René Meissel
Professeur agrégé de géographie
Français et Bulgares, regards croisés
A côté d’éminents intervenants , je ne suis qu’un voyageur qui découvre et qui apporte un témoignage de son vécu en Bulgarie.
Jusqu’en 2000, mis à part la situation et la configuration géographique, j’ignorais tout de la Bulgarie. Vingt ans plus tôt, accompagnant à Kiev un voyage d’élèves de russe de mon lycée, j’avais protesté quand on nous avait imposé la visite de l’Institut des Industries Légères et demandé plutôt celle du Musée National d’Histoire, ce qui m’était refusé. Ladite visite eut lieu nous offrant le spectacle de robes, chaussures, postes de radio d’une incroyable rusticité ; de retour à l’hôtel, croisant la responsable de l’organisme de tourisme qui me demanda comment s’était passée la visite, je lui répondis textuellement ceci : Cette visite aurait épaté des kolkhoziens bulgares, mais pas des jeunes venant d’une ville comme Chantilly, avec son champ de courses et ses terrains de golf. Pourquoi les kolkhoziens bulgares et pas roumains, ou hongrois ou tchèques ?... Et pourtant, j’avais dans ma bibliothèque, depuis les années 60, le recueil de poèmes de Christo Botev, une anthologie de Vaptzarov et l’Anthologie de la Poésie bulgare publiées par Pierre Seghers. Seul le chef d’œuvre classique d’Ivan Vazov avait été traduit en France…en 1976 et publié par une maison d’édition universitaire, les Presses Orientalistes de France, dont la diffusion et la distribution étaient très confidentielles. Il faudra attendra 1989 pour que des textes de Raditchkov le soient par Gallimard.
En 1980, le programme de géographie en terminale de lycée portait sur les Grandes Puissances et en histoire contemporaine, je m’intéressais personnellement à l’évolution du monde soviétique, gardant en mémoire les événements de Berlin-Est en juin 1953, ceux de Budapest en octobre 1956, au printemps de Prague en 1968…à ce qui venait de se passer à Gdansk en Pologne. Rien de comparable, qui aurait pu attirer l’attention de nos médias ne s’était passé en Bulgarie. D’ouvrages consacrés à l’histoire de la Bulgarie, il n’existait qu’un Que sais-je ? publié en 1978 – mais ce type d’ouvrage de qualité certes, mais de poche, ne bénéficie pas d’une grande publicité – et un ouvrage collectif publié par les Editions Horvath à Saint-Etienne en 1977, soit une maison d’édition régionale offrant la traduction de textes d’historiens bulgares. Là aussi, la publicité n’était pas au rendez-vous, d’autant que des références obligées à l’idéologie marxiste en réduisaient la crédibilité, comme je pourrai le constater en découvrant l’ouvrage à la médiathèque d’Avignon en 2002.
Pour en revenir à mon appréciation des kolkhoziens bulgares, depuis 2001, j’ai étudié l’histoire de l’agriculture en Bulgarie, j’ai rencontré des agriculteurs, et je leur ai demandé pardon, rétrospectivement et intérieurement.
En septembre 2002, je conduisais un groupe de Français, dont le responsable avait souhaité que la première nuit dans le pays soit passée à Koprivchtitza. En fin d’après-midi, après notre installation dans les différents petits hôtels, j’emmenai ce groupe à la découverte de la charmante petite ville. Au bout d’une centaine de mètres, une dame vint à moi et me dit : Les Bulgares ne sont pas souriants. A quoi je répondis : Vous leur souriez ? – Non, me répondit-elle, je n’ai aucune raison pour le faire. Moi : Eux non plus. La promenade continua. Nous étions arrivés de l’autre côté de la rivière sur une petite place juste avant le groupe scolaire Lyuben Karavelov. Le long du mur d’une de ces jolies maisons bulgares, quatre dames âgées assises sur un banc bavardaient avec deux autres debout près d’elles ; comme elles se sont interrompues pour nous regarder passer, je les ai saluées avec le peu de bulgare que je pratique en leur demandant comment elles allaient : en chœur, avec un large sourire elles m’ont répondu qu’elles allaient bien, ce que j’ai compris, ajoutant quelque chose que j’ai traduit un peu hasardeusement comme des vœux chaleureux de bienvenue. Quelques jours plus tard, nous étions dans Melnik. Sur notre passage, des maçons faisaient la pause casse-croûte au pied de leur échafaudage. Après que nous les eûmes dépassés, la même dame de mon groupe est venue me trouver, toute excitée : Vous savez, j’ai dit aux maçons Bon appétit ! et il y en a un qui m’a répondu Merci, merci beaucoup. En français !
