L'irruption des médias sociaux: enjeux éthiques et politiques

Serge Proulx 1

 


Le phénomène des médias sociaux - et en particulier, les sites de réseaux socionumériques (SRS) - ont fait brutalement irruption dans le paysage médiatique, au point de transformer nos repères en matière d'expression de la parole publique. Que signifie la multiplication des usages de ces nouveaux dispositifs de communication pour les sociétés contemporaines? Ces dispositifs apparus depuis moins d'une décennie s'inscrivent plus généralement dans la nouvelle constellation du Web social, c'est-à-dire un environnement de plateformes collaboratives qui invite les utilisateurs à devenir des contributeurs actifs dans l'univers Internet (Millerand, Proulx, Rueff, 2010; Proulx et al., 2011). Après avoir décrit plus précisément ce qui caractérise sociologiquement les médias sociaux et les sites de réseaux socionumériques, je présenterai les principaux enjeux que ces dispositifs font surgir aujourd'hui pour les sociétés contemporaines.

L'univers du Web social

Sur quoi veut-on insister quand on parle d'un Web social? L'appellation la plus répandue pour décrire ce phénomène de transformation des plateformes interactives du Web, c'est celle de "Web 2.0". Mais comme il s'agit d'une expression connotée d'un point de vue technique et marketing - il y aurait en effet un "avant": le Web 1.0, et un "après": le Web 3.0 - je préfère personnellement parler de Web social pour souligner le fait que ce basculement est non seulement technique mais aussi, et surtout, économique et socioculturel. Une manière intéressante de saisir la portée de ce basculement est de contraster un usage instrumental du Web (exemples: chercher des renseignements en matière de santé, acheter un titre de transport en ligne, consulter le bulletin météo) avec un usage expressif du Web (utiliser sa messagerie instantanée, commenter un blog, créer sa page personnelle) (Tufekci, 2008). Les usages expressifs de l'Internet se sont démultipliés depuis l'émergence du Web social à tel point que l'approche des sciences humaines et sociales sur les usages socialisants du Web a connu, selon Antonio Casilli (2010), une transformation significative: alors que jusqu'au début des années 2000, les recherches empiriques se centraient sur la vérification d'hypothèses concernant la fragmentation des communautés d'intérêt ou le soi-disant "cloisonnement social" des utilisateurs d'Internet, à partir de 2000, les recherches se sont données plutôt pour but de documenter les nouvelles pratiques expressives des internautes (démarches d'auto-publicité avec les pages personnelles, usages des messageries instantanées, auto-dévoilement en ligne via les sites de réseaux socionumériques, pratiques de partage de contenus autoproduits, etc.).

À quelles pratiques économiques et culturelles, à quelles stratégies industrielles et commerciales conduit cette nouvelle configuration des usages du Web? Il s'agit pour les firmes propriétaires de plateformes de mettre les usagers au centre du dispositif. Ces derniers évoluent dans des situations d'interaction où ils sont appelés à jouer un rôle en ligne plus important, notamment du point de vue de la production et de la circulation des contenus (user-generated content) dans l'univers Internet. Ainsi, certains utilisateurs plus débrouillards, plus actifs dans le monde numérique, vont construire ou bricoler de nouveaux contenus (texte, photo, vidéo, logiciel, hyperlien); ils vont les diffuser, les échanger avec des interlocuteurs qu'ils auront choisis ("amis") ou non; certains usagers vont commenter des messages diffusés sur des blogs ou mis en ligne sur des sites de réseaux socionumériques. Certains internautes jouent en ligne (jeux massivement multi-joueurs), d'autres fréquentent des sites de rencontres où ils doivent présenter une identité numérique qui peut ne pas correspondre à leur identité civique; certains utilisateurs peuvent faire des recommandations à leurs interlocuteurs en matière de culture, de cuisine, de mode et de consommation; parfois aussi, des internautes remixeront des contenus empruntés aux univers médiatiques de grande diffusion, ce qui aboutira à des "productions amateur" - des mash-up (vidéo), des remix (musicaux) - plus ou moins originales ou innovantes. L'usage de ces plateformes du Web social est facilité du fait que les efforts cognitifs et techniques requis sont quand même assez faibles par rapport aux compétences qui étaient exigées jusque là pour maîtriser l'usage des technologies informatiques.

Mais, bien sûr, des inégalités perdurent concernant l'accès et l'appropriation des outils du Web. Il reste ainsi des disparités importantes entre les pays du Nord et ceux du Sud. Au sein des populations du Nord, il se trouve aussi des différences considérables dans les pratiques d'usage et d'appropriation, les clivages numériques reproduisant les inégalités socioéconomiques et les disparités dans l'acquisition d'un capital culturel, qui étaient déjà là. Du point de vue de ma propre expérience d'utilisateur à l'université et dans des milieux de recherche, j'ai parfois l'impression que des disparités interindividuelles ont tendance à s'exprimer, et parfois, à se polariser. Ainsi, il y a des étudiants autour de moi, par exemple ceux et celles que j'ai en direction de thèse et de mémoire: parmi ces personnes, certaines utilisent ces outils numériques de manière aisée, comme s'il s'agissait de leur propre prolongement. En même temps, d'autres étudiants ont parfois de la difficulté à suivre les activités du premier groupe si dégourdi en matière de culture numérique. Cette thématique des inégalités dans l'accès et dans l'appropriation de la culture numérique présente à de multiples niveaux (interindividuel, socioéconomique, générationnel, géographique, géopolitique) m'apparaît intéressante et porteuse. Il faudra y revenir dans le cadre d'un autre programme de recherche.

Les usages du Web social s'appuient sur le développement de très grands collectifs en ligne. Souvent, des millions d'usagers sont inscrits à une même plateforme. Par exemple, Facebook comptait en août 2011, à l'échelle du globe, plus de 750 millions d'inscrits. Une bonne portion de ce nombre est sans doute inactive, mais le nombre total est impressionnant du point de vue d'une logique des grands nombres. Nous avons affaire ici à un nouveau type de réseaux sociaux qui empruntent le mode numérique, à un nouveau type de "communautés en ligne" qui s'est complètement transformé et qui ne correspond plus à la première définition que les chercheurs en avaient donné dans les décennies 1980 et 1990 - la "communauté virtuelle" de Rheingold (1993), par exemple. Il existait, en effet, dans ces premiers collectifs en ligne - tel The Well dont faisait partie Rheingold - un sentiment communautaire qui tenait à la fois au sentiment partagé "d'être ensemble" et aussi à celui de se sentir "tissés" dans des liens d'interrelations. Ces caractéristiques étaient l'équivalent (partiel) de la "communauté" (Gemeinschaft) de Tonnïes (1887), mais sans qu'il y ait besoin de la présence physique d'un face à face ou du rattachement à un même lieu géographique, pour faire communauté.

