Place du français dans le paysage linguistique algérien d’aujourd’hui
Mohand Ouali DJEBLI
Université Alger 2, Maitre de conférences
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Introduction
L’Algérie est un pays plurilingue. L’effervescence socio culturelle, politique, économique est telle qu’il est difficile de définir clairement le statut des langues. C’est le cas notamment de celui du français puisque la place de cette langue dans la configuration linguistique nationale a évolué au gré des évènements sociopolitiques. Malgré la volonté politique d’amoindrir l’usage de la langue française en conférant à cette dernière le statut de langue étrangère, l’utilisation de cette langue est encore aujourd’hui largement répandue. Par ailleurs, parallèlement à une relation apaisée par rapport à l’ancien colonisateur, l’Ecole algérienne admet, à l’instar de ce que préconisent les nouvelles approches de l’enseignement/apprentissage, que la langue ne peut s’enseigner indépendamment de la culture dont elle est indissociable. (Ce qui n’était pas le cas avant la Réforme de 1999).
Notre objectif dans le cadre de cet article qui s’inscrit dans le domaine de la sociolinguistique, est d’abord de cerner la place du français dans les usages quotidiens, chez les jeunes, notamment dans la rue et ses relais les réseaux sociaux. Avant de présenter quelques échantillons de la langue française qui est actuellement en usage en Algérie, nous ferons une synthèse des travaux de recherche récents relatifs à notre sujet pour en dégager les points de convergence. Nous ferons également un détour par l’histoire pour montrer comment le statut du français a évolué de l’ère coloniale à ce jour et surtout pour tenter d’expliquer les attitudes qu’ont présentement les jeunes par rapport à cette langue.
Notre plan sera le suivant
1 Synthèse de quelques travaux sur le statut du français en Algérie : un regard moins passionné
2 Rétrospective relative au statut du français en Algérie
3 Le français aujourd’hui
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Synthèse de quelques travaux sur le sujet: un regard moins passionné
Des divers travaux de recherche que nous avons lus sur le sujet, les auteurs, linguistes ou sociolinguistes confirmés ou jeunes chercheurs, tous s’accordent pour mettre en exergue la vivacité mais aussi la situation conflictuelle de la langue française en Algérie, mais tous remarquent une évolution vers plus de tolérance de la langue française..
- 1.Vitalité du français et ambivalence du statut de la langue française
Kh. Taleb Ibrahimi (2004) souligne la vivacité mais aussi les antagonismes liés au plurilinguisme en Algérie :«Dynamique dans les pratiques et les conduites des locuteurs qui adaptent la diversité à leurs besoins expressifs, cette coexistence se révèle houleuse, fluctuante et parfois conflictuelle dans un champ symbolique et culturel traversé de rapports de domination et de stigmatisation linguistique, des rapports aggravés par les effets d’une politique unanimiste, volontariste et centralisatrice qui exacerbe les enjeux d’une problématique identitaire fortement malmenée par les vicissitudes de l’histoire. »
Dourari A. (2003) reconnait également la situation conflictuelle liée à l’usage de l’arabe et du français en Algérie qui, selon lui « se manifeste socialement sous la forme d’une lutte sourde, parfois très tumultueuse, entre arabisants et francisants à tous les niveaux de la hiérarchie sociale et administrative »
Amara A.(2010), dans un article intitulé « Langues maternelles et langues étrangères en Algérie : conflit ou cohabitation ? » a mis en relief le caractère ambivalent du plurilinguisme en Algérie.
1.2 Les représentations du français : entre attirance et rejet
Nombre d’auteurs reconnaissent que les attitudes des algériens, toutes générations confondues, par rapport au français sont contradictoires. On observe parfois de l’attraction, parfois de la répulsion pour cette langue.
Contrairement aux autres pays du Maghreb où le rapport au français est plus serein, certains algériens, surtout sous l’effet des discours haineux distillés depuis la décennie noire, voient le français comme une menace pour leur culture, leur identité.
Les jeunes chercheurs par des travaux de terrain sur les représentations ont souligné les attitudes contradictoires qu’affichent les algériens, scolarisés ou non vis-à-vis du français.
Dans le cadre de sa recherche en doctorat, soutenu en 2015, H Bessai, qui a fourni un travail minutieux sur les représentations du français chez les enseignants de français du primaire, montre que ces derniers sont partagés entre représentations positives et représentations négatives. Le français est, entre autres, une ouverture vers la science, la modernité, le monde. Il offre des débouchés professionnels. D’autre part, c’est la langue du colonisateur qui ne représente pas, selon ces derniers, notre culture, notre identité, notre religion etc.
