Le français, entre statut non officiel et usage officiel:
des facettes du plurilinguisme algérien
Par Dr Meriem STAMBOULI (ENPO-MA) & Djamila HAMIMECHE (Doctorante en traduction, UMAB)
Résumé
Il est important de connaître son identité langagière pour ainsi parler de francophonie et planifier des plans d’action d’entretien du plurilinguisme, multilinguisme dans sa diversité. Dans cet article, il ressort que la notion d’«officialité» n’est pas seulement dans le statut, mais aussi dans l’usage et le rôle de la langue dans un cadre formel et informel. L’Histoire des langues d’Algérie et du Maghreb avec extension a montré que les civilisations venues d’ailleurs, les conquêtes et les foutouhat, la colonisation plus tard ont enrichi le Maghreb et l’Algérie, tant bien que mal, sur le plan langagier, culturel, économique, etc. Les exemples des langues de l’administration algérienne et des langues de l’enseignement supérieur en Algérie valident les hypothèses de départ et montrent bien que l’officialité d’une langue n’est pas seulement dans son statut juridique, mais aussi dans son usage. La francophonie algérienne jouit encore de cet usage officiel ; la francophonie française tire profit des meilleurs étudiants algériens voulant poursuivre des études francophones, autant opter pour une francophonie de consensus qui arrange les deux parties et qui investit à long terme en Algérie. C’est ainsi qu’on pourrait entretenir le français dans le plurilinguisme algérien.
Mots-clés: plurilinguisme, langues du Maghreb (et de l’Algérie), identité langagière/territoriale, statut/usage officiel-non officiel
Summary
It is important to know one's linguistic identity so to speak about Francophonie and to plan action plans to maintain plurilingualism, multilingualism in its diversity. In this article, it appears that the notion of "officiality" is not only in the status, but also in the use and role of language in a formal and informal setting. The history of the languages of Algeria and the Maghreb with extension has shown that civilizations from elsewhere, conquests and foutouhat, colonization later have enriched the Maghreb and Algeria, as best they can, on the map linguistic, cultural, economic, etc. The examples of languages of the Algerian administration and the languages of higher education in Algeria validate the initial hypotheses and show that the officiality of a language is not only in its legal status, but also in its use. Algerian Francophonie still enjoys this official use ; French Francophonie benefits from the best Algerian students wishing to pursue Francophone studies, as much opt for a Francophonie of consensus that suits both parties and that invests long-term in Algeria. That is how we could maintain the French in multilingualism Algerian.
Keywords: multilingualism, Maghreb (and Algerian) languages, language / territorial identity, status / official-unofficial use.
Introduction
L’Algérie, pays africain/maghrébin, baigne dans un plurilinguisme de fait en deux-trois ou plusieurs langues (darija-français-berbère) et dans un plurilinguisme officiel avec l’arabe standard et le tamazight comme langues nationales et officielles, mais les langues officielles de l’Algérie sont très minoritaires dans la communication quotidienne et les situations informelles.
La grille d’analyse sociolinguistique élaborée par Chaudenson & Rakotomalala (2004) (status/corpus) est un outil-clé pour mesurer la pratique des langues parlées, écrites (corpus) et leur usage officiel en administration, média, officialité. Appliquée à la situation algérienne, il ressort que le français est parlé avec les langues maternelles algériennes (darija-berbères), mais il n’est pas langue maternelle algérienne d’une minorité comme le pense une minorité. Le français est une langue empruntée et adoptée, par la colonisation, d’usage officiel dans certaines situations comme nous allons voir plus loin dans l’article. C’est l’hypothèse principale de cet article, l’officialité n’est pas seulement dans le statut, mais elle serait dans l’usage surtout. Et le plurilinguisme, multilinguisme algérien est un iceberg avec ses multiples facettes ou visages visibles de l’ongle où l’on veut voir, et le plus souvent, la partie immergée de l’iceberg est plus importantes et plus riche que la partie visible non cachée.
Ce plurilinguisme est parsemé d’autres langues présentes dans les zones frontalières avec les pays voisins: la méditerranée au Nord, le Maroc et la Mauritanie à l’Ouest, la Tunisie et la Lybie à l’Est, le Mali et le Niger au Sud. Il y a une extrême richesse langagière et culturelle dans le plurilinguisme et le contact de langues, ce qui rend le plurilinguisme maghrébin richissime et complexe.
L’Algérie, pays immense avec ses langues et ses cultures, d’une superficie de 23 81741 Km2, se retrouve en tête de l’Afrique en termes d’espace géographique; c’est le plus grand pays arabophone et même francophone en se basant beaucoup plus sur la superficie géographique du pays que sur le nombre de locuteurs.
Les Algériens parlent en fait l’algérien, une, voire plusieurs langues et parlers hybrides: de l’arabe standard, de la darija (avec ses variétés et accents), du berbère (avec toutes ses variétés et accents), du français, …mélangés avec des mots turcs, espagnols, italiens,…etc. Les locuteurs du sud parlent d’autres langues africaines, mais très peu d’études sociolinguistiques nous parviennent du sud. Le terrain de la recherche linguistique au sud de l’Algérie est une mine d’or très peu exploitée par les chercheurs et linguistes.
