XXVIIe BIENNALE DE LA LANGUE FRANÇAISE
PARIS 14-16 SEPTEMBRE 2017
La langue française dans l’enseignement supérieur français (sciences et Médecine) : Etude du cas de l’Université Pierre et Marie Curie –Sorbonne Universités
Sabine Lopez
L’UPMC est la première université française en Sciences et Médecine et la 6ème en Europe. Très attractive, elle accueille chaque année environ 6500 étudiants étrangers et envoie environ 1000 étudiants en mobilité internationale. Cette université est nettement orientée vers la Recherche (8500 publications/an en grande majorité en anglais, 11% des publications françaises).
La maîtrise de la langue anglaise tant orale qu’écrite est aujourd’hui indispensable à la poursuite d’études et/ou de recherches dans les domaines de spécialité que propose l’Université au même titre que des compétences en informatique. Dans ce contexte de forte pression anglophone, comment évolue la place que la langue française dans l’offre de formation et de recherche ? Quels sont les liens que l’Université entretient avec l’espace francophone ? A-t-elle une politique spécifique vis-à-vis de cet espace ?
A l’échelle de l’Université, quels sont les dispositifs mis en place pour accueillir les non-francophones ? Quel accompagnement linguistique et culturel leur est proposé ?
La réflexion sur l’offre de formation en langues pour non spécialistes (LANSAD) dans l’Enseignement Supérieur français n’est d’actualité que depuis les années 2000. D’une part, le développement de la mobilité étudiante et enseignante a souligné un niveau en langue étrangère insuffisant des étudiants (et des enseignants...) français. D’autre part, l’accélération de la mondialisation/globalisation de nos économies, exige dorénavant des compétences linguistiques opérationnelles pour pouvoir s’intégrer plus aisément sur un marché du travail internationalisé et plus exigeant en compétences langagières quel que soit le domaine de spécialité.
Les « Grandes Ecoles » se sont très vite saisies du problème ; résultat, tous les étudiants sont tenus de faire au moins une mobilité internationale au cours de leur cursus, et un niveau de langue attesté, majoritairement en anglais, est exigé pour l’obtention du diplôme. La maîtrise d’une seconde langue étrangère est également fréquemment imposée. De plus, le niveau en langue maternelle est maintenu et développé grâce à des cours de techniques d’expression et de communication adaptés aux publics.
En ce qui concerne les Universités, la question est plus délicate. Ces institutions publiques doivent gérer des cohortes d’étudiants toujours plus importantes avec des budgets toujours plus contraints. En outre, le milieu socio-économique des étudiants n’est pas le même. Ainsi, même si la prise de conscience des besoins tant en langue maternelle qu’en langue étrangère est bien réelle, les moyens à disposition sont limités ; il faut faire preuve d’une grande persévérance et de créativité pour poursuivre le développement d’une offre de formation adaptée et efficace.
La plupart des universités non spécialistes considèrent, par ailleurs, le développement de compétences en langues étrangères séparément de l’offre de formation générale ce qui, l’expérience le montre, est voué à l’échec. L’offre de formation en langue étrangère correspond au mieux à un semestre par an soit, environ 30 heures de cours en présentiel ou à distance. On constate, une stagnation, voire une baisse du niveau entre la première année de licence et la deuxième année de master pour les étudiants n’ayant eu aucun autre contact avec la langue étrangère grâce à une mobilité internationale, par exemple.
L’Université ne pourra certes pas combler les lacunes accumulées mais, elle pourrait, grâce au développement d’une pédagogie innovante et surtout intégrée, permettre à ses étudiants d’acquérir un niveau qui leur permette de communiquer plus aisément au moins dans leur domaine de spécialité.
A l’UPMC, le Maghreb, le Machrek et la Chine constituent les pays d’origine des étudiants les plus représentés hors Europe. Ces cohortes d’étudiants candidatent dans notre université essentiellement pour obtenir des diplômes. Même si l’université demande un niveau B2 de français pour une inscription en licence et B1 en master, leur niveau de langue est très variable (grands écarts entre oral et écrit) et nous contraint à proposer des cours de français langue étrangère de A0 à C1. En ce qui concerne l’Europe, les étudiants sont essentiellement originaires d’Italie, de Roumanie, d’Espagne, d’Allemagne et de Belgique. Ils participent, pour la plupart, à des programmes d’échanges ou à programmes de Masters internationaux. L’UPMC propose, en effet, 30 parcours internationaux dont 21 sont proposés en anglais (niveau B2 exigé et cours de FLE obligatoire), essentiellement au niveau M2. Les doctorants non francophones sont admis s’ils justifient d’un niveau B2 en anglais (cours de FLE spécifiques, niveau débutant).