Vingt ans plus tôt, dans le cadre d’une modeste recherche que nous avions menée pour l’obtention d’un DEA en Sciences du langage, (Djebli M.O., 1994), nous avions mené une enquête similaire et nous étions arrivé à la conclusion que les représentations à propos de la langue française influaient positivement ou négativement sur l’apprentissage selon qu’elles étaient favorables ou défavorables à la langue française.
«La réalité linguistique actuelle permet de constater que cette langue ne semble pas avoir perdu de son prestige car non seulement elle est reconnue comme une chance d’ascension sociale, mais elle demeure également un instrument de communication largement employé en dehors du secteur économique », confirme quelques années plus tard Rahal 2001
1.3 Vers une relation plus apaisée au français
Enfin, les travaux les plus récents montrent que le rapport à la langue française est devenu plus serein et que le français est plus employé même si du point de vue de la qualité et de la maîtrise, il a perdu du terrain, s’étant métissé dans une certaine mesure avec les langues locales.
Cette attitude moins hostile est donnée à lire dans les nouveaux programmes. En effet, De simple « outil d’accès à la documentation en langue étrangère », le français sera enseigné et assumé avec la culture qu’il véhicule. « Apprendre aux élèves, dès leur plus jeune âge, une ou deux langues de grande diffusion, c’est les doter des atouts indispensables pour réussir dans le monde de demain», précisent les textes officiels.
Il y est écrit explicitement:
«L’enseignement/apprentissage des langues étrangères doit permettre aux élèves algériens d’accéder directement aux connaissances universelles, de s’ouvrir à d’autres cultures, d’assurer une articulation réussie entre les différentes filières du secondaire, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur », cf. Référentiel Général des Programmes.
1.4 Quelques raisons de l’ambivalence du statut du français en Algérie selon les experts
Quelques spécialistes de la question linguistique en Algérie ont fourni des explications quant à l’ambivalence du statut du français en Algérie. Gilbert Granguillaume (1983) a mis exergue les différends qui opposent les arabophones aux francophones et les opinions que ces personnes ont d’elles-mêmes et de leurs vis à vis.
Ainsi, les arabisants se croient garants de l’identité et de la culture nationale et les francisants des agents incontournables de l’économie nationale. Les premiers taxent les seconds de «hizb frança»(littéralement: le parti de la France), de colonisés non encore affranchis et les seconds accusent les premiers d’incompétence, de traditionnalistes.Le conflit apparent cache mal les ambitions des arabisants qui ont tout de suite après l’indépendance voulu remplacer les francisants dans tous les secteurs de la vie économique et administrative. Cette ambition a d’ailleurs été réalisée non par le fait de leur compétence mais à coup de lois et de décrets isolant les francophones.
1.5 Le souhait des experts
Tous les chercheurs, experts ou novices reconnaissent le rapport conflictuel et ambivalent à la langue française. Tous pensent que l’Algérie surmontera ce paradoxe avec un peu de volonté politique.
Philippe Blanchet (2006) souhaite qu’«avec les nouveaux programmes, on réduise l’ambivalence liée au statut du français qui va entrer en complémentarité et non en concurrence avec les autres langues, surtout l’arabe». G Grandguillaume (2004), quant à lui, estime que l’Algérie doit penser à surmonter le caractère conflictuel qui oppose le français et l’arabe à «travers une véritable politique plurilingue qui incluent toutes les langues en présence ».
Enfin, Khaoula Taleb El Ibrahimi (2004)écrit que «tant que la question des langues ne sera ni politiquement ni socialement tranchée, elle restera, à notre avis, pour encore longtemps, au centre des problèmes que connaît le pays ».
Pour expliquer la situation actuelle du français en Algérie, un détour par l’histoire s’impose.
2 Rétrospective relative au statut du français en Algérie
On distinguera deux périodes: pendant et après la colonisation.
2.1 Pendant la colonisation:
La colonisation de l’Algérie par la France a duré pendant 132 ans. La langue, à l’instar d’autres moyens a été un instrument de domination et de dépersonnalisation. A notre humble avis, il a fallu une centaine d’années pour une véritable prise de conscience agissante par les algériens du phénomène d’acculturation.
2.1.1 le français, instrument de colonisation, de déculturation et d’asservissement de la population.