La méthodologie développée dans cet article montre le poids administratif et scientifique de l’arabe et du français surtout, deux langues transversales qui cohabitent ensemble, mais l’écart ne cesse de se creuser entre les locuteurs arabophones et les locuteurs francophones. Ce bilinguisme est très mal entretenu de nos jours: tentative de remplacer le français par l’anglais dans les entêtes administratives et au Supérieur, mais incapacité des arabophones de rédiger ni français, ni en anglais. Les politiques linguistiques algériennes ne consultent pas vraiment les chercheurs et les experts en langues (arabe, tamazight, français, anglais) pour trouver un consensus d’usage des langues adoptées. L’aménagement linguistique est basé sur des représentations et des préjugés, et, est mené par des décisions et contre-décisions parfois irréfléchies, comme si l’échec scolaire sur le plan éducatif et plus tard, sur le plan économique est dû à l’usage de la langue française seulement.
Se positionner à l’international exige un certain niveau d’anglais, et l’effort n’est pas seulement institutionnel ou individuel, il vient des deux. L’intérêt de l’institution et l’intérêt aussi de la population doivent être communs quant à l’usage des langues. L’institution est en ce moment indécise sur l’avenir de la langue française en Algérie pour des raisons qui relèvent du politique, et s’en prend au «butin de guerre», la langue française. C’est de «mauvaises guerres», car les anglophones eux-mêmes, natifs ou pas, cherchent à apprendre d’autres langues pour mieux «dominer le monde». Le Prophète Mohamed disait: «Celui qui apprend la langue d’un peuple n’aura pas à le craindre» 1.
Pour être plus explicite, prenons le cas de l’Albanie, petit pays à 3 millions d’habitants. Pays musulman sunnite et chrétien à la fois, possède l’albanais comme langue officielle (Ismarjli, 2010). L’Albanie n’a jamais été colonisée par la France, et pourtant se bat pour garder le français du côté de l’anglais à l’université. Pays officiellement francophone depuis 2006, mais la législation albanaise existait en deux langues, l’albanais et le français, entre 1920 et 1940 2.
Pays musulman à 57 % de la population, n’a pas la langue arabe comme langue officielle ni nationale et n’a jamais revendiqué une appartenance identitaire arabe. Plusieurs ethnies et plusieurs langues cohabitent en Albanie: l’Albanais et ses variétés, l’anglais, l’italien, le français, le grec, le macédonien….formant ainsi l’identité albanaise. Pour un Albanais, la solidarité nationale prime sur la solidarité religieuse. Il y a un poème très connu dans la littérature albanaise sur la question de l’identité ; le poète albanais Pashko Vasa (1880) disait:
«Ne regardez ni églises ni mosquée;
La religion de l’Albanais est l’Albanité»
Il faudrait que l’algérianité selon les termes de Kateb Yacine prime sur l’arabité, la tamazighité, pour se réconcilier avec sa propre identité. On entend souvent dire: «je suis arabe», «je suis chaoui», «je suis kabyle»….Mais «je suis algérien» est une acceptation plurielle, plurilingue et complexe, mais claire qui pourrait effacer le malaise identitaire.
La question de l’identité langagière algérienne
On se souvient tous d’une vidéo 3 (mars 2019) en direct et qui est passée par la suite sur les chaînes de télévision du monde entier d’un jeune citoyen algérien qui a interpelé une journaliste algérienne en direct dans les rue d’Alger. La journaliste parlait en arabe standard, et le jeune Sofiane avait rétorqué: «maranech meqnatiin, yenahou pion w dirou pion, yetnahaw gaa!» (traduction = on n’est pas convaincu, on enlève un pion et on met un autre pion, qu’ils partent tous!», et la journaliste l’interrompait au lieu de l’écouter : «‘arbia, ‘arbia, ‘arbia!», «en arabe, en arabe, en arabe! ». Le jeune Sofiane avait répondu en colère : «ma naarefch el arbia, hadi hia darja taana», «je ne connais pas l’arabe, c’est celle-là notre darja ou notre langue maternelle»; et c’est celle-là notre identité algérienne ou notre algérianité. La fameuse phrase «Yetnahaw gaa» est devenu le slogan emblème du hirak algérien. Mais «hadi hia darja taana» n’est pas devenue un slogan emblème et pourtant hadi hia notre identité, hadi hia notre langue, hadi hia l’Algérie dans sa diversité et globalité. Ce qui est devenu slogan plus tard c’est le drapeau ethnique berbère, et on oublie que l’Algérie est un espace plurilingue composée des langues berbères (dans leurs variétés et richesses) + la darija (dans sa variété et richesse) + le français, une langue bien présente dans la société que dans l’administration algérienne.
La question des langues maternelles algériennes et de l’identité algérienne resurgit à chaque événement politique, et on constate ce malaise identitaire, social, langagier à travers LE drapeau ethnique qui flotte en ce moment du Hirak algérien comme si l’Algérie est composée d’une seule ethnie ou tribu. Et on a vu des milliers au départ et des millions par la suite de manifestants algériens tenir le drapeau tamazight avec le drapeau algérien. Ce qui a suscité une polémique et une crise identitaire qui a conduit l’armée algérienne à interdire tout drapeau ethnique flottant avec le drapeau algérien dans cette période où l’Algérie passe par une crise politique et économique. Qui dit drapeau, dit indépendance, liberté, reconnaissance, autonomie…
Mais pourquoi donc soulever un drapeau ethnique berbère en ce moment où l’avenir politique de l’Algérie est en train de se tracer et de prendre des clivages ? Et pourquoi l’interdire par conséquent ?
