Séance de travail sur le concept de « langues partenaires »

Louis-Jean Rousseau
Agence intergouvernementale de la Francophonie

Notes introductives

Mesdames, Messieurs,

Au nom de l’Administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, M. Roger Dehaybe, je vous souhaite la bienvenue à cette première séance de la Biennale de La Rochelle. Nous sommes, à l’Agence, particulièrement heureux du choix du thème de cette Biennale car il correspond à l’une de nos grandes priorités, la diversité linguistique.

Le concept de « langue partenaire »

Au cours de cette séance,  nous allons tenter de circonscrire ce concept de « langues partenaires », introduit récemment dans le vocabulaire de la Francophonie, et je voudrais, avant de donner la parole à nos conférenciers, dire quelques mots à ce sujet.

La Francophonie  institutionnelle considère la diversité linguistique comme un enjeu capital. En effet, en 2001, les ministres de la Culture des États et gouvernements de la Francophonie ont adopté, lors de leur réunion, la Déclaration et le Plan de Cotonou sur la diversité culturelle et linguistique, qui invite la Francophonie à se pencher sur la question du développement des langues, le français et les langues partenaires, tant en ce qui a trait au statut et à l’usage de ces langues qu’en ce qui concerne leur développement interne. Cette orientation a été confirmée par le Sommet de la Francophonie de Beyrouth.

Le plan de Cotonou veut assurer « la mise en place de politiques linguistiques et de structures appropriées favorisant le développement harmonieux de la langue française et des langues partenaires », et entend « consolider le rôle de ces langues en tant que vecteurs d’expression des créateurs, de développement, d’éducation, de formation, d’information, de communication de l’espace francophone », autant d’activités qui ont en commun l’usage des langues.

Voici donc les grandes orientations du Plan de Cotonou :

  1. Soutenir, aux plans interne et international, la diffusion et le dialogue des cultures en favorisant leur appropriation par les populations et en développant le savoir-faire des professionnels.
  2. Faciliter la conception et la mise en œuvre de politiques culturelles et linguistiques.
  3. Consolider le rôle de la langue française et des langues nationales partenaires en tant que vecteurs d’expression des créateurs, de développement, d’éducation, de formation, d’information, et de communication au sein du monde francophone.
  4. Améliorer l’accès des créateurs, artistes,producteurs et éditeurs de la Francophonie aux marchés internationaux et la protection de leurs droits.
  5. Développer les industries culturelles, les technologies de l’information et les médias audiovisuels.
  6. Instaurer une concertation permanente élargie aux acteurs culturels de la société civile et du secteur privé.

Au moment de la préparation du Plan de Cotonou, la question de la terminologie à utiliser pour parler des langues de la Francophonie s’est posée de manière particulièrement aiguë.

Traditionnellement, on parlait, en Francophonie, de français, bien entendu, et de « langues du Sud ». Avec l’extension de la Francophonie institutionnelle à un plus grand nombre de pays, cette appellation de « langues du Sud » faisait problème. Ainsi, nos collègues des pays d’Europe de l’Est associés à la Francophonie nous disaient : « Et nous, sommes-nous du nord ou du sud ? ».  Il nous fallait donc recourir à une appellation qui n’ait pas de référence géographique pour désigner un ensemble très varié de langues ayant des statuts différents. Le « terme langues nationales » pouvait être gênant à plus d’un point de vue. En effet, plusieurs des langues qui nous intéressent sont des langues plurinationales alors que d’autres sont infranationales. De plus, le déterminant « nationales » fait dans certains pays, référence au statut juridique de certaines langues.

Par ailleurs, l’expression « langues natales » était parfois utilisée dans les discussions pour désigner les langues autres que le français. Cette expression nous semblait inappropriée. En effet, le concept de « langue natale » est l’équivalent de « langue maternelle » et en ce sens, toutes les langues peuvent être qualifiées de « natales », y compris le français. D’autre part, de nombreux citoyens des pays du Sud parlent  habituellement une langue qui n’est ni le français, ni leur « langue natale », mais une langue véhiculaire qu’ils ont apprise et qui est devenue leur langue d’usage. Dans ces conditions, parler de « langues natales » ne pouvait  que perturber la bonne compréhension des choses lors de discussions sur les politiques linguistiques.