À cette conception de la "communauté virtuelle" des années 1980 et 1990, les entreprises de l'Internet ont substitué aujourd'hui une définition fort réductrice, la "communauté" coïncidant simplement avec le nombre d'inscrits à une plateforme spécifique. Ainsi, il n'est pas rare d'entendre l'expression "communauté des Facebookers": or, l'assemblage des utilisateurs de Facebook comptait globalement à l'automne 2011, 750 millions d'inscrits. C'est un abus de langage que de vouloir encore parler de "communauté" dans ce cas de figure 2, mais cette convention de langage perdure parmi les analystes de l'Internet 3. Ces plateformes d'interaction et de coopération (collaboration) donnent lieu à l'invention de modèles économiques et de modèles d'affaires (business models) originaux fondés sur des agrégations capitalistiques de contributions souvent minimes fournies individuellement. Cette accumulation de données sur les utilisateurs permet aux firmes de construire des profils de consommateurs qui constituent l'ancrage de pratiques publicitaires très ciblées. Nous sommes devant un système de production de la valeur économique par un recours à une "logique du grand nombre". Une expression américaine veut qu'on parle de crowdsourcing: les projets des entreprises consistent à aller chercher ce qu'elles recherchent, dans la foule "intelligente" des utilisateurs (Surowiecki, 2005). Elles obtiennent auprès d'un grand nombre de petits contributeurs, la solution originale qui pourra être à la base d'une innovation qui sera porteuse économiquement. Nous sommes ici dans une problématique d'innovation horizontale (Von Hippel, 2005) puis ascendante (Cardon, 2005). Le capitalisme informationnel et cognitif se construit de cette façon, en s'appuyant sur les multitudes de contributeurs.

Pour s'approcher de cette notion de Web social, je trouve intéressante la distinction que Bernard Stiegler suggère entre Web sémantique et Web social (Stiegler et al., 2009, p. 100- 102). D'une part, la démarche du Web sémantique - initiée en 1994 par Tim Berners-Lee qui proposait alors le concept de métadonnée - cherche à développer un système de catégories qui va faire en sorte qu'une certaine partie de ce qui circule sur le Web pourra être codifiée automatiquement à partir de ces catégories. Dans cette logique du Web sémantique, la méthodologie consiste à repérer d'abord des experts, puis à les interviewer de manière à pouvoir définir avec eux ce que les technologues appellent des "ontologies" 4. Il s'agit des systèmes de catégories de ces experts qui sont élaborées lors des entrevues. Les ontologies équivaudront à un réservoir de catégories pour faire l'indexation des corpus du Web. Nous sommes ici dans une logique top-down, une logique descendante verticale. D'autre part, dans le cas du Web social, ce sont au contraire les usagers - plutôt que les experts - qui sont mis à contribution. La perspective du Web social place les usagers au nerf du dispositif: elle fait voler en éclats la démarche du Web sémantique. Le Web social laisse les usagers devenir des producteurs de contenus. Ils indexent eux-mêmes les contenus à travers leurs « folksonomies » qui sont des cartographies de leurs activités de taging. Nous sommes ici dans une logique bottom-up, une logique inductive qui laisse s'exprimer les utilisateurs ordinaires, une logique ascendante où effectivement, on part des usagers pour créer catégories et métadonnées. Ces dernières permettent ainsi une forme d'indexation collaborative des corpus du Web, forme apparemment "anarchique" mais combien plus complexe et diversifiée (voir Proulx, 2011).


"La question des métadonnées est ainsi au coeur d'un changement possible du modèle industriel: un modèle fondé sur la contribution et non sur la consommation." (Stiegler et al., 2009, p. 101)


Vers une typologie des médias sociaux

Les médias sociaux recouvrent un monde assez vaste de dispositifs et d'applications: plateformes collaboratives (Wikipedia), blogs et microblogs (Twitter), communautés en ligne d'échange de contenus (YouTube), sites de réseaux socionumériques (Facebook, LinkedIn), jeux en ligne (World of Warcraft), mondes immersifs (Second Life), etc. En suivant l'analyse de A. Kaplan et M. Haenlein (2010), je tenterai de mettre en évidence quatre catégories sociologiques pour construire une typologie des médias sociaux. Deux catégories relevant des théories médiatiques apparaissent pertinentes, celles de présence sociale et de richesse du média; de même que deux catégories relevant des théories interactionnistes, celles de présentation de soi et d'auto-dévoilement (d'informations relevant de la sphère privée ou intime).

En recourant à la théorie de la présence sociale, des chercheurs essaient d'évaluer le degré de "présence" atteint dans une activité de communication entre deux interlocuteurs, c'est-à-dire la qualité du contact physique, acoustique et visuel qui définit l'interaction rendue possible par le medium. Le degré de "présence sociale" est fonction de l'intimité du medium (face à face vs interaction médiatisée) et de l'immédiateté des réponses permises par le medium (synchrone, asynchrone). Historiquement, les recherches sur ces phénomènes de présence sociale ont distingué les situations où la communication est médiatisée de celles où les interlocuteurs sont en face à face. Lorsque les interlocuteurs sont en situation de face à face physique, nous sommes a priori dans un état fort de présence sociale comparativement à une situation de télécommunication (communication à distance) (Short et al., 1976). Or, les travaux sur la présence sociale sont fascinants car ils font voir des phénomènes non triviaux. Ainsi, par exemple, dans le cadre d'une recherche sur les usages d'Internet effectuée avec mon équipe, lors d'une entrevue avec une adolescente menée par une assistante de recherche, l'ado lui avoua s'être rendue compte qu'elle pouvait parler de choses plus intimes avec sa mère lorsqu'elle passait par l'Internet. Par exemple, elles pouvaient être toutes les deux à leur domicile commun - l'adolescente dans sa chambre et la mère dans son bureau - et communiquaient par Internet sur des questions intimes que l'ado n'osait aborder en face à face avec sa mère. Ces conditions d'interaction rappellent des situations du même type qui existaient avant Internet et qui mettaient en scène des gestes d'écriture entre personnes familières. Vous avez peut-être déjà vécu ce genre de situations où un écrit peut receler des possibilités d'un contact significatif et approfondi entre deux êtres. Sous certaines conditions, une personne peut vouloir écrire à un intime ou à un parent parce que cela apparaît un moyen plus facile d'exprimer des questions intimes.

Bref, cette question de la présence sociale et de la communication de l'intime, en particulier lorsqu'elle est médiatisée par la télécommunication, est intéressante et en fait, elle est moins banale qu'elle n'y paraît au premier abord. De manière générale, on retiendra qu'un fort degré de présence sociale du medium signifie une grande capacité d'influence de ce medium dans l'interaction médiatisée. La deuxième catégorie que l'on peut associer à la présence sociale est celle de richesse du média fondée sur le postulat voulant que le but de toute activité de communication consiste à réduire le niveau d'ambiguïté et l'état d'incertitude entre les interlocuteurs (Daft et Lengel, 1986). Ainsi, les médias diffèrent de par leur "degré de richesse", c'est-à-dire la quantité et la qualité de l'information qu'un média permet de transmettre dans un laps de temps donné. En conséquence, certains médias s'avèrent plus efficaces dans leur capacité à diminuer l'ambiguïté dans la compréhension réciproque entre interlocuteurs. Bref, il y a des médias qui sont plus riches que d'autres, et qui permettent finalement une transmission d'informations de plus grande qualité, en plus grande quantité.