La revendication du drapeau ethnique berbère serait une tentative de récupérer une identité territoriale ou géographique comme justification démocratique, car l’identité langagière est déjà acquise, elle est même dynamique et plurilingue. Et l’interdiction du drapeau ethnique par l’Armée serait une tentative de contrôle et de pouvoir sur toute l’Algérie. «R. D. Sack (1986) a bien raison de dire que «la territorialité est la tentative faite par un individu ou un groupe d’atteindre, d’influencer ou de contrôler les gens, les phénomènes et les relations en délimitant et en assurant un contrôle sur une aire géographique». C’est une imposture de présenter «les religions» comme des structures émanant de la base, comme l’écrit Ron Johnston (2003), les stratégies territoriales sont employées au sein des Etats par des groupes de pression, «comme moyen de promouvoir leurs intérêts socio-culturels, et surtout également leurs intérêts économiques» (Guerrmond, 2006: 293). Le drapeau ethnique berbère serait donc une stratégie territoriale à des fins et enjeux politiques non démocratiques. Il est clair qu’un drapeau ethnique ne peut remplacer un drapeau national, et le raisonnement en termes de citoyenneté et de patriotisme a remplacé aujourd’hui le raisonnement ethnique, clanique et tribal. Le cas de l’Albanie cité plus haut est une belle démonstration.
La tamazighité n’était pas la revendication essentielle du peuple algérien au début du Hirak (février, mars 2019), mais en interdisant le port du drapeau ethnique berbère, cela ouvre une opportunité de déstabiliser la jeunesse et l’unicité du Hirak dans ses revendications profondes, essentielles et par conséquent le disperser. Et en même temps, il n’y a pas de mal de soulever un drapeau ethnique tout en admettant qu’il y a un seul drapeau national, un seul hymne national et une seule terre, l’Algérie.
Que dit l’analyse des experts linguistes, historiens sur la question de l’identité du Maghreb et de l’Algérie, plus spécialement?
Arkoun (1995) a toujours plaidé pour un Maghreb pluriel, il a récusé «la science nationaliste», et a condamné «la science colonialiste». Il évoque une «identité maximale du Maghreb»: «Outre la dimension arabe et islamiste. Par-là, il dénonce la rupture des pays maghrébins, du moins l’Afrique avec ses «ressources anthropologiques, géo-historiques, et géo-politiques» (Bakouche, 2009: 72-73).
Elimam (2019) a également soulevé la question de l’identité algérienne d’un point de vue linguistique, historique et culturel comme étant «une réalité palpable», et met en garde la jeunesse algérienne de ne pas se diviser par des slogans et des drapeaux détournant les revendications essentielles du peuple. Nous avons deux langues maternelles en plus des langues officielles et nationales, et le français présent bien sûr. Conservons ce Patrimoine. Elimam ne se focalise pas en tant que chercheur-linguiste seulement, mais il parle aussi avec le cœur comme citoyen algérien natif d’Algérie: «L’identité que je me suis forgée est celle d’une nation multilingue qui n’a qu’un drapeau, celui qu’un million et demi de chouhadas ont permis de hisser haut, au milieu des autres nations reconnues de par le monde. Que l’amazighité trouve dans l’algérianité ses propres constituants, cela est naturel. Mais qu’elle en constitue le socle absorbant et surdéterminant, cela demanderait clarifications à la fois historiques et linguistiques», dit-il au journal Le quotidien d’Oran.
Quant à l’enseignement du tamazight à l’école, c’est un avantage de l’apprendre à l’école pour l’enfant comme langue régionale et ainsi enrichir le plurilinguisme des enfants, mais pas de manière obligatoire surtout dans les régions non berbérophones. Car il est inconcevable de forcer son enseignement et sa généralisation dans tout le territoire algérien, comme si l’enfant algérien avait été privé de son identité «d’origine», et c’est grâce à l’enseignement du tamazight à l’école que les enfants algériens retrouvent leur identité et leur épanouissement. C’est absurde. Le «forcing» n’a jamais régler les problèmes, bien au contraire, il peut avoir des conséquences psychologiques néfastes et peut conduire l’enfant à renier son identité originelle. Cela constituerait «un nouvel obstacle à surmonter, pour survivre encore et encore» (Elimam, 2019). Si nous relatons les faits, la question de la darija à l’école primaire – évoquée par l’ex-ministre de l’éducation nationale Benghabrit (2015) – avait suscité polémique et malaise surtout dans les milieux conservateurs et même chez la population berbérophone. Peu de temps après l’allocution de la ministre de l’éducation nationale, le ministère a détourné la question de la darija, et a annoncé le tamazight à l’école primaire, comme langue identitaire et obligatoire. Ce qui n’a fait qu’enfoncer le malaise identitaire de la population algérienne et des petits enfants bourgeons. La darija est partie dans les oubliettes des projets de réforme de l’éducation nationale, mais elle reste toujours présente en famille, en société et en classe chez les enfants dans des situations surtout informelles. «Le Tamazight pour tous» à l’école primaire est un projet purement politique, dit «défendre une cause nationale». Ce projet a mis fin au projet scientifique de considération des langues maternelles (darija-berbères) de l’enfant à l’école. Les curricula et les programmes de l’école primaire ne parlent jamais des langues maternelles de l’enfant algérien; il y a constamment des réformes et des refontes mais sans aller jusqu’au noyau dur, «les vraies langues identitaires».