Le français fut une arme de guerre dès les premières années de la colonisation de l’Algérie. En effet, le français a tout de suite été promu langue officielle de l’Algérie, niant les autres langues, et surtout l’arabe langue officielle. Ceci n’a pas été sans difficulté puisque les algériens avaient, pendant les cinquante premières années rejeté tout ce qui provenait du colon, toutes ses valeurs. Il a fallu, selon Kh Taleb El Ibrahimi (2004), attendre les années 1880 pour que les algériens, n’ayant pas d’alternative, acceptent d’apprendre le français, vu, dès l’époque, comme seule issue de promotion sociale.
Mais la scolarisation fut timide: seuls 14% d’alphabétisés en 1954. Il y eut une double raison à ce phénomène: d’une part les autochtones ont toujours rejeté la politique coloniale; d’autre part le but de la politique linguistique coloniale n‘était pas véritablement d’ instruire les algériens, mais de leur donner les rudiments de langue, suffisamment pour qu’ils comprennent les ordres des colons mais et pas assez pour qu’ils prennent conscience de leur condition de colonisés.
Cela n’a pas empêché, même tardivement, une prise de conscience.
2.1.2 La prise de conscience des algériens
Dès 1931, les Oulémas , avec à leur tête Ibn Badis, vont revendiquer l’appartenance de l’Algérie au monde arabo-musulman.
« L ’Algérie est notre patrie, l’arabe est notre langue et l’Islam est notre langue » est un slogan encore vivace.
Mais cette volonté d’arracher l’Algérie à la francophonie et à la sphère culturelle coloniale pour placer ce pays dans le giron moyen-oriental et dans le monde arabo –musulman n’a pas plu aux berbéristes qui ne se reconnaissent pas dans cette éventuelle reconfiguration.
Par ailleurs, la francisation, même minime, n’a pas empêché l’émergence d’une élite francophone consciente des enjeux liés à la langue. On comprend pourquoi la langue française, selon la célèbre formule de Kateb Yacine, est «un butin de guerre» à préserver, même après l’indépendance.
2.2 Depuis l’indépendance
Après 1962, les gouvernants algériens ont œuvré pour le recouvrement d’une indépendance totale, tant politique, économique, que sociale et culturelle. Concernant ce dernier point, une politique d’arabisation hâtive a conduit à des excès dont les jeunes algériens d’aujourd’hui paient encore les frais.
2.2.1 La politique unitariste et revancharde de réarabisation
En effet, un pouvoir autoritaire, central, a décidé au nom de la préservation de la cohésion et de l’unité nationale d’instaurer l’arabe classique non seulement comme langue officielle mais comme seule langue véhiculant l’identité et les valeurs culturelles nationales, occultant complètement les dialectes, qu’ils soient arabes ou berbères.
Le français, langue concurrente de l’arabe dans l’administration, de l’enseignement et l’économie, est, dès les premières années de l’indépendance, relégué au rang de langue étrangère malgré sa forte prégnance dans tous les domaines. Ceci n’a pas manqué d’avoir des répercussions multiples sur tous les plans.
2.2.2 Les conséquences: des conflits linguistiques multiples:
L’arabisation forcée a conduit à des conflits multiformes, parfois violents. La politique du tout arabisation est mal perçue surtout par les berbérophones pour lesquels cette langue scolaire est encore plus étrangère que le français. La non reconnaissance de la langue tamazight (le berbère) a conduit à la révolte historique d’Avril 1980, plus connue sous l’appellation du «printemps berbère» qui a conduit à la reconnaissance (2002) puis à l’officialisation (2016) de cette langue.
Dans l’intervalle, des tensions sourdes ont animé les rapports entre arabisants, berberisants et francisants.
Quant à la langue française, elle connait, du fait que les programmes scolaires lui consacrent peu d’intérêt (3 heures par semaine, un faible coefficient et des enseignants peu formés), une baisse de niveau remarquable et paradoxalement une extension importante du nombre de locuteurs.
Pendant la «décennie noire», la haine du français et de toutes les valeurs que cette langue véhicule a été exacerbée. La non-maîtrise de la langue par les jeunes générations, le travail de sape en profondeur des discours pseudo-religieux relayés par l’école, ont conduit à un rejet parfois violent de tout ce qui a trait au français. De nombreux francophones: médecins, journalistes, enseignants, etc. ont été assassinés .
Depuis la fin de la décennie noire, tous les conflits liés aux langues ont tendance à l’atténuation: reconnaissance de tamazight, reconnaissance tacite des dialectes locaux, recours moins complexé à la langue française, reconnaissance du fait que la langue est inséparable de la culture.
3. Le français aujourd’hui
3.1 Le français par rapport aux autres langues en usage en Algérie
Même si le français est employé dans de nombreux secteurs économiques, scientifiques et administratifs, son statut demeure ambigu.