Les deux dernières catégories mobilisées en vue de la construction de la typologie des médias sociaux relèvent davantage des problématiques interactionnistes. La première notion est celle de la présentation de soi sur laquelle Erving Goffman (1973) a beaucoup travaillé. L'interlocuteur désire contrôler l'image qu'il projette de lui vers Autrui. Il existe une tension entre ce désir d'influencer Autrui et le désir que l'image qu'il projette soit cohérente avec la perception qu'il a de lui-même. Les premiers travaux qui ont porté sur les "pages personnelles" sur le Web ont montré que les internautes concernés avaient une forte motivation à élaborer et diffuser une "présentation de soi" cohérente dans l'univers numérique. Aujourd'hui, ce phénomène se prolonge dans la problématique de la divulgation de l'identité numérique, ce qui peut conduire à une auto-construction d'identités numériques multiples chez une même personne. Cette "présentation de soi" se traduit souvent par un auto-dévoilement de soi, ce qui est en l'occurrence la deuxième catégorie privilégiée ici. Cet auto-dévoilement de soi consiste en une divulgation vers Autrui, de manière à la fois consciente et inconsciente, de sentiments personnels ou intimes qui se veulent cohérents avec la représentation globale que la personne se fait d'elle-même. Le dévoilement d'informations privées concourt à la création d'une "bulle d'intimité" et encore une fois, il ne s'agit pas simplement d'intimité à laquelle nous sommes habitués entre individus proches, mais ça peut aussi concerner une "bulle d'intimité" construite provisoirement entre étrangers. Pensons à une interaction entre deux voyageurs, par exemple, dans un avion. Les deux voyageurs deviennent interlocuteurs le temps d'un vol: ils se retrouvent là, deux étrangers assis l'un à côté de l'autre, pour un temps limité, dans une situation de grande proximité. Il peut parfois se produire, à travers leurs conversations éparses, une interaction de l'ordre de l'intime: à un moment donné, des informations très personnelles, significatives, peuvent être dévoilées mais ces deux personnes ne se reverront plus... sauf si elles décident de se considérer dorénavant amis sur Facebook !

Tableau 1 - Typologie des médias sociaux (d'après Kaplan et Haenlein, 2010)




Voici une typologie des médias sociaux développée par A. Kaplan et M. Haenlein (2010). Elle croise deux dimensions: d'un côté, la disposition à l'auto-dévoilement d'informations personnelles de la part des internautes (élevée, faible); de l'autre, la richesse/présence du média (faible, moyenne, élevée), dimension qui combine la richesse médiatique à la capacité du média à reproduire une "présence sociale" (thématique décrite précédemment). Dans la ligne du tableau définissant la disposition à l'auto-dévoilement élevée, on retrouve les blogs, les sites de réseaux socionumériques et les mondes immersifs. Dans la deuxième ligne - définie par une disposition à l'auto-dévoilement plus faible - se retrouvent les projets collaboratifs, les communautés d'échange de contenus et les jeux vidéo massivement multi- joueurs. Il s'agit bien sûr d'une typologie sommaire présentant des "idéal-types": la réalité des médias sociaux, dont la cartographie est en transformation permanente et accélérée, apparaît beaucoup plus complexe. Par exemple, dans les jeux massivement multi-joueurs, on peut retrouver à certains moments, à travers l'appartenance à des guildes spécialisées, des gestes d'auto-dévoilement plus complexes que ce tableau ne peut le laisser supposer (Rueff, 2010).


Les sites de réseaux socionumériques


Attardons-nous maintenant aux sites de réseaux socionumériques 5. Voici quelques chiffres nous permettant d'évaluer l'ampleur prise par ce phénomène en quelques années. La plateforme la plus importante, Facebook, compte aujourd'hui 750 millions d'inscrits, dont la moitié serait active (à raison d'au moins une visite par jour sur le site) 6. 250 millions d'inscrits utilisent les dispositifs mobiles pour se connecter à cette plateforme. Un utilisateur type aurait une moyenne de 130 "amis". Il passe 55 minutes quotidiennement sur la plateforme. Il se connecte à environ 80 items distincts (pages communautaires, groupes, causes, événements, etc.). À chaque mois, il dépose environ 90 éléments de contenu (exemples: clic sur "j'aime", commentaire, information, lien url, photo, vidéo...). À l'échelle du monde, la plateforme Facebook compte pas moins de 70 traductions de son site. 70% des utilisateurs de Facebook habitent hors des États-Unis d'Amérique. Cette plateforme se retrouve aujourd'hui dans 190 pays. En février 2011, pour un total de 638 millions d'inscrits, la répartition par continent était la suivante : Amérique du Nord (201 M), Europe (189 M), Asie (146 M), Amérique du Sud (65 M), Afrique (25 M), Australie (12 M) 7. Les inscriptions européennes progressent rapidement; l'Asie constituera, à moyen terme, la zone la plus importante 8. À la fin 2010, 20 millions de Français étaient inscrits à au moins un site de réseaux socionumériques (dont 15 M sur Facebook); 8 millions s'y rendaient à tous les jours. Un million de Français étaient inscrits à LinkedIn (sur un total de 65 M à l'échelle du globe). Quant à Twitter, ce dispositif de microblogging n'avait pas encore pris son envol en France il y a un an (225 000 Français sur un total de 120 millions). Enfin, la plateforme professionnelle Viadeo est prisée en France (4 millions d'inscrits pour un total de 30 millions globalement).

Il existe ainsi des plateformes grand public (Facebook, Twitter) et des plateformes professionnelles (LinkedIn, Viadeo). Les inscriptions sur les sites grand public tendent à progresser de manière fulgurante. Pour beaucoup de jeunes à travers le monde, la plateforme Facebook s'est substituée au gestionnaire de courriel en tant que dispositif principal dans leurs usages d'Internet. Par ailleurs, les usages professionnels des sites tendent à s'accroître sans qu'il n'y ait nécessairement de la part des professionnels eux-mêmes, de "stratégie consciente" de mise en visibilité de leur entreprise sur les sites. Depuis trois ou quatre ans, les professionnels se sont mis de la partie: ils ont compris que ce chemin était incontournable aujourd'hui. On peut s'attendre à continuer à voir émerger en grand nombre des firmes de consultants qui auront pour mission d'aider les entreprises et les milieux professionnels à mieux prendre en compte l'ensemble des possibilités commerciales que recèlent ces plateformes.

Un phénomène particulièrement fascinant à suivre est celui de l'enchevêtrement des usages privés et professionnels des plateformes. La frontière juridique apparaît de plus en plus ténue entre espace public et sphère privée (Hardouin, 2011). Prenons le cas particulier d'une décision judiciaire prise en France à la fin 2010, pour illustrer ces nouvelles ambiguïtés engendrées par l'usage des sites de réseaux socionumériques. Il a été largement question de cette affaire dans la presse française l'an dernier. Le 19 novembre 2010, le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt a donné raison à la société Altern Sir qui avait licencié deux salariées pour "dénigrement de l'entreprise" sur Facebook. Et l'un des arguments dans le jugement concerne le paramétrage de confidentialité du dispositif. Il s'agit en l'occurrence de l'accessibilité autorisée à "ses amis et leurs amis". À partir du moment où la personne inscrite a coché - ou n'a pas désancré cette coche - le juge a considéré que: "dans ces conditions, nous sommes dans un univers public". Parce que l'argument de la défense, c'était de soutenir qu'il s'agissait d'une sphère privée. À l'occasion de la controverse suscitée par ce cas dans la presse, une juriste spécialiste de l'Internet, Anne-Christine Barateig, a ainsi déclaré: "avec l'accessibilité autorisée aux amis des amis, la sphère privée explose et devient publique". Ironiquement, nous pourrions associer ces éléments du débat juridique avec la publicité du film The Social Network décrivant la naissance de Facebook et le rôle particulier de son fondateur, Mark Zuckerberg: "On ne peut pas avoir 500 millions d'amis sans se faire quelques ennemis". Dans un éditorial du journal Les Échos du 22 novembre 2011, François Bourboulon écrivait, mi-ironique, mi-sérieux: "mes amis sont mes amis mais les amis de mes amis peuvent parfois être mes ennemis, donc autant anticiper les risques".