Cette crise identitaire est en fait une frustration par laquelle passe le peuple algérien: Algérie Badissia (en référence à Abdelhamid Ben Badis 4) disent les partisans de l’arabophonie, Algérie Tamazighiat (en référence à Tamazghat, l’homme libre) disent les partisans de la berbérophobie. Reste la langue française, entre l’enclume et le marteau. Laissons chacun vivre son identité, mais la réalité est bien présente et pesante, il n’y a plus de pure race, ni de pure ethnie, nous sommes passés par des conquêtes et brassages qui ont nourri l’identité algérienne plurielle et complexe: «identité maximale du Maghreb» pour reprendre les termes d’Arkoun.
Quant à la religion, elle fait partie de l’identité algérienne. L’Islam est la religion de l’Etat et du peuple, certes, mais on ne peut occulter le fait que l’Algérie était/est judéo-musulmane de facto et c’est l’Histoire de l’Algérie qui le souligne depuis l’ère du temps (Werndorfer, 2003), sans parler des croisades chrétiennes. La réponse du questionnement sur l’identité algérienne est apportée dans l’Histoire: «Si nous voulons convoquer la raison, il nous faudra la nourrir de faits avérés et historiquement validés. Raison de plus pour ouvrir le chantier de l’histoire et tâcher de dégager les bases crédibles et vérifiables d’un consensus national» (Elimam, 2019), mais l’Histoire, chacun la perçoit à sa manière et pour son propre intérêt, elle est biaisée de subjectivité et entachée d’enjeux idéologiques et politiques – l’exemple de «la cause nationale» est bien clair -.
Il y a toutefois des vérités générales à admettre; la civilisation carthaginoise a dominé le nord de l’Afrique et de la méditerranée entre 1100 et 700 avant J-C. Cette civilisation carthaginoise, venue de la Phénicie, était porteuse du punique, la langue d’Austin Hippone – né et décédé en Algérie – et, était en contact avec la civilisation libyque ou berbère autochtone (la Numidie) du Maghreb qui est une race méditerranéenne. Beaucoup de chercheurs, occidentaux surtout, affirment la thèse que la race berbère vient du nord de l’Europe, et qu’il s’agit d’une race supérieure comme le souligne la thèse de Bertrand (1863). C’est une thèse qui arrangerait l’Europe: diviser un peuple et y semer la discorde pour mieux régner est une pratique courante dans les milieux colonisateurs et chez les belligérants.
Mais très vite, on se rend-compte que la race berbère est une race autochtone de l’Afrique du nord (Perier, 1873: 11): «Une hypothèse qui nous sourit davantage et que beaucoup de données nous semble corroborer, c’est que la race des dolmens, s’il y a unité de race, en admettant qu’elle soit en Algérie celle des envahisseurs de l’Egypte, ce que nous croyons aussi, n’a point marché du Nord au Sud, mais plutôt du Sud au Nord, et qu’elle n’est autre qu’une race autochtone, ou celle d’un groupe de peuple originaires de l’Atlas» .
L’anthropologue et le psychologue italien Sergi (1901), connu pour ses recherches contre la supériorité des blancs et la race supérieure, a bouleversé la recherche de l’époque et a contredit la thèse de «la race supérieure», il définit la race méditerranéenne comme une «race euro-africaine». C’est une première reconnaissance à l’époque dans le milieu scientifique. Il reconnaît l’Afrique comme un continent et une race à part entière, et il avance que la race euro-africaine est à l’origine des grandes civilisations de l’Antiquité: Egypte, Carthage, Grèce, Rome…Ce qu’il y a à déduire, il n’y a pas de race supérieure ni de race inférieure. Il n’y pas non plus de race ou d’ethnie pure.
La civilisation berbère n’est pas supérieure à la civilisation punique ou à la civilisation arabe et réciproquement. Le peuple tamazight s’est prévalu de son ancienneté dans le territoire algérien pour tirer profit et avantage de la situation politique algérienne actuelle. Chaque civilisation a apporté une richesse dont nous nous réjouissons pleinement actuellement. Pourquoi ce plan de récupération d’identité berbère dans une période où l’Algérie et les pays arabes passent par une instabilité et une crise politique et économique ? C’est une guerre de territoire, d’identité territoriale et de pouvoir au nom de la démocratie. La démocratie demande l’application et la rigueur dans le travail comme dans tout modèle économique et n’a jamais été un cadeau pour le peuple, et les enjeux économiques forment avec les enjeux identitaires la citoyenneté et l’amour de la patrie. Corm (2019), politologue et économiste libanais de nationalité et algérien de cœur,dit : «J’ai occupé diverses fonctions dans le domaine économique et financier au Liban et en Algérie. […] De plus, la relation privilégiée établie avec l’Algérie m’a considérablement enrichi. Ce pays est devenu ma seconde patrie». Voici son point de vue d’économiste sur le processus de démocratie:
«Je rappellerai que pour rattraper son retard de développement, un pays a besoin d’un fort dirigisme et qu’une théorie des droits humains ne pourra rien apporter sur cette question. La Prusse, la Russie ou Singapour, qui sont des modèles d’industrialisation tardive sont là pour nous le rappeler. La démocratie est la fin du processus de développement, non pas son début, comme le prétend bien faussement l’économiste Amartya Sen dans son ouvrage Development as Freedom (Le développement comme liberté)» 5.
La démocratie et le développement d’un pays ce n’est pas d’imposer une langue dite autochtone mais minoritaire à l’école ni de la généraliser. La démocratie est dans le respect du citoyen, du travail, de ses langues sans imposer une langue minoritaire sur une langue majoritaire. «Le peuple est la source de tout pouvoir» (Chapitre II, art. 7, JO de l’Algérie 2016). Passons donc par le vote des parents d’élève pour choisir les langues de l’école algérienne.