Alors l’appellation « langues partenaires » s’est imposée comme solution, tant comme appellation que comme programme.

Il s’agit ici non seulement d’un changement de nom, mais d’un changement d’orientation : nous passons d’un paradigme géographique (langues du Nord, langue du Sud) à un paradigme politique, sans interférer avec les différentes typologies des langues ou avec les différentes catégories de statut des langues (langue officielle, langue nationale, langue régionale, langue d’enseignement, etc.).

Afin de pouvoir entreprendre des actions précises et d’effectuer des choix de priorités, en conformité avec les politiques linguistiques des Etats et gouvernements membres de la Francophonie, les opérateurs de la Francophonie ont adopté la définition suivante du concept de « langue partenaire du français » :

Langue partenaire du français
Langue qui coexiste avec la langue française et avec laquelle sont aménagées des relations de complémentarité et de coopération fonctionnelles dans le respect des politiques linguistiques nationales.

Ajoutons que dans sa programmation actuelle, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie favorise les actions d'aménagement interne d’un certain nombre de langues d'intercommunication transfrontalières (mandingue, peul, lingala, haussa, etc.) et nationales (wolof, more, fon, sango, etc.), de même que les créoles, suivant différents axes d'intervention (aménagement du statut et du code des langues), en accord avec les politiques linguistiques des États.

Travaux de partenariat linguistique « intra Francophonie »

Pour mettre en œuvre le Plan de Cotonou, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie a inscrit dans sa programmation 2002-2003 les activités suivantes consacrées au domaine des langues :

Le français dans la vie internationale

L'objectif principal de ce programme est de contribuer au renforcement des effectifs francophones dans les organisations internationales par des actions de formation spécifiques et la mise à disposition de jeunes experts francophones qui ont au préalable reçu une formation particulière, dans la perspective de leur embauche ultérieure. Il s’agit aussi d’assurer un bon niveau de présence francophone dans la vie internationale, notamment par le soutien à la participation des francophones aux concertations internationales et à l’usage du français dans les conférences internationales, grâce à l’interprétation et à la traduction de documents;

La promotion du français et appui à son enseignement 

Ce programme vise à soutenir des actions de modernisation de l’image du français et d’incitation à son usage, par l’audiovisuel mais surtout par son enseignement, à travers des échanges d'expériences et d'expertises, un soutien aux réformes des systèmes d'enseignements. Il s’agira aussi d’appuyer la production d'outils didactiques adaptés aux différentes situations d’apprentissage et distinguant le cas spécifique des 22 États membres du Sud qui ont choisi le français comme langue officielle, où l’accès du plus grand nombre à cette langue pose d’abord une question de développement et de pleine participation à la citoyenneté.

 L’appui aux politiques linguistiques et aux langues partenaires 

Ce soutien couvre tout autant le domaine d’élaboration de législations adéquates que celui de l’aménagement linguistique par recours aux industries de la langue. En plus, une attention particulière sera accordée aux langues nationales partenaires qui, sur le terrain africain et créolophone, servent de relais à la langue française en tant que vecteurs de communication, d’éducation et de créativité. Le soutien de ces langues d’intercommunication, qu’elles soient de portée nationale ou transfrontalière, a pour objectif de rendre plus facile leur utilisation concrète, à l’oral comme à l’écrit. Mais il s’agit également d’organiser un partenariat avec les autres organisations internationales représentant d’autres espaces relativement homogènes autour de langues telles que l’arabe, l’espagnol ou le portugais.

Dispositif

Pour réaliser cette programmation, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie a mis en place un dispositif dans lequel les interventions sont structurées en réseaux regroupés autour du CIFLA (Conseil international francophone des langues).