Deux questions sont à se poser en permanence quand nous sommes de ceux et celles qui fréquentent cet univers des réseaux sociaux: Qui me parle? À qui je parle? Il y a par exemple, un malentendu qu'on retrouve souvent chez les adolescents qui ont l'impression de communiquer exclusivement avec leur groupe d'amis proches alors qu'il y a des coches un peu partout dans leur profil qui ouvrent leur performance aux "amis des amis", ce qui fait que leur public potentiel est énorme. Pensons au cas cité ci-haut: lorsqu'elles formulaient une remarque négative sur la direction d'entreprise, ces deux salariées pensaient s'adresser exclusivement aux quelques personnes faisant partie de leur "club d'amis"; or, il s'avère qu'un employé ayant lu leurs messages sur la page Facebook du troisième salarié où elles avaient posté leurs missives, avait décidé de tout rapporter à la direction. Les responsables de la direction n'ont pas appris la chose parce qu'ils étaient eux-mêmes "amis d'amis". Ils ont été mis au courant simplement parce qu'un tiers a décidé de dénoncer ses "amis"... Ce n'est donc pas simplement une question de plateforme logicielle: cette affaire a été la résultante d'une association entre l'ouverture informationnelle permise par l'architecture de la plateforme et la disposition à la dénonciation d'un "ami" qui était en l'occurrence un "ennemi organisationnel". Cette affaire révèle un enjeu éthique d'autant plus crucial qu'avec le développement exponentiel des techniques de géolocalisation appliquées aux réseaux socionumériques, il est dorénavant possible pour vos "amis" de savoir en permanence le lieu géographique exact où vous êtes. Je dis bien: savoir non seulement si vous êtes branché, mais savoir en permanence où vous êtes. Nous assistons à la mise en place d'un système de sousveillance 9 (Ganascia, 2009) qui est proprement aberrant...

Une autre piste de réflexion critique consiste à interroger la problématique de ce que les publicitaires appellent le marketing viral. Les usages des médias sociaux pour fins de publicité et de marketing deviennent aujourd'hui dominants. La situation apparaît assez ironique parce qu'au moment où Internet est devenu grand public, vers 1995, les milieux de l'industrie s'interrogeaient pour savoir si ce dispositif pouvait constituer un canal intéressant pour les publicitaires. En quinze ans, la conjoncture a complètement basculé: il n'est pas rare aujourd'hui de rencontrer des budgets publicitaires dont plus de la moitié est consacrée aux médias sociaux. Il est intéressant de constater que les spécialistes en marketing considèrent que les médias sociaux constituent maintenant un moyen privilégié pour atteindre des publics qui sont par ailleurs saturés de publicité. Ainsi, aux États-Unis, un consommateur est exposé à environ 3000 messages publicitaires par jour. Les publicitaires se demandent donc: comment faire pour rejoindre ces gens qui sont déjà totalement saturés? C'est ici que le choix des médias sociaux intervient. En touchant une personne, les médias sociaux suscitent un bouche à oreille. Il y aurait, selon un spécialiste en marketing de Chicago, Philippe Ravanas, une "pression bienveillante" de la communauté des pairs. Par exemple, dans le réseau dont vous faites partie, un "ami" a cliqué le bouton "j'aime": selon la position de cet "ami" dans le réseau, ce simple geste peut déclencher une séquence de "bouche à oreille" répercuté par les médias sociaux, séquence qui aura des effets d'amplification et d'influence interpersonnelle sur les participants au réseau. Nous sommes ici dans cette nouvelle forme du marketing viral. Celle-ci apparaît très importante du point de vue du développement des industries publicitaires aujourd'hui (Mellet, 2009).

Dans le contexte de cette Biennale de la langue française, la mise en visibilité des organismes culturels francophones pourrait être considérée au prisme des médias sociaux. Par exemple, au Québec, certains organismes culturels s'interrogent pour savoir s'il ne serait pas opportun d'utiliser systématiquement les médias sociaux dans leur stratégie de mise en visibilité des "produits culturels". Par exemple, utiliser un extrait de film ou de vidéo d'une pièce de théâtre, dans les campagnes de promotion dans les médias sociaux, avant même que le produit culturel soit effectivement mis en marché de manière à favoriser le bouche à oreille à l'égard du produit. Dans ce cas de figure, les sites provoqueraient la création de "microcommunautés" susceptibles de se mobiliser autour de l'intérêt commun que constitue une pièce de théâtre, un film, un livre, etc. Du moins, telle serait le crédo d'une stratégie de marketing viral appliquée à l'univers culturel.


Le cas Facebook


Le film The Social Network - racontant la naissance de la plateforme Facebook - a connu un succès retentissant aux États-Unis et en Europe, en 2010-2011. Le succès du film tient sans doute en partie à la popularité phénoménale de ce site de réseaux socionumériques, le plus important et le plus célèbre de tous les sites. Les premières versions de ce dispositif sociotechnique sont mises au point en 2004 par un doué de l'informatique, Mark Zuckerberg, sur le campus d'Harvard. Nous sommes dans un milieu d'étudiants et d'étudiantes qui aiment flirter et faire la fête. L'idée de départ consiste pour les garçons à pouvoir donner une "cote" aux images des jeunes femmes du campus. Ce début apparaît plutôt machiste et d'une envergure fort limitée !

Au départ, le dispositif était réservé au campus d'Harvard; puis ça s'est élargi progressivement vers d'autres campus universitaires, et finalement à l'ensemble des high school américains. À compter de septembre 2006, les responsables de la plateforme décident l'ouverture illimitée du site à tous les internautes de la planète. L'année 2009 constitue une explosion quantitative du membership: 350 millions d'inscrits. La courbe exponentielle se poursuit: 500 millions en 2010; 750 millions en 2011. Évidemment, ces chiffres présentent des limites parce qu'on peut s'inscrire sur Facebook et ne plus jamais revenir mais tout en étant considéré comme inscrit... C'est un peu comme Second Life: il est très difficile de connaître avec précision la quantité de personnes qui sont réellement actives sur Second Life. Dans ce dernier cas, il y eut il y a deux ans, une couverture médiatique énorme concernant cette nouvelle plateforme, ce qui amena une confusion entre les pratiques effectives sur ce site et la vague médiatique qui amplifiait indûment la fréquentation supposée. Beaucoup de personnes sont allés se construire un avatar sur Second Life et n'y sont jamais retournés.

Mais en ce qui concerne la fréquentation active de Facebook, nous sommes bien évidemment devant un phénomène de divertissement de masse à l'échelle du globe. Dans le cas de Facebook et des plateformes de réseaux socionumériques, la fonction manifeste du dispositif consiste à rendre possible la constitution de cercles d'amis et l'organisation d'événements.
Cette fonction manifeste est assurée par un double processus de mobilisation et d'accroissement du capital social propre à chacun des utilisateurs 10. En même temps, il existe une fonction latente au dispositif: les activités autour de ce type de plateformes engendrent une collecte, par les firmes propriétaires des plateformes, de données personnelles sur les utilisateurs (Proulx, 2011).