3.1.1 Un statut de la langue française toujours ambigu
Malgré toutes les (r)évolutions qu’a connues l’Algérie, la position officielle de l’Algérie n’est pas sans équivoque. L’Algérie est le premier francophone au monde après la France par le nombre de locuteurs mais il n’adhère toujours pas officiellement au monde francophone. Le français est une langue de travail à l’université, dans nombre de secteurs économiques et administratifs mais il est considéré comme langue étrangère. L’heureuse formule de Sebaa (2002 : 85) reste d’une brûlante actualité:« Sans être la langue officielle, la langue française véhicule l’officialité. Sans être la langue d’enseignement, elle reste la langue de transmission du savoir. Sans être la langue identitaire, elle continue à façonner l’imaginaire culturel collectif de différentes formes et par différents canaux. Et sans être la langue d’université, elle est la langue de l’université. Dans la quasi totalité des structures officielles de gestion, d’administration et de recherche, le travail s’effectue encore essentiellement en langue française. »
3.1.2 Une place importante du français dans le paysage linguistique algérien
Le français, très utilisé, s’est propagé en Algérie depuis l’indépendance grâce à la scolarisation. Le français est la première langue étrangère à l’école. Il est étudié dès la 3e année même si peu d’importance lui est accordée à l’école.
L’Algérie est la 2e communauté francophone au monde avec quelques 16 millions de locuteur, selon un rapport de l’OIF sur le français dans le monde, paru en 2009.
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3.1.3 Le plurilinguisme et le métissage linguistique : une réalité incontournable
L’Algérien est plurilingue. Il utilise en fonction des situations une ou plusieurs langues , parfois en métissant ces dernières de différentes manières.
« Le Maghrébin, en fonction de son niveau de scolarisation, de son milieu social, de sa culture, de son interlocuteur recourt à plusieurs langues et dialectes : l’arabe classique, l’arabe moderne standard, l’arabe médian, les variétés d’arabe dialectal, la langue berbère et le français. A ces variétés de langues s’ajoute bien sûr le mélange arabe-français ou français-arabe. Les frontières entre les langues sont loin d’être étanches, à telle enseigne qu’il est possible de soutenir que « le contexte qui prévaut au Maghreb est caractérisé par la coexistence plus ou moins concurrentielle de deux ou trois langues ou variétés de langue qui s’interpénètrent ou qui souvent se juxtaposent à l’intérieur du même discours. » (Miled, 2001 : 95) repris par Azzouzi (2008).
3.2 Le français dans les usages quotidiens
Dans cette partie, nous proposons quelques échantillons de langue française pris dans les espaces sociaux algériens tels que les réseaux d’échanges virtuels sur internet, les affiches et affichages, les différents médias. Ces échantillons sont sur pris sur le vif pour illustrer le français tel qu’il est pratiqué réellement dans la vie au quotidien.
3.2.1 Les messages publicitaires
Ceci est une annonce publicitaire publiée sur un site de vente sur les réseaux sociaux. L’annonceur présente le produit à vendre, en l’occurrence une voiture. On remarque que les détails techniques sont donnés en français et les commentaires dans une langue hybride, mélangeant arabe dialectal (transcrit en alphabet latin) et français. Les lecteurs qui ne maitrisent pas les deux langues ne peuvent décoder la totalité du message.
Il reste intéressant de signaler que le domaine technique est exprimé en français. Ce qui est vrai pour la mécanique l’est aussi pour les autres domaines scientifiques: médecine, architecture, mathématiques etc.
Cette publicité émane d’un opérateur de téléphone pour la promotion d’un abonnement téléphonique. On remarquera la place concomitante qu’occupe 3 grandes langues en Algérie: l’arabe, le français et l’anglais.
3.2.2 Affiches et affichages
Les affichages sur les tableaux des écoles, des hôpitaux etc pour renseigner , informer les usagers sont rédigées dans un français approximatif. Par exemple , nous avons lu au bas d’un immeuble une affiche pour diriger les personnes vers une adresse particulière le texte suivant: «suivi la flèche…la première tournée à droite». on peut traduire approximativement par: «suivez la flèche, prenez le premier virage à droite». Comme on le voit , le rédacteur ne s’encombre pas des normes de la langue, l’important est qu’il passe son message.
3.2.3 Les journaux
Les journaux , comme le montre les titres de journaux avec leurs logos rassemblés dans l’image ci-dessus, montre que les journaux en français sont en nombre relativement important et occupent une bonne place parmi les quotidiens algériens.