Je dois avouer que j’ai éprouvé la même surprise un jour de juillet 2004 à Veliko Tarnovo où je passais quelques jours en individuel. Me rendant à la poste pour acheter des timbres, j’avais bien répété la phrase bulgare destinée à me procurer des timbres pour la France et je la débitais avec une certaine assurance quand l’employée m’interrompit pour me demander tranquillement : Tarif prioritaire ou tarif normal ?
Cela me rappelait qu’avant 1948 le français était la langue des administrations de communication : la poste, les chemins de fer. Ainsi la gare centrale de Sofia porte toujours sur sa façade d’entrée l’indication en bulgare et en français ( Gare centrale), alors que la gare routière ouverte à côté en 2003 porte sur son fronton, en lettres lumineuses, l’indication Bus station. Et les monuments antiques les plus anciennement conservés, tels la porte du rempart romain d’Hissarya, les vestiges romains de Sofia mis à jour avant 1948, par exemple, sont présentés par une plaque à double inscription, une en bulgare et l’autre dans un français parfois un peu gauche.
Grâce à Denis Danset, aujourd’hui consul honoraire de Bulgarie à Marseille, j’avais fait la connaissance de Georges Popov, professeur à l’Université SS Cyrille et Méthode à Veliko-Tarnovo, et excellent clarinettiste de jazz. Au cours de nos multiples rencontres et discussions, Georges Popov m’apprit que son père, instituteur et militant agrarien, était venu se réfugier en France, près de Grenoble, après le coup d’état de juin 1923 avant de rentrer en Bulgarie en 1927. Plus tard, Angel Wagenstein, à qui j’avais demandé d’éclaircir pour moi la brève notice biographique de la 4e de couverture de ses romans précisant que, né dans une famille juive de Plovdiv, il avait passé son enfance en exil à Paris et combattu dans les rangs des partisans en Bulgarie pendant la Deuxième Guerre Mondiale, me raconta que son père, juif et communiste, s’était réfugié avec sa famille dans la région parisienne après l’attentat de l’église Sainte Nédélya pour fuir la chasse aux communistes. Ils avaient en France des parents éloignés mais il n’avait pas oublié les années matériellement très difficiles qu’il avait passées dans notre pays Ainsi des militants politiques bulgares menacés par le régime fascisant au pouvoir depuis 1923 n’avaient pas, en Europe occidentale, d’autre pays que la France où se trouver en sécurité. Ils suivaient ainsi les traces d’autres Bulgares, militants prestigieux de l’ Éveil national, qui étaient venus étudier en France quelques décennies plus tôt.
En me présentant à Georges Popov, Denis Danset m’avait dit qu’il avait reconstitué le réseau de l’Alliance Française en Bulgarie après la chute du régime politique qui lui avait interdit toute activité depuis 1948. Je demandai un jour à mon ami de me raconter par le menu comment il avait été conduit à le faire. En janvier 1990, un groupe de médecins, juristes et professeurs, francophiles et francophones, de Veliko-Tarnovo avait décidé de constituer une association d’amitié bulgaro-française, qu’ils avaient baptisée Les Amis de la France. En février, ils décidèrent de se rendre en voiture à Sofia et de se présenter, tout heureux et fiers de leur engagement, au service culturel de l’Ambassade de France pour faire connaître leur initiative et obtenir, peut-être, en retour le service de quelques publications en français. Il faut imaginer ce que pouvait être la difficulté de ce trajet de 240 km en plein hiver. La petite délégation de l’association fut poliment éconduite par un fonctionnaire français, qui trouva prétentieux qu’une bande de provinciaux bulgares osât s’intituler Les Amis de la France. Désappointés, blessés aussi, les membres de la petite équipe rentrèrent à Veliko-Tarnovo mais ne s’avouèrent pas battus : l’association francophile décida de s’appeler Les Amis de la Langue Française…et reçut alors le soutien du service culturel de l’ambassade de… Belgique qui l’abonna à diverses revues et journaux en langue française. Tout de même, l’action de Georges Popov qui avait été la cheville ouvrière de cette association ne fut pas perdue puisqu’en 1992, lorsque l’Alliance Française, entreprenant de reconstituer son réseau bulgare, fit appel à lui qui fut détaché pendant un an pour se mettre à son service. Et à Veliko-Tarnovo, l’Alliance Française au début des années 2000 avait façade sur rue au-dessus de la grand’rue de la vieille ville, entre la statue de Stambolov et la Maison au Singe du grand architecte bulgare Kolyu Fitcheto.