Petit historique de l’évolution de l’offre de formation en langue française à l’UPMC
1997 : Lancement d’Erasmus
1998 : Processus de Bologne
2002 : Passage au LMD à l’UPMC et création d’un service de Français Langue Etrangère (FLE) à l’origine réservé aux étudiants Erasmus mais très vite ouvert à tous les étudiants et enseignants chercheurs étrangers non francophones accueillis à l’UPMC. Le Service gère en moyenne 800 étudiants/an.
L’offre de formation, adaptée aux scientifiques, est organisée en soirée et/ou à distance (formation hybride) et propose des cours allant des niveaux A0 à B2-C1. Elle est validée par l’octroi d’ECTS (crédits).
2004 : Transformation du service de FLE en service d’accompagnement en langue française afin d’intégrer une offre de formation en « Technique d’expression et de communication » (TEC) pour étudiants francophones réclamée par les départements de formation (L1, Licences professionnelles, Masters)
Par la suite, Le FLE continuera à dépendre de la Direction des Relations Internationales afin de conserver son adaptabilité aux flux variables des étudiants étrangers et sa transversalité et le TEC sera rattaché au Département des langues de l’UPMC car cet enseignement, comme les cours d’anglais, est intégré dans les maquettes de formation.
2014 : Dans le cadre de Sorbonne Université, création du SIAL (service interuniversitaire d’apprentissage des langues) qui propose, outre des formations en langues très variées comme l’arabe, le chinois ou le norvégien, des formations de FLE complémentaires à l’offre UPMC de niveau C1-C2.
Pour une politique linguistique forte et intégrée et des moyens pour la mettre en place
Il existe aujourd’hui sur le marché, des tests des compétences linguistiques fiables, évolutifs et conformes au Cadre européen commun de référence pour les langues i(CECRL) pour la plupart des langues. Nous utilisons ces outils en FLE mais pas encore en pour les autres langues.
Sur la base de ces résultats, on peut proposer à l’étudiant un parcours de perfectionnement ciblé et adapté tout au long de son cursus avec des cours de soutien linguistique quelle que soit la langue. En même temps, il est indispensable de sensibiliser les enseignants chercheurs disciplinaires à l’efficacité d’une approche intégrée au sein d’un cours disciplinaire (polycopiés bilingues/plurilingues, exposés en langue étrangère(LE), classe inversée à partir de documents en LE, simulation de colloques…).
Il est évident que ces collègues vont avoir besoin du support de spécialistes. Là encore, l’expérience nous montre qu’une collaboration étroite, entre enseignants disciplinaires et linguistes, rassure les uns et les autres et permet le développement d’une pédagogie très innovante appréciée par les apprenants.
La démarche est complexe ; il convient de faire évoluer des pratiques de collègues accoutumés à une approche plutôt traditionnelle et individuelle et très attachés à leur liberté pédagogique. Sortir du cadre strictement disciplinaire et apprendre à travailler en équipes pluridisciplinaires ne s’improvise pas et nécessite un accompagnement initial, adapté et valorisant/valorisé. L’investissement initial est indispensable et doit s’appuyer sur une volonté politique clairement exprimée et soutenue matériellement.
Nous œuvrons pour le développement de cette approche mais beaucoup reste encore à faire pour proposer une offre de formation adaptée et nous permettre de mieux intégrer les étudiants étrangers dans nos parcours surtout au niveau Licence. L’idée n’est pas de proposer des parcours totalement en anglais à ce niveau mais de permettre à nos étudiants, quels qu’ils soient, de suivre ensemble des formations et de s’enrichir réciproquement de leurs différentes cultures. Cette flexibilité/adaptabilité n’est pas encore entrée dans les mœurs de nos enseignants-chercheurs comme c’est le cas dans d’autres pays d’Europe.