La question de l’écriture des langues du Maghreb
L’alphabet phénicien 6 a marqué son histoire et, s’est répandu en méditerranée et en Asie -1000 avant J. C. Nous assistons plus tard (- 200 avant J. C.) à la naissance de l’écriture punique par ramification, et ensuite aux écritures libyco-berbères au Maghreb et en Afrique subsaharienne, évoluées en tifinah plus tard. Aujourd’hui, l’écriture punique est morte, mais elle a servi (et elle sert toujours) de substrat langagier avec le berbère sur lequel s’établit les langues maghrébines, la darija en particulier, de l’Afrique du nord, influencé par l’arabe (Elimam, 1997, Tilmatine, 1999).
Le tifinah est encore maintenu par les Touaregs et les Berbères, et a pris d’autres formes sur le plan diachronique et synchronique. D’ailleurs, sa standardisation et sa transcription pose toujours problème, il y a plusieurs écoles et courants de pensée du tifinah de la Tunisie jusqu’au Maroc, en passant par l’Algérie, et la/les norme(s) standard(s) est/sont toujours recherchée(s) et discutée(s).
Pour les Touaregs, écrire c’est «représenter la parole». Donc, les langues berbères sont des langues essentiellement orales et c’est la tradition de l’écriture venue du Levant qui a donné naissance à l’écriture du tifinah. Les phéniciens se sont installés à Carthage (Tunisie) et on peut dire avec réserve que la civilisation carthaginoise a facilité l’arabisation et l’introduction de la langue arabe au Maghreb. Vers l’an 500, apparaissent les premières inscriptions arabes et la révélation coranique (600) a entrainé une codification de l’écriture arabe.
La langue arabe a essaimé à partir de la Mecque (Arabie Saoudite) vers l’Orient et vers l’Afrique du nord, et c’est ainsi qu’on pourrait dire que le peuple autochtone de l’Afrique du nord s’est arabisé et islamisé avec les conquêtes musulmanes du Maghreb (les foutouhat) après la mort du prophète Mohamed (647-709). Pour mieux comprendre la répartition ethnique et linguistique,référons-nous à ces cartes géographiques de répartition de la civilisation berbère et de la civilisation carthaginoise en Afrique du Nord.
Carte des locuteurs berbérophones au Maghreb 7.
Carte de la civilisation carthaginoise en 664 avant J. C 8.
La civilisation carthaginoise ou phénicienne est venue après la civilisation berbère ou numide en Afrique. L’historien et archéologue tunisien Fantar (2008), spécialiste de la civilisation punique et des langues ouest-sémitiques avance : «Les Carthaginois ne sont pas seulement des Phéniciens venus s’installer à l’ouest, comme on l’a souvent-dit.[…] En réalité, la civilisation Carthaginoise est le produit d’une hybridation. L’élément phénicien s’est mélangé à l’élément autochtone, qui apparait sous le nom de libou, «les libyens» (2008: 25).
La langue punique a traversé des siècles jusqu’à l’arrivée des Arabes au Maghreb au VIème siècle, il est même probable que le punique a facilité l’arabisation et l’islamisation du Maghreb, vu que le punique et l’arabe appartiennent à la même famille linguistique dite sémitique. Le linguiste Elimam (2009) soutient la thèse d’une existence d’un substrat punique aux dialectes maghrébins et maltais:
«…le substrat punique représente environ 50% de l’actuelle langue vernaculaire majoritaire du Maghreb. Cette langue a fait la gloire de Carthage et que le prince numide, Massinissa, pratiquait en toutes circonstances, a été bien vivace avant l’arrivée de l’Islam en terre du Maghreb – jusqu’au Vème s., elle était bel et bien attestée comme «néo-punique». L’arrivée de cette sorte de «islamo-arabophonie», langue sémitique également, va favoriser un processus d’individuation linguistique qui, au IXème siècle, esquissera cette forme, encore vivace, qu’est le maghribi. Malheureusement, les indépendances des pays du Maghreb, au lieu de sonner l’heure de l’émancipation des langues natives, ont minoré ces langues au profit d’une arabisation dont personne ne parvient à déterminer l’ancrage effectif. Même si Tamazight commence à trouver une protection juridique en Algérie et au Maroc, le maghribi, pour sa part continue de se voir marginalisé» (2009: 26).
Le plurilinguisme maghrébin et/ou algérien prend donc racine de ces substrats langagiers, historiques, culturels mais la question de l’amazighité revient de plus en plus violente sur le plan politique et idéologique comme si l’Algérie était totalement et seulement berbère et on lui a occulté son identité.
Le peuple berbère avait une identité orale, et s’est forgé une identité écrite grâce au contact avec la civilisation punique, romaine, ottomane. Les traces d’écriture trouvées puniques et néo-puniques sont beaucoup plus importantes que les traces libyques et libyco-puniques. Nous sommes passés très vite au néo-libyque avec une évolution marquée par le punique, le néo-punique, le latin et les langues berbères dans la période de l’Afrique romaine.
L’alphabet tifinah, issu de l’alphabet phénicien, a été revisité durant les années 60 par principe de militantismes et de revendication de la terre et de l’identité berbère africaine, par l’académie berbère 9 dont le siège est à Paris – l’académie berbère ou tamazight 10 en Algérie est une institution étatique venue bien après en 2017 – et par les travaux des chercheurs de l’Inalco, dont l’Algérien Salem Chaker. Cette nouvelle écriture moderne du tifinah ou le néo-tifinah a une mission de revendiquer les droits des tamazight en Algérie et/ou au Maghreb et une couche d’identité nouvelle autochtone. La communauté berbérophone se dit être marginalisée et privée de sa propre langue dans un cadre juridique institutionnel.
