et une cousine à nous, n’apportent pas les mêmes informations. Une cousine à nous est une cousine parmi d’autres, et l’emphase sur le lien de cousinage semble plus forte ici. Le seul problème dans la formulation : la cousine à Mawdo, serait la détermination placée avant ; alors que la seule opposition que retiendra l’élève dans cette intervention du professeur c’est celle-ci : à vs de. Une réflexion sur l’usage permettrait donc de ne pas employer cette formule catégorique : on ne dit pas. Pourtant le même professeur dira :

P : pour montrer que ce terme est péjoratif + très bien + mainnant à la place de les autres elle pouvait employer le mot qu’il faut + c’est-à-dire les + les castés n’est-ce pas° + pourquoi n’a-t-elle pas employé les castés° + oui° (Corpus SN2)

 

On constate ici une construction qui relève de l’hétérolinguisme mais qui, sur le plan de la rigueur grammaticale, n’est pas admise. L’expression les castés relève d’un participe substantivé comme les écrivains africains ont tendance à le faire pour combler, par analogie, les failles systémiques de la langue : Ex :

 

« Les enfants-soldats étaient chaque soir maîtrisés par des gens masqués qui venaient enlever les habitants des campements. Les enlevés étaient trouvés le matin tués, asexués et décapités comme la petite Sita … » (Kourouma , 2000 p.188).

 

Cette construction peut échapper au professeur car elle rentre dans une norme endogène. L’expression la cousine à peut avoir la même analyse et être expliquée, même en classe, par une approche contrastive et interculturelle. Notre observation révèle que c’est la méthode déductive qui est utilisée. Cependant, il nous semble que l’étape de l’abstraction, en étant basée sur une expérience de communication peut être mieux intériorisée. Cela peut venir par exemple après une conversation grammaticale situationnelle. La règle découlerait donc d’une formalisation de constatations obtenues par la pratique en situation. Mais dans nos corpus, on apprend la règle pour pouvoir la restituer quand l’institution scolaire le demande alors que l’accent, cette demande, devrait être mis sur la capacité à utiliser de cette règle dans une communication effective.

 

Conclusion:

En définitive, une communauté sociolinguistique est une communauté de reconnaissance qui assure l’effectivité de la communication linguistique, ce qui est le cas dans cette communauté sociolinguistique francophone que nous évoquons. A l’image de la francophonie, on parlera de littérature francophone. Et dans cette perspective, le roman français au vingtième siècle, serait aussi Mongo Beti et Ahmadou Kourouma.




Bibliographie:

AUTHIER-REVUZ, J. (1995), Ces mots qui ne vont pas de soi : boucles réflexives et non-coïncidence du dire. 2Vol, Paris, Larousse.

CAÏTUCOLI C. (2004), « L'écrivain francophone agent glottopolitique : l'exemple d'Ahmadou Kourouma », in Glottopol, n°3, pp.6-25: http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_3.html (dernière consultation: 20-09-2019).

CERQUIGLINI B., (En ligne) : Le français, une religion d’État ? (http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/politique-langue/article_francais.html) (dernière consultation: 20-09-2019).

CHARMEUX, É. (2001), «Le français de référence et la didactique du français langue maternelle.» In Francard M. (éd.): Le français de référence: construction et appropriation d’un concept. Louvain, Louvain-la-Neuve; pp.155-156.

DUMONT P., (2001), L’Interculturel dans l’espace francophone. Paris/Montréal, L’Harmattan.

FREY C. (2004), « Particularismes lexicaux et variétés de français en Afrique francophone: autour des frontières ». In Marie-Louise MOREAU (coord.) : GLOTTOPOL N°4, Revue de sociolinguistique en ligne, Langues de frontières et frontières de langues, juillet 2004, 16 p. http://glottopol.univ-rouen.fr/numero_4.html (dernière consultation: 20-09-2019).

GLISSANT É. (1992), « L’imaginaire des langues. Entretien avec Lise Gauvin». In Études françaises. Vol.28, N°2-3, pp.11-22.

LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE 2015-2018, Organisation Internationale de la francophonie, édition 2019, Gallimard.

LABOV, W. (1976), Sociolinguistique, Editions de Minuit.

MOREAU M-L. (éd.) (1997), Sociolinguistique. Concepts de base. Liège, Pierre Mardaga.

PLANE S. (2015), « Pourquoi l’oral doit-il être enseigné ? », In Les Cahiers Pédagogiques: http://www.cahiers-pedagogiques.com (dernière consultation: 20-09-2019).

PRIGNITZ G. (2004), « Récupération et subversion du français dans la littérature contemporaine d’Afrique francophone : quelques exemples ». In Glottopol, n°3, pp.26-43: http://glottopol.univ-rouen.fr/numero_3.html (dernière consultation: 20-09-2019).

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93