Quand Facebook est apparu en 2004, il y avait déjà d'autres sites de réseaux sociaux qui existaient dans le paysage numérique (Friendster, MySpace). Je signale ici un essai rédigé par Danah Boyd en 2007 portant sur les cultures d'appartenance respectives des teenagers utilisateurs de MySpace et de Facebook. Boyd a procédé à une comparaison entre les teens s'inscrivant d'une part sur Facebook qui était alors un site nouveau 11 et d'autre part sur le site MySpace qui existait depuis 2003. En particulier, l'année 2005 fut l'âge d'or de MySpace, celui-ci devenant le site incontournable des teenagers américains. Boyd décrit ici une intéressante disparité de publics: il y avait du côté des utilisateurs de Facebook, des hegemonic teens 12, expression désignant des adolescents issus plutôt de milieux favorisés - la chercheure met l'accent sur le fait qu'il y avait chez ces teenagers, une disposition à reproduire le système normatif de leurs parents qui les incitaient, par exemple, après leur high school, à fréquenter le college (niveau pré-universitaire) et à poursuivre éventuellement une carrière professionnelle. Alors que du côté des teenagers utilisateurs de MySpace - Boyd les appelle les subaltern teens - ces derniers étaient plutôt dans l'univers esthétique du hip hop et des garage bands. Le site comptait beaucoup d'échanges de fichiers musicaux dans une atmosphère de culture populaire et médiatique. La clientèle teens de MySpace est ancrée dans des milieux populaires issus par exemple de l'immigration latino-hispanique ou de groupes de marginaux issus de milieux artistiques alternatifs.

Au niveau des perceptions de ces teenagers, vivant aux États-Unis en 2007, MySpace était perçu comme un lieu de "mauvaises fréquentations" possiblement "dangereuses", associé aux clientèles des high schools, alors que Facebook était jugé plus "sécuritaire" et "bon", et associé aux clientèles des colleges. Boyd constate également une reproduction de ce type de disparités au sein de l'armée américaine qui, en mai 2007, a interdit l'usage de MySpace mais a toléré l'usage de Facebook. Or, ce sont les simples soldats qui étaient sur MySpace alors que les officiers étaient sur Facebook. En résumé, Boyd constate qu'il existe des cultures d'appartenance (fondées sur des styles de vie liés à des origines socio-économiques) que l'on peut rattacher aux clientèles respectives des plateformes. Plus généralement, on pourrait faire l'hypothèse qu'à l'échelle de la société nord-américaine, une forme de division de classes de même que des différences en termes de styles de vie se reflètent et se reproduisent à travers la fréquentation des différents sites de réseaux socionumériques. Encore là, les spécialistes marketing apparaissent très au fait de ces différences et s'appuient d'ailleurs sur elles pour cibler de manière précise leurs campagnes publicitaires auprès de ces clientèles de teenagers qui sont fortement consommatrices de biens et de médias.



Quatre dimensions principales pour l'analyse des sites



Je voudrais maintenant vous présenter quatre dimensions qui m'apparaissent importantes à prendre en compte pour conduire toute analyse sociologique des sites de réseaux socionumériques. Ces quatre dimensions sont: l'architecture technique de la plateforme; la structure des interactions sociales qui s'y déroulent; l'expérience de l'utilisateur du site; la qualité de la contribution de l'utilisateur dans l'univers numérique. En d'autres mots, chacune de ces dimensions doit être considérée pour caractériser sociologiquement une plateforme spécifique.



A. L'architecture technique


L'analyse des caractéristiques de l'architecture technique d'un site est une première étape nécessaire. L'utilisateur débutant a souvent tendance à "naturaliser" (c'est-à-dire à prendre pour acquis) la manière dont se présente l'interface. Or, le design de l'interface contient, à travers les choix techniques qui ont participé à sa construction, une série de postulats implicites qu'il apparaît primordial de débusquer. Une décision technique exprime en effet, le plus souvent, des choix plus ou moins explicites et qui sont de nature éthique et politique. Le dispositif n'est pas neutre. Il y a des fonctionnalités qui sont permises par l'interface et d'autres qui ne le sont pas. Ces possibilités et contraintes sont telles en raison des choix des concepteurs de l'interface. Ces choix d'entreprise restent invisibles à la plupart des utilisateurs. Or, ils sont importants à expliciter afin de développer une meilleure maîtrise du dispositif.

Par exemple, l'interface de la plateforme Facebook présente à l'utilisateur une série de fonctionnalités : création d'un profil, constitution d'un réseau d'amis, création de groupe, publication de commentaires sur le mur, insertion de photos, intégration de contenus générés par les utilisateurs dans les profils, etc. Les fonctionnalités offrent des ressources et des possibilités de création en même temps qu'elles contraignent la nature des interactions et des productions. Il y a eu dans le passé des controverses importantes autour de certaines décisions techniques prises par Facebook. Ainsi, en ce qui concerne le paramétrage de confidentialité qui passait comme relativement invisible aux yeux des usagers ordinaires, et qui rendait "l'accès aux amis des amis" ouvert par défaut: cette décision d'entreprise a déclenché une controverse publique suffisamment importante pour obliger Facebook à réviser sa position.

Di Gangi et Wasco (2009) ont identifié un ensemble de critères pour évaluer une architecture technique, à savoir: la granularité des informations échangées, la flexibilité de l'interface, la facilité d'usage du dispositif, la capacité du site à intégrer des contenus externes, la facilité du dispositif à s'auto-ajuster au fur et à mesure des souhaits des usagers, la transparence des décisions techniques relatives au site, le contrôle de l'utilisateur sur ce qui sera montré de lui dans les réseaux. Sur ce dernier point, et cela est un aspect crucial: beaucoup d'utilisateurs ne sont pas conscients du fait qu'ils montrent des informations personnelles à beaucoup plus de gens qu'ils ne le croient. Et comme le disait un jour le commentateur d'un reportage télévisé à propos d'Internet, il faudrait que tous les utilisateurs qui communiquent sur les sites de réseaux socionumériques, écrivent en haut de leur écran: "ceci est un espace public". Et j'ajouterais: "et ceci sera visible pour l'éternité". Je ne sais pas à quel moment cette dynamique de dévoilement pourra s'arrêter mais pour l'heure, alors qu'un utilisateur peut avoir demandé que les données le concernant soient détruites, il n'est pas inhabituel que ces données supposément détruites puissent réapparaître au moment où l'on s'y attend le moins.

Un point d'entrée incontournable pour caractériser l'architecture technique d'un site est celui du design de la visibilité (Cardon, 2008). Cette expression renvoie au fait qu'à travers la façon dont on conçoit l'interface, on privilégie une manière spécifique pour l'utilisateur, de se rendre visible aux autres. Il y a ainsi des "assignations identitaires" qui sont fonction de l'architecture technique. Bref, lorsque l'utilisateur se décrit, il a l'impression qu'il jouit d'une complète liberté au moment où il se décrit mais, dans les faits, son expression créatrice obéit à des normes invisibles. Ces normes sont ancrées dans le dispositif, et coïncident avec les contraintes de l'architecture technique. En suivant Cardon, on pourrait prétendre que les SRS ouvrent vers une zone en clair-obscur, c'est-à-dire qu'ils projette une visibilité en clair pour les proches (cimentés par des liens forts), et peut rester dans la pénombre pour les membres des cercles plus éloignés (dans la mesure, bien sûr, où le paramétrage de confidentialité a été correctement configuré). Mais, où s'arrête le clair? Où se trouve l'obscur? That is the
question.