Cependant, l’administration algérienne ne fonctionne pas en Tifinah, même si le tamazight est devenu langue officielle (2016). Nous concevons toutefois une administration algérienne qui fonctionne en deux langues: l’arabe, langue officielle et le français, langue non officielle. Le Tamazight, deuxième langue officielle de l’Etat n’est pas d’usage administratif en Algérie. Voyons de plus près les langues algériennes d’usage administratif.
L’administration et l’enseignement
Les politiques linguistiques de l’Algérie s’appuient sur deux langues transversales, l’arabe standard et le français. L’arabe occupe le statut de langue officielle et nationale, et le français n’a pas de statut officiel, mais il est d’usage officiel en administration. Ce sont des politiques linguistiques complexes: l’arabe langue officielle et nationale et d’usage officiel. Le tamazight, langue officielle (2016) et nationale (2002), mais non présente en communication administrative, et le français, langue non officielle mais d’usage administratif officiel.
Le journal officiel insiste sur le caractère officiel de la langue arabe, et de l’importance de la traduction vers l’arabe:
«L’arabe est la langue nationale et officielle. L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat. Il est créé auprès du Président de la République, un Haut Conseil de la Langue Arabe. Le Haut conseil est chargé notamment d’œuvrer à l’épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu’à l’encouragement de la traduction vers l’arabe à cette fin.» Article 3, Chapitre II, JO n°14, 7 mars 2016.
L’administration algérienne n’a jamais utilisé le tamazight dans les correspondances officielles, il existe seulement dans les affiches et les enseignes de l’administration publique et privée. Aucun document officiel n’est rédigé en tamazight. C’est une langue vivante dans sa forme orale chez les locuteurs berbérophones (cf. la carte de la population berbérophone); les locuteurs berbérophones se confondent avec les locuteurs darijophones, ils comprennent et parlent la langue de la majorité, le parler algérien. Il est dit au journal officiel:
«Tamazight est également langue nationale et officielle. L’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Il est créé une Académie algérienne de la langue Amazighe, placée auprès du président de la République. L’Académie qui s’appuie sur les travaux des experts, est chargée de réunir les conditions de la promotion de Tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle. Les modalités d’application de cet article sont fixées par une loi organique» Article 4, Chapitre I, JO n°14, 7 mars 2016.
Nous donnons l’exemple du journal officiel rédigé en deux langues, l’arabe et le français, pour bien illustrer le choix des langues du fonctionnement de l’administration algérienne.
Le journal officiel est rédigé en langue française et arabe (et même parfois traduit du français vers l’arabe), mais comme le français n’occupe pas de statut officiel, on trouve la mention «traduction française». L’administration fonctionne en fait en deux langues, l’arabe et le français, et nous pouvons constater les formulaires administratifs bilingues (arabe-français), les extraits de naissance en arabe, traduits en français par l’administration elle-même pour l’étranger, etc. Il s’agit d’une traduction institutionnelle de l’arabe vers le français, et il s’agit surtout d’une administration bilingue (l’arabe standard + le français).
Les travaux de Benmohamed (2014, 2019) traitent la traduction et le bilinguisme juridique en Algérie; l’auteur confirme la thèse de la traduction du Droit algérien et de l’administration algérienne du français vers l’arabe, et non l’inverse:
«Le bilinguisme juridique algérien non officiel est donc une réalité incontournable, notamment en matière de textes législatifs qui existent dans les deux versions. En plus, ces textes sont le plus souvent conçus et rédigés en français, puis traduits vers l’arabe. Le texte de référence reste celui en langue française» (Benmohamed, 2019: 102).
Ce bilinguisme administratif de facto se traduit également dans l’enseignement supérieur; l’université algérienne fonctionne en deux langues, le français pour les sciences exactes, et l’arabe pour les sciences humaines. En plus, l’administration universitaire fonctionne en deux langues, l’arabe et le français, dans les correspondances et les documents officiels.
Voici l’exemple d’un sujet d’examen de classe préparatoire à l’université pour la filière des ingénieurs, rédigé en français. Les étudiants y répondent en français; une langue qui était étrangère à l’école, mais familière pour certains à la maison, devient seconde ou première langue enseignée à l’université. La langue française a pris «un coup de vieux» suite à la politique d’arabisation et surtout à son non-entretien dans l’enseignement scolaire. Aujourd’hui, elle n’a pas de statut clair, elle vit à travers le poids de l’Histoire.
La traduction dans ce domaine universitaire est différente de la traduction institutionnelle. C’est l’étudiant lui-même qui traduit ses cours du français vers l’arabe, car il a été formé en arabe à l’école. Les dictionnaires bilingues, trilingues envahissent les tables et les bureaux des étudiants: français, anglais, arabe.
La traduction des documents administratifs de l’arabe vers le français est donc un indicateur d’appartenance à un monde plurilingue et arabo-francophone. Elle traduit une francophonie et une arabophonie administrative. Notons que l’enseignement universitaire de la médecine se fait exclusivement en langue française, et nous avons observé que les étudiants en médecine, surtout la 1ère année et la 2ème année de médecine cherchent constamment des dictionnaires bilingues et de spécialité: français-arabe. Mais ils s’y adaptent et prennent des cours de français pour améliorer leur niveau aux CEIL’s, à l’Institut français, aux écoles de langues privées, etc.