De plus, il convient de considérer le développement de ces compétences dans le cadre d’une formation tout au long de la vie et non plus comme une formation initiale qui se limite à l’obtention d’un diplôme et/ou d’une certification.
Pour le développement d’un véritable espace francophone de l’enseignement supérieur et de la Recherche
Nous savons depuis Platon que les langues et cultures que nous connaissons façonnent notre vision du monde et notre façon d’appréhender les phénomènes. Ainsi, mêmes si les mathématiques sont généralement considérées comme un langage universel transculturel, nos échanges avec des mathématiciens nous montrent qu’il existe, là aussi, différentes approches. A ainsi été évoquée l’élégance d’une démonstration « à la française » qui serait différente d’une approche russe ou américaine. Les mathématiques constituent d’ailleurs l’un des rares domaines scientifiques où l’on peut encore publier en français. La puissance de l’école mathématique française, dans les premières au monde, le permet.
L’Espace francophone partage des concepts, des valeurs et une histoire véhiculée par cette langue. Les objectifs et missions de l’Organisation Internationale de la Francophonie et l’Agence Universitaire de la Francophonie structurent cette dimension. Appartenir à cet espace est significatif.
Toutefois, à l’échelle d’une université de Sciences et de Médecine telle que la nôtre, comment se traduit cette appartenance ?
Comme nous l’avons vu ci-dessus, les origines des étudiants étrangers illustrent ce lien étroit. La grande majorité des étudiants accueillis appartiennent à cet espace.
Nous avons ainsi dû mettre en place des cours de français adaptés à ces publics qui présentent des caractéristiques particulières : un très bon niveau de compréhension du registre familier oral mais une maîtrise de l’écrit standard insuffisante. En outre, la méthodologie universitaire employée ne correspond pas aux approches pédagogiques mises en œuvre dans leur pays d’origine. Nous avons donc proposé des cours de techniques d’expression et de communication ainsi que de méthodologie du travail universitaire adaptés. Ces cours sont également suivis par des natifs qui ont des difficultés similaires. Les difficultés rencontrées sont davantage le fruit d’un environnement socioéducatif qui a des conséquences sur la maîtrise du registre de discours que nous pourrions qualifier d’universitaire.
Ces difficultés sont régulièrement soulignées par les enseignants disciplinaires qui se plaignent du niveau insuffisant de maîtrise de la langue par les étudiants.
Au niveau des relations internationales de l’Institution, nos relations restent privilégiées avec nos partenaires francophones. Nombreux sont nos étudiants qui partent en mobilité vers le Canada francophone, en Suisse romande et en Belgique. La mobilité vers l’Afrique s’appuie davantage sur un choix disciplinaire (par exemple biologie tropicale, environnement...) lié au terrain d’enquête pour les étudiants de Master.
Au niveau doctoral et post doctoral, le choix de la mobilité est essentiellement disciplinaire (qualité du laboratoire d’accueil). Le critère linguistique n’intervient que très rarement. En ce sens, l’Amérique du Nord (anglophone et francophone) et l’Europe sont très attractifs.
Par ailleurs, nous suivons les actions de l’AUF et nous participons aux séminaires sur l’internationalisation des institutions d’enseignement supérieur francophones organisés par l’ARESii.Nous avons, en outre, coordonné plusieurs projets européens de formation avec l’Afrique du Nord et le Moyen Orient afin de pouvoir bénéficier de financements pour la mobilité des étudiants et des enseignants chercheurs dans le sens Sud-Nord mais aussi dans le sens Nord-Sud en tentant un rééquilibrage des flux et en prévenant la fuite des cerveaux grâce à des programmes très structurés dans le cadre de partenariats équilibrés.
Nous n’avons cependant pas encore défini de stratégie particulière en direction de cette zone géographique soutenue par un budget spécifique. La fusion de l’UPMC et de Paris Sorbonne au premier janvier 2018 ouvre de nouvelles perspectives de collaborations élargies et pluridisciplinaires et nous porte à croire que de nouvelles orientations pourront être proposées dans le nouveau projet d’établissement. Il serait par exemple pertinent de réfléchir ensemble à la création de cours en ligne adaptés à un public francophone. Nous travaillons déjà en ce sens avec des universités marocaines mais il serait intéressant d’élargir cette collaboration à l’Afrique subsaharienne encore trop absente dans les groupes de recherche.