Sonia Livingstone, professeure de psychologie sociale au London School of Economics and Political Science, définit l'architecture du site comme l'un des facteurs principaux du "cadrage" (framing) des déclarations identitaires des adolescents dans les SRS. Elle résume son approche des interfaces sous le vocable d'affordance. Ce terme provient de la psychologie animale (Gibson, 1977) et a été repris par des spécialistes en ergonomie cognitive des interfaces (Norman, 1999). Le terme d'affordance renvoie à "la capacité d'un objet à suggérer sa propre utilisation" 13. Dans son enquête sur les usages des sites SRS par des teenagers londoniens, Livingstone met en relief deux conséquences engendrées par les affordances des SRS: d'une part, les sites induisent une conception binaire de l'amitié (soit ami, soit exclu du réseau personnel) alors que les ados suggèrent des manières beaucoup plus subtiles de catégoriser les sous-groupes parmi l'ensemble de leurs réseaux d'amis; d'autre part, l'interface propose un paramétrage spécifique de la confidentialité des échanges, mécanisme perçu comme "limité" par les utilisateurs dans la mesure où ils ne peuvent contrôler adéquatement ce qui est diffusé parmi ce qu'ils publient sur eux-mêmes, en fonction de sous-publics spécifiques qu'ils auraient délimités (Livingstone, 2008). Par exemple, certains ados souhaiteraient publier à l'insu de leurs parents: or, le paramétrage proposé ne leur permet pas de choisir (de retenir ou d'exclure) des sous-groupes spécifiques de leurs "amis" 14. En passant, il y a ici avec le site Facebook, une perversion incroyable du sens de la notion d'amitié. Cette thématique mériterait d'être étudiée pour elle-même, ce qui serait tout à fait intéressant. Sonia Livingstone a constaté que pour les teenagers qu'elle a interviewés, il apparaît important de préserver des espaces pour des échanges vraiment intimes. Ce peut être fait par le moyen des messageries instantanées, par l'usage du téléphone, par l'envoi de textos, par des rencontres en face à face se déroulant en dehors du monde de l'Internet. Elle constate que la vision (popularisée par les médias) d'adolescents narcissiques et prêts à se dévoiler sans contrainte devant de parfaits inconnus, est une représentation fausse et stéréotypée. Les ados veulent se préserver des plages de communication où ils peuvent communiquer entre eux, en toute intimité, à l'abri des regards indiscrets.



B. Les interactions entre membres d'une plateforme


La seconde dimension d'analyse concerne la structure des interactions entre les membres utilisateurs inscrits sur une même plateforme. Di Gangi et Wasco (2009) ont dressé, pour ce contexte d'analyse, une liste d'indicateurs d'interactions: la nature et la qualité des dialogues; la facilité d'une accessibilité à l'autre; la possibilité d'une transparence affichée; la liberté d'une prise de risque dans l'interaction. Un autre critère important pour évaluer la qualité des interactions concerne le contenu des échanges. Il ne s'agit pas d'interroger la nature même des contenus; il s'agit plutôt de voir si les échanges sont suffisamment signifiants pour les usagers eux-mêmes. Dans la mesure où ils sont signifiants, cette situation d'interaction pourra enclencher des routines d'interaction (Licoppe et Smoreda, 2005). Parfois même, si ces échanges procurent un vif plaisir aux utilisateurs, cette situation peut engendrer une certaine "dépendance" au dispositif. Ce n'est pas rare d'entendre des adolescents dire qu'ils "ne peuvent plus se passer de Facebook".

Commentant le déclin appréhendé des usages du courrier électronique au profit des sites de réseaux sociaux, Dominique Cardon (2009) constate que les SRS créent des relations "en pointillé". Même si le courriel et les SRS sont des outils qui relèvent de deux régimes de communication différents, le chercheur souligne que les sites de réseaux socionumériques ont une dynamique originale: les SRS sollicitent une attention continue (ambiant awareness) de la part de l'utilisateur qui attend, par exemple, de voir si ses derniers commentaires ont suscité de l'intérêt, s'il doit rajuster des éléments de son profil en fonction de ces commentaires, etc. L'utilisateur passe finalement beaucoup de temps à se connecter aux SRS: il y revient fréquemment, souvent plusieurs fois par jour. L'originalité de ce dispositif consiste en l'émergence d'une "communication privée en public" (Cardon). Il y aurait ainsi un flottement entre le privé et le public, un mélange improbable d'informations personnelles et publiques, des personnes éloignées a priori étant invitées à pénétrer à pas feutrés (liens faibles) dans l'univers privé de l'utilisateur.



"C'est typique de Facebook de créer des liens faibles entre les personnes, de maintenir une forme de relation en pointillé. Cela désinhibe la capacité d'entrer en Cardon, 2009)



La problématique des relations "en pointillé" renvoie à la notion de "lien faible". Dans la tradition des analyses de réseaux sociaux, c'est Mark Granovetter (1973) qui a introduit l'idée d'une force du lien faible. Ce chercheur a fait la distinction entre des liens forts - par exemple, au sein de communautés où l'on est très proches: avec les membres de la famille, avec des collègues de travail, etc. - et des liens faibles (par exemple, le cas des "amis d'amis" sur Facebook). Granovetter a réalisé des enquêtes sur la recherche d'emploi: il s'est aperçu que des liens faibles, à certains moments, étaient décisifs pour trouver un emploi parce qu'il advient une forme de saturation informationnelle dans le réseau des liens forts. Cette découverte de la force du lien faible est un résultat de recherche non trivial et stimulant. Cardon nous dit que dans les univers SRS, il y a beaucoup de liens faibles en raison notamment d'une banalisation des échanges (pensons à l'élargissement des réseaux d'amis sur Facebook à partir d'inconnus).



"La référence [...] à la théorie de la force des liens faibles de Mark Granovetter est révélatrice d'un cadrage analytique amenant à l'adoption d'une conception plurielle de la notion de lien social, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif. [...] Dans cette perspective, la force des liens n'est plus une prérogative de la socialité locale [...]." (Casilli, 2010, p. 57)



Parfois, un utilisateur peut demander à un véritable ami de devenir ami Facebook, mais ce cas de figure est relativement rare. La plupart du temps, il s'agit de personnes rencontrées dans des contextes éphémères. Il demande à un inconnu: "veux-tu être mon ami?" mais il y a une forme d'aplatissement de la relation. La notion d'amitié est vidée de son sens. La constitution des "amitiés" dans les SRS nous amène à souligner la forte ambiguïté de la notion d'ami dans le contexte de Facebook. Avoir un grand nombre d'amis sur cette plateforme 15, ça veut dire quoi? Des recherches ont montré qu'un fort score peut desservir l'utilisateur parce que si la personne a trop d'amis, les autres disent: "non, non, c'est superficiel son truc" (voir Tong et al., 2008). Bref, une réflexion approfondie reste à faire sur cette notion d'amitié qui est complètement pervertie par le dispositif technique. Ce phénomène d'aplatissement et d'extension illimitée du réseau d'amis revient à mêler sans distinction des liens sociaux construits dans des contextes socialement différenciés: école, travail, famille, loisirs, univers numérique. Cela entraîne une diminution de la confiance et de la fiabilité des liens, qu'ils soient faibles ou forts.