Nous en avons choisi quelques extraits.
a)
Pousse avec eux 11:00 | 21-10-2019
Wallah que ce qui me gêne, moi, ce n’est pas ce que dit Ammar El Drabki. Mais c’est le fait qu’il parle, bark ! Qu’il continue de parler. Qu’il ait encore ce visage « mkess’dar
Ceci est l’extrait d’une rubrique, d’une chronique très suivie du journal Le Soir d’Algérie. Nous l’avons choisie pour trois raisons:
- l’auteur recourt avec beaucoup d’humour au code switch("Pousse avec eux»)est chargé de sens. Mais il ne peut être accessible qu’à ceux qui maitrisent l’arabe dialectal, la darija. En effet, l’expression «pousse avec eux» est traduite littéralement de l’arabe dialectal. A un deuxième niveau, dans la culture locale, elle signifie approximativement: «j’en fais à ma tête, tu en penses/tu en fais ce que tu veux!»
b)
Le texte de cette caricature ayant pour thème la couverture du réseau téléphonique est intéressant au plan linguistique. On remarquera d’abord le jeu de mot: «o débi» qui rappelle l’expression technique du domaine de l’internet: «haut débit». Mais cette même expression fait référence à la locution «au début» qui , dans la bouche d’un arabophone connaitrait une déformation, certains phonèmes n’existant pas en arabe, obligent les arabophones à remplacer le phonème U par le phonème I, conduisant ainsi à un changement de sens. Effectivement, les algériens «au début» , croyaient au «haut débit», on voit là l’effet de dérision que veut produire l’auteur.
Les journalistes jouent avec les mots, créent sans gêne des néologismes. Exemple: «abracadrabrantesque» renvoyant aussi bien à la culture locale qu’à la culture française.
3.2.4 La littérature.
La littérature algérienne francophone est abondante. Elle a comme toute littérature évolué au gré des changements sociopolitiques et culturels divers. Il est inutile de revenir sur les écrivains mondialement connus comme Mouloud Feraoun, Mohamed Dib ou Kateb Yacine. Il faut seulement rappeler que malgré la nette régression du niveau en français et les restrictions diverses que connait cette langue en Algérie, la littérature francophone demeure encore assez prolifique. Christiane Achour a recensé une centaine d’auteurs contemporains qui écrivent dans des thématiques d’actualité et dans des formes originales.
Boughachiche (2019) conclut que «malgré toutes les séquelles de l’histoire, la littérature francophone d’Algérie reste porteuse, à travers ses différentes générations, d’un talent littéraire spécifiquement algérien nourri de valeurs et d’humanités française».
3.2.5 La radio et la télévision
L’Algérie dispose d’une chaîne de radio censée émettre exclusivement en français et d’une chaine de télévision dont les émissions en français sont destinés majoritairement aux algériens vivant à l’étranger. En fait, on constate que ces médias diffusent leurs programmes dans deux langues, parfois trois (avec le berbère). Les émissions diffusées par la chaine de radio , appelée chaine 3, radio du reste qui a beaucoup de succès, se déroulent souvent en alternant la langue française avec la langue arabe. La chaine TV4 diffuse ses programmes en partie en arabe, en partie en français.
Tous ces médias, relais vivants de la société, recourent comme dans la vie de tous les jours à l’alternance codique.
3.2.6 La chanson
La chanson n’est pas en reste puisque , grâce en partie au recours à la langue française, la chanson algérienne et à travers elle, la culture nationale a pu s’internationaliser. Les grands interprètes comme Idir ou Khaled qui chantent en français ont fait connaitre grâce à leurs chansons les spécificités de la culture nationale en France et ailleurs dans le monde. Des interprètes de moindre envergure mélangent dans leurs textes arabe, kabyle et français. Même leurs noms d’artistes sont composés dans les deux langues. Exemples: Houari Dauphin, Kader Japonais etc
Conclusion:
Le français est très utilisé dans les échanges quotidiens en Algérie aujourd’hui. Il fait partie de manière tangible du paysage médiatique et linguistique.Il s’utilise en alternance avec les langues locales.
Le statut du français a toujours été ambivalent depuis la période coloniale à nos jours. Il a été caractérisé par des périodes de fort rejet ou de puissant attrait.Le rapport au français aujourd’hui semble plus serein. Les algériens se sont approprié la langue française en la métissant avec les langues locales. Ils sont avides de langues étrangères et veulent notamment appendre l’anglais.
Se pose à ce sujet une question importante: se peut-il qu’un jour, le français en tant que langue étrangère, soit remplacé par l’anglais?
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Taleb Ibrahimi K. (1995), Les Algériens et leurs langues, Alger: Editions El Hikma.