La francophonie universitaire: comment s’organise-t-elle?
Sur la carte de la Francophonie (OIF, 2018), l’Algérie est bel et bien un pays francophone sur le plan sociolinguistique, scientifique et économique mais pas sur le plan politique, et figure parmi les grands pays francophones. L’Algérie était le 2ème pays francophone après la France. Aujourd’hui, c’est la république démocratique du Congo qui se trouve en 2ème position disent les statistiques, avec 42,5 million de locuteurs francophones, confronté à l’Algérie, en 3ème position avec 13.5 million de locuteurs francophones.
Les jeunes étudiants Algériens peinent aujourd’hui à apprendre le français; le niveau a considérablement baissé avec la politique d’arabisation et peut-être plus tard avec la tamazighisation de l’éducation nationale. Les jeunes algériens trouvent refuge dans les Instituts français 11, appelé autrefois les Centres culturels français. Ils peinent, car la langue française devient payante pour la jeunesse et les diplômes, les certifications et les accréditations en langue française sont plus rentables pour la France que pour l’Algérie. Mais les étudiants s’y accrochent, car ils voient l’avenir professionnel de l’autre côté de la rive.
Les centres culturels français ont changé d’appellation aujourd’hui, ils sont devenus des Instituts français où la dimension économique a remplacé la dimension culturelle. Au dictionnaire CNRTL, un institut est défini comme un «corps constitué de savants, d’artistes, d’écrivains» pour une mission bien précise. Le sens d’«institut» a évolué jusqu’à prendre le sens d’«un organisme économique», avec l’exemple de l’institut d’émission qui veut dire Banque de France. «On relève le sens d’«action d’instruire, d’éduquer quelqu’un; résultat de cette action» (CNRTL).
Nous comptons en Algérie six antennes appartenant à l’Institut Français : Alger, Annaba, Constantine, Oran, Tizi-Ouzou, Tlemcen. Ce sont essentiellement six grandes villes cosmopolitaines méditerranéennes du nord de l’Algérie. La francophonie investie par la France couvre seulement le nord de l’Algérie pour des raisons sécuritaires.
Si nous comparons cela au Maroc, l’Institut Français du Maroc couvre douze villes marocaines: Agadir, Casablanca, El Jadida, Essaouira, Fès, Kenitra, Marrakech, Meknès, Oujda, Rabat, Tanger, Tétouan. Sans compter une alliance française à Safi.
Le Maroc d’une superficie de 446550 km2, surpasse l’Algérie (2,382 MKm2), et se retrouve en tête du Maghreb et de l’Afrique en matière d’implantation de la Francophonie institutionnelle, mais pas en nombre de locuteurs francophones. Le Maroc compte 35,47 M d’habitants, et l’Algérie en compte 41,32 M d’habitants.
Cet investissement de la Francophonie institutionnelle est visible en chiffre quant aux études en France de la part des étudiants Algériens et Marocains. Malheureusement, les instituts français en Algérie commencent à perdre leur dimension culturelle qu’il y avait avant, et sont devenus «des guichets de paiements», «des banques linguistiques» et des centres d’examens de langue française Campus France pour ceux qui souhaitent intégrer les universités françaises. Et par conséquent, la France prend les meilleurs étudiants, et l’Algérie est perdante dans cet investissement d’une grande ampleur économique.
L’Algérie n’est pas contre la francophone en elle-même mais contre la politique de la francophonie, car l’Algérie souhaite un retour d’investissement et une implantation d’une francophonie durable et de consensus pour les jeunes d’Algérie dans un paysage linguistique et économique plurilingue. Les slogans de l’anglais contre le français est une contre-réaction et une révolte de la politique de la francophonie. La francophonie ne doit pas être un moyen d’ingérence pour reconquérir les pays ex-colonisés ou alors au service de l’ex-colonisateur seulement.
L’implantation des instituts français en Algérie (6 centres) et au Maroc (12 centres + 1 alliance française) peut expliquer le nombre très élevé des étudiants algériens et marocains en France et l’attachement des Maghrébins à la langue française et à la science en langue française.
Classement des nationalités des étudiants inscrits en France pour la saison 2018/2019 (source Campus France).
Ce tableau montre bien que c’est le Maghreb qui occupe la première position en nombre d’étudiants étrangers et/ou maghrébins inscrits dans les universités françaises. Le Maroc occupe la première position avec 39855 étudiants en France – et cela se comprend vu l’augmentation des réseaux français scientifiques et culturels établis au Maroc -; et en 2ème position vient l’Algérie, pays sociolinguistiquement, scientifiquement et économiquement francophone avec 30521 étudiants, et la Tunisie en 5ème position avec 12842 étudiants. La Tunisie – pays très proche de l’Italie sur le plan géographique et culturel -est classée juste après l’Italie, cela veut dire que la Francophonie est bien présente au Maghreb et au bassin méditerranéen.
On remarque que la puissance de la Chine a une place très signifiante dans la francophonie, économique surtout. La politique de la Chine est d’investir dans toutes langues rentables sur le plan économique.
La francophonie universitaire algérienne (Stambouli: 2016) ne s’organise pas seulement par le biais des Instituts français, mais aussi par l’AUF (Agence universitaire de la Francophonie) et par des conventions scientifiques interministérielles et interuniversitaires. L’Algérie est membre formel de l’AUF (campus numérique francophone d’Alger, adhésion des universités algérienne à l’AUF), et les langues de l’avenir scientifique de l’Algérie sont le dessein actuel des nouvelles politiques linguistiques algériennes.