C. L'expérience de l'utilisateur


La troisième dimension du modèle d'analyse concerne l'expérience de l'utilisateur 16. La nature de cette expérience peut osciller entre un usage passif des fonctionnalités offertes - l'interface m'offre des options, je clique, j'explore légèrement l'environnement numérique, mais je ne vais pas plus loin - et des comportements proactifs de l'usager qui s'engage activement sur la plateforme, contribue, recherche, explore plus à fond toutes les possibilités du dispositif. D'autres études (par ex.: Granjon et Denouël, 2010) ont illustré par ailleurs ce que j'appellerais l'injonction à la présentation de soi. Si un utilisateur veut s'inscrire sur Facebook, il doit d'abord répondre à un nombre minimal de questions, et ensuite, il est invité en permanence à décrire des gestes plus ou moins intimes de son quotidien, ses goûts, ses envies, ce qu'il "aime": une injonction à la présentation de soi constamment renouvelée est au coeur même du dispositif. Il y a un appel à l'exposition narcissique qui fonctionne comme injonction ("me, me, and look at me"). Or, souvent, les adolescents utilisant les réseaux souhaitent simultanément la possibilité d'une expérience de communication plus subtile les amenant hors de cet exhibitionnisme, dans des zones d'intimité avec des proches. Les travaux de Sonia Livingstone cités précédemment ont insisté sur cet aspect. Cette chercheure, dans son enquête sur les utilisations adolescentes des SRS, montre que pour certains ados - et cela va à l'encontre de l'exemple que je donnais précédemment concernant la relation intime entre une adolescente et sa mère, mais cet exemple concernait le courriel privé et non un réseau public - l'écriture publique semble empêcher l'expression des émotions. Mais on ne peut pas généraliser à partir de ces entretiens car ça peut aussi être l'inverse.

Au niveau de cette expérience de l'utilisateur, je dirais qu'il y a une causalité circulaire entre d'une part, ce que j'appellerais l'expérience significative du réseau - d'où émerge un véritable plaisir à vivre l'expérience - et d'autre part, une forme d'engagement dans les normes du dispositif. Ce que certains chercheurs ont relevé, c'est que plus l'utilisateur a de plaisir dans les expériences d'exploration engendrées sur le site, plus il revient vers ce site et plus il s'engage à fond dans le dispositif. Par ailleurs, plus il s'engage, plus il a tendance à vouloir rester connecté (Licoppe, 2002; Katz et Aakhus, 2002). Ainsi, certains utilisateurs parlent de leur propre expérience comme d'une "dépendance" car ils avouent ne plus pouvoir faire autrement que "d'aller plusieurs fois par jour sur Facebook". Ce constat apparaît surprenant au premier abord: il nous interpelle sur la force sociale des médias sociaux. Avant même l'invention de Facebook, des chercheurs avaient tenté de qualifier sociologiquement ces pratiques de connexion oscillant en permanence entre la sphère privée et la sphère publique, en suggérant la notion d'individualisme en réseau (Wellman, 2002; voir Casilli, 2010) ou encore, d'individualisme connecté (Flichy, 2004).



D. La qualité de la contribution dans l'univers numérique



La quatrième dimension du modèle d'analyse concerne la qualité de la contribution de l'utilisateur dans l'univers des SRS. Un premier exemple de "contribution" dans le contexte des pratiques numériques reliées au Web social, c'est de tenir un blog. Ce dernier peut avoir la forme d'un journal personnel. Ainsi, pour prendre un exemple décrit par Nicolas Auray, en milieu de travail où les solidarités de groupe ont tendance à se déliter, un blog professionnel sera l'occasion de recevoir du soutien de la part des collègues, mais sur un mode plus rapproché où il y aura échange d'affects et d'émotions. Le blog apparaît un média privilégié pour l'expression individuelle jusque là réprimée par le "quadrillage disciplinaire" de l'organisation traditionnelle du travail: "Le blog ouvre un espace de parole désengagé du contexte réel, marqué par la solitude devant l'écran, mais paradoxalement il marque la présence d'un auditoire à la présence vacillante mais fidèle." (Auray, 2009). Un deuxième exemple de contribution dans l'univers numérique consiste dans l'écriture collaborative d'un article sur Wikipédia. Ce travail d'écriture exige une concertation entre plusieurs contributeurs mobilisés autour de la thématique de l'article à écrire; l'article d'encyclopédie pourra être l'objet de discussions, de négociations, voire de marchandages entre agents n'ayant pas le même niveau d'autorité et la même reconnaissance de la part des autres membres participants. Pour en revenir à la question des contributions sur les sites de réseaux socionumériques, l'on constate qu'il y a des niveaux distincts de prestation numérique: soit légère, soit intermédiaire, soit celle d'un usager expert, soit celle d'un professionnel. On peut, par exemple, simplement commenter la vidéo d'un ami (contribution légère). La création d'un groupe ou d'une cause pour susciter des mobilisations de membres constitue une contribution intermédiaire. Ensuite, il y a la contribution de l'usager expert: par exemple, c'est l'expert qui va proposer des applications (widgets) pour ajouter sur le site. Enfin - dans une catégorie à part, au sens où il ne s'agit pas d'usagers à proprement dit - on retrouve tous les professionnels du Web (développeurs externes, spécialistes en marketing, publicitaires, représentants des médias traditionnels) qui vont utiliser ces réseaux selon une logique marchande.



Enjeux


A. Enjeux économiques


J'en arrive finalement aux enjeux que pose cette irruption récente et massive des médias sociaux dans les sociétés contemporaines. Il y a des enjeux marchands sur lesquels j'ai insisté tout au long de mon propos. Nous sommes en effet aujourd'hui dans un univers numérique mercantilisé à outrance et où les relations commerciales sont fortement liées à un processus de construction systématique de métadonnées. Un mécanisme de capitalisation des données permet en effet aux entreprises de l'Internet de produire ces métadonnées, c'est-à-dire des corrélations entre des adresses IP particulières et les choix en matière de navigation Web et de consommation en ligne qui y sont associés. Ces métadonnées seront éventuellement utilisées pour construire des listes et des profils d'utilisateurs consommateurs de manière à pouvoir cibler précisément les clients qu'on veut atteindre. Ces listes et profils feront l'objet de transactions (location, vente) entre firmes de l'Internet. Avec les sites de réseaux socionumériques, nous sommes ainsi dans un univers extrêmement commercial: il y a un business model qui est là. Il ne faut jamais l'oublier même si on essaie d'imaginer d'autres usages culturels possibles de ce genre de plateformes.

Les enjeux économiques sont évidemment décisifs. Les médias sociaux constituent une nouvelle manière d'approcher les publics clients: cette nouvelle problématique est directement connectée aux enjeux marchands mentionnés. Il y a aussi de nouvelles manières d'aménager les frontières entre le gratuit et le payant (Proulx et Goldenberg, 2010). De nouveaux modèles économiques émergent: les publics jeunes en particulier valorisent avec fureur le gratuit. Pour tenter de rejoindre ces clientèles, les firmes mettent à disposition les contenus et les outils du Web, en cherchant à faire en sorte que leur rentabilité d'entreprise s'appuie soit sur un secteur marchand relié, soit sur des stratégies et tactiques publicitaires qui s'immiscent subtilement dans le monde du gratuit (Anderson, 2008) 17. Les premières stratégies commerciales de la gratuité sont nées au début du XXe siècle (par exemple, on perdait sur la vente du rasoir mais on gagnait sur la vente des lames à un public alors fidélisé par l'acceptation de l'objet gratuit). Ces stratégies anciennes perdurent aujourd'hui (exemple: vente à rabais d'un téléphone portable sous condition d'achat d'un forfait). Dans le monde de l'Internet, les stratégies de la gratuité ont gagné en complexité mais, fondamentalement, c'est la publicité qui en reste le moteur.