Conclusion
Défendre la francophonie au niveau d’une grande université française publique de sciences, ingénierie et médecine se conçoit donc à différents niveaux et nécessite de développer une politique de recherche et de formation pragmatique mais volontariste, consciente des enjeux et des besoins de nos étudiants en trouvant un juste équilibre entre la maîtrise de la langue française et des compétences avérées en langues étrangères (anglais et autres) afin d’offrir à nos enfants les moyens qui leur permettront de s’adapter au mieux à une/des société(s) complexe(s) et évolutive(s) mais dans lesquelles la maîtrise du verbe reste un outil fondamental d’intégration.
Inutile de se voiler la face ni de baisser les bras. La compétition entre l’anglais et les autres idiomes véhiculaires dont le français, reproduit un processus déjà analysé dans l’Histoire. Les moyens de communication actuels accélèrent ce processus.
Pierre Bourdieu a très justement analysé les liens étroits entre pratiques linguistiques et contexte socioéconomique. En se penchant sur la disparition des patois, il conclut, en employant systématiquement le champ lexical de l’économie, que l’accession au marché du travail contraint les populations à « collaborer à la destruction de leurs instruments d’expression »iii. Il parle du marché linguistique : plus le capital linguistique d’un locuteur est important, plus ce dernier sera en mesure d’exploiter à son profit le système de différences qui existe et de s’assurer un profit.
L’université se doit de développer un plurilinguisme inclusif qui permette à tout un chacun de trouver sa place et de progresser en fonction de son profil particulier. Mieux accueillir et intégrer les publics étrangers en leur proposant un accès rapide et adapté à la langue-culture est un moyen de permettre à nos propres étudiants de s’ouvrir à d’autres cultures et de comprendre la complexité du monde contemporain. Mieux former nos étudiants aux langues étrangères et leur permettre de bénéficier d’une expérience internationale participe grandement à cette ouverture d’esprit et à une prise de conscience des particularités de leur propre culture. Nos alumni de par le monde se font tous l’écho de cet enrichissement et nos écrivains issus de métissages culturels en parlent merveilleusement bien.
Ces deux dimensions ne doivent toutefois pas évoluer en parallèle mais se rejoindre dans une approche disciplinaire construite autour d’un projet. Actuellement, le concept d’internationalisation, très au goût du jour, est très souvent galvaudé par des positions extrêmes et clivantes. Le « tout anglais » comme le repli sur soi exclusif du « tout français » sont les principaux écueils à éviter. Trouver un juste équilibre est un enjeu de taille pour les pédagogues de demain au-delà même des questions d’ordre purement linguistique. Quelles sont/seront les compétences de bases à acquérir pour pouvoir évoluer de façon autonome et répondre aux grands défis sociétaux de demain qui, nous le savons, ne peuvent être appréhendés que de façon pluri/ivinterdisciplinaire voire pluri-multiculturelle?
ii - ACADÉMIE DE RECHERCHE ET D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR de Belgique, www.ares-ac.be
iii Pierre BOURDIEU « Langage et Pouvoir symbolique » chapitre 1, « La production et la reproduction de la langue légitime »
CV Sabine LOPEZ :
Spécialisée en linguistique appliquée et didactique du Français Langue Etrangère (FLE), SL a enseigné dans plusieurs universités françaises (Sorbonne Nouvelle-Paris III, Strasbourg) et à l’étranger avant d’être recrutée en 2002 par l’UPMC pour créer un service d’accompagnement linguistique en français (langue étrangère et langue maternelle). Très investie dans le montage et la coordination de projets européens et internationaux, elle se voit confier en 2007, la Direction des relations internationales de l’UPMC- Sorbonne Université-.
Elle continue à superviser l’offre de formation en FLE afin que celle-ci s’adapte efficacement aux profils des étudiants étrangers recrutés par l’Université. Elle est par ailleurs experte auprès du Ministère de l’Enseignement Supérieur français et du CIEP pour l’évaluation des niveaux de français (TCF, TEF, DELF, DALF).