Le CIFLA est en quelque sorte l’espace d’élaboration des stratégies les plus efficientes possibles pour faciliter dans la Francophonie la convivialité et le partenariat des langues et pour organiser le dialogue avec les autres ensembles linguistiques. Sur le plan opérationnel, il est la plate-forme commune d’intégration et de coordination des réseaux  spécialisés suivants :

  1. Le Réseau International du Français dans le Monde (RIFRAM) est, comme son nom l’indique, consacré à l’enseignement et à la promotion du français.
  2. Le Réseau International des Langues Africaines et Créoles (RILAC), dont la mission est :
    • de contribuer à la formulation de la politique de la Francophonie à l’égard des langues africaines et créoles;
    • de soutenir les études et les actions de promotion et de diffusion de ces langues;
    • de promouvoir la formation des gestionnaires des politiques linguistiques dans les pays concernés.
  3. Le Réseau International Francophone d’Aménagement Linguistique (RIFAL), qui s’intéresse à tous les aspects de l’aménagement linguistique, y compris les politiques linguistiques et poursuit notamment les objectifs suivants :
    • La concertation en matière de termi­nologie et de néologie, en favorisant le travail coopératif et en constituant un pôle de référence.
    • La promotion et le soutien du traitement informatique du français et des langues partenaires.
  4. Le RILIF, Réseau international des littératures francophones, nouvellement créé pour mettre en valeur le rôle de la littérature et des métiers du livre dans le développement et la promotion des langues.

Je vous invite à prendre connaissance de façon plus détaillée de cette programmation sur le site Internet de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie.

Dans la conduite des travaux de partenariat linguistique, notamment en ce qui a trait à l’Afrique, largement représentée dans le programme de la Biennale, et aux pays de langue créole, trois grands défis sont à l’ordre du jour :

  1. Assurer le développement, l’instrumentalisation et la standardisation des langues partenaires afin de les rendre aptes à remplir les fonctions qu’on leur a assignées dans le cadre des politiques linguistiques nationales.
  2. Travailler à l’informatisation de ces langues afin de réduire ce que l’on a appelé « la fracture numérique », car si l’accès à l’Internet se répand rapidement dans les pays du Sud, il n’existe pratiquement aucun contenu dans les langues partenaires.
  3. S’assurer de l’appropriation du français par les locuteurs des langues partenaires, non seulement par l’apprentissage du français, mais aussi par la participation à son enrichissement, notamment en ce qui a trait à la dénomination en français des référentiels des différents pays et régions de la Francophonie.

L’Agence soutient aussi des travaux sur les autres langues présentes dans la Francophonie institutionnelle, notamment des travaux lexicographiques bilingues, du et vers le français (ex. : Bulgarie, Vietnam, etc.).

Partenariat extra Francophonie : Les « Trois espaces linguistiques »

Par ailleurs, en 2001, l’Organisation internationale de la Francophonie, dont l’Agence l’opérateur principal, s’est engagée dans un programme de coopération avec la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), l’Organisation des États Ibéroaméricains (OEI), le Secrétariat de coopération Ibéroaméricain et l’Union Latine. Ces organisations, qui regroupent 79 États et gouvernements sont convenues de faire converger leurs efforts, jusqu’alors dispersés, dans un engagement en faveur de la diversité linguistique. Ce projet, dit des Trois espaces linguistiques (Francophonie, Hispanophonie et Lusophonie), vise à faire progresser les trois langues concernées dans le monde et, sur le plan intérieur, entend améliorer la gestion des trois langues et des langues partenaires que sont les autres langues présentes sur leurs territoires. À cette fin, deux groupes de travail ont été créés, l’un sur les technologies de l’information et de la communication (TELTIC), et l’autre sur l’aménagement linguistique (TELAL) et des projets proposés par ces groupes de travail sont déjà en voie de réalisation.

Pour sa part, le groupe TELAL a proposé un certain nombre d’interventions dans les domaines suivants :

  • Le statut international des langues des trois espaces;
  • La gestion des autres langues (langues partenaires);
  • Le développement de l’offre en langues;
  • L’homogénéisation des systèmes d’accréditation des compétences linguistiques.

Je ne vais pas décrire le détail de ces projets dont certains sont en voie de réalisation. Je ne les ai cités que pour soutenir notre discussion sur le partenariat linguistique.

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93