La francophonie venue d’ailleurs
Il est à noter que certes la langue française joue une grande part dans le plurilinguisme algérien dynamique formel et informel, mais elle n’est pas la seule sur le marché du plurilinguisme et de la francophonie scientifique et économique en Algérie. D’autres institutions francophones proposent de maintenir une coopération francophone bilatérale avec l’Algérie en matière de langue française, d’économie, de sciences, de culture…etc.
Notons l’exemple de l’Ambassades du Royaume de Belgique qui propose une coopération en matière de développement, et le site de l’Ambassade de Belgique à Alger est élaboré en langue française. Aussi, l’Ambassade de Suisse à Alger met en service une plateforme de communication en quatre langues: français, anglais, italien et allemand, et propose également une coopération dans les domaines économique, de l’éducation et de la formation, de la recherche et de l’innovation, en promotion de la paix et sécurité humaine, en coopération au développement et aide humanitaire et les échanges culturels. Pareil pour l’Ambassade du Canada à Alger, qui propose des services en deux langues: français et anglais. Sur le site de l’Ambassade du Canada à Alger, il est écrit:
«Le Canada et l’Algérie sont également unis par des liens culturels et universitaires. Il existe notamment plusieurs accords interuniversitaires au niveau de la recherche et de l’enseignement. Le 1er juillet 2017, Air Canada a lancé un vol direct entre Montréal et Alger, un service auparavant offert par Air Algérie seulement».
Donc, la France n’est pas la seule sur le terrain de la francophonie en Algérie et la francophonie algérienne, et cette francophonie, venue de part et d’autre, il faudrait la maintenir par les échanges au travail avec les pays francophones, le respect des langues et du travail en plusieurs langues. On ne peut détruire cette francophonie du jour au lendemain, il faut savoir entretenir ses relations, ses langues et cette éducation aux langues universitaires devrait se réaliser et se maintenir dès l’enfance.
La francophonie vient aussi de l’Afrique subsaharienne; l’Algérie a d’excellents rapports diplomatiques et culturels avec les pays voisins de l’Afrique et le nombre d’étudiants africains dans les universités algériennes ne cesse de s’accroitre, car ce qui les attire c’est l’Algérie francophone d’abord.
Conclusion
Les expériences de plurilinguisme ont souvent montré que les conflits entre les peuples peuvent avoir des retombées et des conflits entre les langues et leur usage. Faisons de nos langues et de nos expériences avec autrui et d’autres langues une richesse, «il n’est de richesse que d’hommes» disait Jean Bodin. Les travaux coordonnés par Blanchet et Taleb-Ibrahimi (2009) sur les pratiques langagières et sociales au Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) ont tous montré qu’il y a une présence et une dynamique de langues maternelles algériennes et/ou maghrébine (darija, berbère) en contact du français, de l’arabe standard et du tamazight standardisé parfois avec une rivalité avec l’anglais dans certains domaines ou situations de communication professionnelle. Ce qui marque des facettes du plurilinguisme algérien et/ou maghrébin. Sont-elles toutes visibles? C’est le domaine des sciences du langage de montrer plus de visibilité et d’éclairer ce plurilinguisme.
Il est à noter toutefois que la francophonie algérienne ne peut exister indépendamment des autres langues algériennes et/ou présentes en Algérie, et on ne peut agir efficacement pour promouvoir davantage la langue française en Algérie si on ne connaît pas l’Histoire des langues maghrébines et l’Histoire du Maghreb.
NOTES
1 Cette citation vient du monde arabe. Certains disent qu’elle n’appartient pas seulement au Prophète Mohamed.
2 L’influence de la France en Albanie était bien présente depuis 1272 sur le plan diplomatique, linguistique, commercial et militaire. Cf l’article d’Argita Malltezi, « L’influence française et les rapports commerciaux entre l’Albanie et la France dans une perspective historique », 2014, dans revue internationale de droit comparée.
3 La vidéo appartient à la chaîne de télévision « El Arabia ». https://www.youtube.com/watch?v=kYT-O4glR54
4 Abdelhamid Ben Badiss (1889-1940), un savant sage algérien, fondateur de l’association des Oulemas algérien. La journée du savoir en Algérie est célébrée le 16 avril, la date de sa mort. Ses trois fondements sont : le nationalisme, l’arabisme et l’Islam.
5 https://orientxxi.info/magazine/georges-corm-itineraire-d-un-intellectuel-libanais,3287
6 A lire L’Aventure des écritures, BNF, Paris, http://classes.bnf.fr/dossiecr/chr-ecri.htm#phenicien
7 Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Berb%C3%A8res
8 https://fr.wikipedia.org/wiki/Civilisation_carthaginoise
9 L’académie berbère à Paris est une association culturelle, fondée le 14 juin 1966, elle revendiquait l’identité et la culture amazight. Dissoute en 1978 sous la pression de l’Algérie sur la France. Elle est à l’origine de la création de l’alphabet standard tifinah et du drapeau ethnique berbère.
10 L’académie algérienne de la langue amazighe est fondée le 27 décembre 2017 par le gouvernement algérien. Elle a pour mission de normaliser le berbère standard algérien et de promouvoir le tamazight dans le pays.
11 Cf. la grille des tarifs d’examens de langue française de l’institut français https://www.if-algerie.com/oran/tests-et-examens. L’Institut Français est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) français, il dépend du ministère des affaires étrangères français et du ministre chargé de la culture français. Il a pour but principal de promouvoir la langue et la culture française à l’étranger.
Bibliographie
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