B. Enjeux éthiques et politiques


Il existe un enjeu important au niveau de la protection de la vie privée. Nous pourrions parler plus précisément d'une "protection paradoxale de la vie privée" tellement les comportements en ligne de certains utilisateurs apparaissent surprenants. Il est fascinant de voir avec quelle aisance les utilisateurs acceptent librement de dévoiler des informations personnelles concernant la sphère de leur vie privée et de leur intimité. On peut penser par analogie aux émissions de téléréalité où, par exemple, des personnes invitées sur des plateaux télé décrivent de manière détaillée leurs problèmes de couple, de dépendance psychologique ou de parentalité. Même si les usagers sont informés des conséquences que peuvent avoir leurs gestes de publication quant à la protection des données personnelles, ils disent ne pas se sentir concernés: "je m'en fous, j'ai le goût de mettre ça en ligne". C'est vraiment surprenant, en particulier si l'on pense aux luttes des dernières décennies de la part d'associations vouées à la protection des données personnelles contenues dans les bases de données informatiques des administrations publiques et privées.

Cette problématique est connectée à celle du droit de regard sur les données personnelles et se trouve liée à la question du contrôle social. Avec les SRS, nous faisons face à un processus d'intériorisation douce du contrôle social (Proulx et Kwok Choon, 2011). Ce procès rejoint ce que Deleuze (1990) avait appelé la "société de contrôle", c'est-à-dire cette idée d'une intériorisation du contrôle social par les individus eux-mêmes. Le contrôle n'est plus simplement le fait d'un mécanisme en surplomb qui s'exerce sur les citoyens. Il y a une intériorisation de la "surveillance douce" (soft surveillance) (Dubrofsky, 2011): les technologies de réseau ne constituent pas simplement un nouvel "espace de liberté" pour la libre expression des internautes, elles sont aussi des technologies de surveillance qui appellent les utilisateurs à participer eux-mêmes à leur propre surveillance.

Un autre enjeu est mis de l'avant par Sonia Livingstone qui coordonne un programme européen de recherche sur la question des risques dans les utilisations par les enfants et les adolescents de ces dispositifs Internet. Cette chercheure nous invite à une réflexion éthique et politique sur l'architecture (design) des sites. Il apparaît nécessaire de rendre transparent pour l'utilisateur le fait que tel contenu va être diffusé à tel type de publics. La plateforme doit expliquer clairement à l'utilisateur ce qui sera montré de lui, soit à tel public, soit à l'ensemble du réseau. Il y a une véritable démarche d'éducation critique aux médias numériques qui est à entreprendre auprès des publics jeunes. Nous étions habitués aux démarches qui par le passé se sont intéressées à l'éducation critique à la télévision. Au Québec, par exemple, on a même intégré l'éducation critique à la télévision dans les cursus scolaires. De la même manière, il est important de développer des politiques fondées sur une éducation critique aux médias numériques.

Des politiques nationales conséquentes concernant l'usage des sites de réseaux socionumériques pourraient proposer:
• une règlementation appropriée concernant l'architecture des sites afin de mieux protéger les jeunes utilisateurs, notamment en ce qui a trait à la divulgation de données personnelles;

• la promotion d'une éducation critique aux médias numériques;

• le développement de stratégies de communication et de formation orientées vers les conseils aux parents (parental guidance).

Je conclurai avec une double interrogation pour laquelle je sollicite vos commentaires et réflexions:
• Ces nouveaux dispositifs de communication font-ils émerger effectivement de
nouvelles formes de liens sociaux?
• Ne serions-nous pas, simultanément, devant un système sophistiqué de récupération marchande d'informations personnelles concernant les utilisateurs de ces sites, au profit des entreprises de l'Internet?


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NOTES

1 Professeur titulaire, École des médias, Université du Québec à Montréal; professeur associé, Télécom ParisTech (Paris); directeur du Groupe de recherche et observatoire sur les usages et cultures médiatiques (GRM); codirecteur du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO); membre du CIRST. Merci à Mary Jane Kwok Choon, Mélanie Millette et Lucie Enel, assistantes de recherche. Merci au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et au Ministère du Patrimoine Canadien (Ottawa) pour leur aide financière. Courriel: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. Web: http://www.sergeproulx.info/

2 Il est vrai que les mécanismes des "Group Page" et "Fan Page" sur Facebook constituent des groupements d'inscrits qui peuvent se rapprocher, par moments, de la figure de la communauté (Ramesh, 2009).

3 Par contre, Nicolas Auray (2009) décrit très justement les échanges d'affects pouvant avoir lieu sur un blog professionnel, au sein d'une entreprise, en recourant avec raison à la métaphore de la "communauté virtuelle".

4 Définition d'ontologie distincte du sens philosophique habituel.

5 Nous préférons l'appellation "réseaux socionumériques" pour bien distinguer ces réseaux en ligne des "réseaux sociaux" qui existaient bien avant Internet.

6 Ces statistiques sont tirées de : http://www.facebook.com/press/info.php?statistics

7 Source: http://www.toutfacebook.fr/nombre-dutilisateurs-facebook-par-continent-fevrier-2011/

8 Signalons qu'en Chine, la plateforme Facebook est en concurrence avec des sites autonomes chinois.

9 La notion de "sousveillance" peut se déployer selon deux dimensions: une dimension émancipatoire où le surveillé surveille l'institution qui le surveille; une dimension aliénante où l'utilisateur ordinaire participe à l'entreprise de surveillance généralisée en fournissant lui-même des renseignements concernant ses voisins ou ses collègues. C'est cette seconde dimension que je mets en relief ici.

10 Les premières études sur Facebook insistaient sur la fonction de "maintien de liens forts" remplie par le dispositif. Voir par exemple: Stern et Taylor, 2007.

11 De 2004 à 2006, Facebook est passé du statut de club sélect d'Harvard à une ouverture vers les étudiants des autres universités, puis des collèges, puis des high schools, et enfin à une ouverture au grand public en septembre 2006.

12 J'ai conservé les expressions anglaises de son essai parce qu'il y a une importante connotation à ce vocable que je perdrais en les traduisant en français.

13 http://fr.wikipedia.org/wiki/Affordance

14 La firme Google semble avoir saisi ce type de besoin. Sa nouvelle architecture de réseaux socionumériques Google+, expérimentée en 2011, et destinée à concurrencer Facebook, offre cette possibilité pour l'utilisateur d'avoir différend'avoir différents cercles d'amis. Voir: http://descary.com/google-la-naissance-sociale-de-google/

15 On peut avoir jusqu'à 5000 amis sur Facebook.

16 Pour une approche plus approfondie de l'usage comme expérience, voir: Jauréguiberry et Proulx,
2011.

17 Fin 2010, la firme Zynga - productrice du jeu en ligne sur Facebook appelé FarmVille - et l'entreprise American Express concluait une entente: "Les détenteurs d'une carte AmEx vont bientôt pouvoir utiliser leurs points de fidélité comme monnaie virtuelle dans les jeux de Zynga, à commencer par le plus célèbre d'entre eux FarmVille, pour acquérir des biens virtuels et acheter des cartes de jeux." (http://www.newzilla.net/2010/12/19/sur-farmville-le-jeu-de-zynga-american-express-transforme-vos-points-de-fidelite-en-monnaie-virtuelle/ )



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 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93