À propos de l’Alliance Française et de l’engagement de Bulgares en faveur de notre langue, je voudrais rappeler que la première Alliance Française a été créée en Bulgarie, en 1901, à Kazanlak par le marchand d’huile de rose Hristo Hristov ; l’assemblée constitutive avaient réuni alors plus de quarante personnes, toutes parlant français. C’était une Alliance enseignante et son secrétaire était un professeur français, Jacques Fardel, déjà installé dans la ville où il enseignait notre langue. L’Alliance Française de Kazanlak ferma ses portes en 1904, suite au décès de son principal animateur ; elle ne se reconstitua qu’en 1924.
Mais la première rencontre que je fis en Bulgarie fut sans doute la plus émouvante. Je conduisais mon premier groupe de touristes en Bulgarie, un groupe d’amis. Et notre guide intérimaire était le journaliste Dimo Raikov ; il remplaçait au pied levé sa fille, étudiante à l’Université d’Aix-en-Provence, retenue à Birmingham par un examen final dans le cadre du programme Erasmus. Au cours d’une conversation, Dimo me raconta que, journaliste accompagnant une délégation parlementaire à Paris en 1997, il était si heureux d’être à Paris que le premier jour il avait monté et descendu sept fois de suite les Champs-Elysées. Emu par cette confidence, je l’avais plaisanté en lui disant qu’il avait risqué d’avoir des problèmes avec la police. Quand, deux jours plus tard, sa fille nous a rejoints, je lui ai demandé d’expliquer à son père le sens de l’expression Faire le trottoir, ce qui l’a bien fait rire. Depuis j’ai revu plusieurs fois Dima Raikov, à Sofia mais aussi à Paris… notamment un jour où je l’ai trouvé par hasard à la FNAC des Halles devant le rayon des ouvrages d’art consacrés à Paris, quand il mettait la dernière main à son livre Paris, mon Paris et nous avons eu la joie de nous retrouver encore à la banitza de l’Alliance France-Bulgarie le 4 novembre dernier.
Ce qui m’a frappé aussi chez les Bulgares, c’est leur sensibilité à la poésie.
Le 17 septembre 2001, notre bus roulait vers Kazanlak. C’était peu après les attentats contre le World Trade Center, et tous, Bulgares comme Français, nous guettions les moindres nouvelles. Constantin, notre chauffeur, laissait la radio ouverte. A un moment, nous avons entendu un artiste dire un texte, vraisemblablement un poème, et Constantin montra son avant-bras à la guide bulgare, assise à côté de lui : l’écoute de ce poème de Yavorov lui donnait la chair de poule ! A l’occasion d’un autre voyage, alors que nous traversions le cimetière de Koprivchtitza, notre guide nous arrêta devant la statue de la mère de Dimtcho Debelianov et nous récita lentement le poème que le poète, sur le front de Grèce où il combattait, consacrait au souvenir de sa maison natale et de sa mère ; la musique des mots en était si belle que je lui demandai de m’en faire la traduction, ce qu’elle fit pendant la nuit, non sans mal m’avoua-t-elle. A mon retour en France, je la comparai avec celle publiée dans l’Anthologie de la Poésie bulgare : elle était infiniment plus fluide que celle de la traductrice patentée, et depuis je lis chaque fois, pour les touristes français, cette traduction devant la même statue, et avec la même émotion.
Plus tard, je devais découvrir un autre poème de Dimtcho Debelianov écrit alors qu’il combattait face à l’armée grecque et à notre armée d’Orient :
Qu’il est étrange dans le tumulte de ce sinistre orage,
Où tous ne font qu’un et chacun est si seul,
De se rappeler, de murmurer un vers qui pleure
Dans les douces élégies de Francis Jammes.
( trad. Nikolaï Dontchev)
Mon amie Bistra Atanassova, qui m’a fait découvrir Debelianov est ingénieur agronome, auteur d’une thèse de doctorat sur la tomate.
Je me souviens aussi de la demande étonnante d’une amie commune, Nasya Tomlekova, ingénieur biologiste à Plovdiv : elle m’avait gentiment conduit avec sa voiture au sanctuaire thrace de Starosel, qui venait tout juste d’être ouvert au public en ce printemps 2003, et dans la ville d’Hissarya pour voir sa remarquable enceinte romaine. Comme je lui demandais ce que je pourrais lui envoyer de France pour lui témoigner ma gratitude, quelque chose qui lui fasse vraiment plaisir, elle me répondit : Un livre de poèmes d’Alain Bosquet. Et à mon retour, j’ai fait la razzia des œuvres d’Alain Bosquet sur les rayons Poésie d’une grande librairie parisienne.
Cette sensibilité à la musique de notre langue, je l’ai retrouvée chez une étudiante employée comme guide à partir de 2002 à l’église de Boyana. Cette jeune fille, jolie, souriante, parlant un français correct, parfois ponctué d’un anglicisme, je la retrouvais à chacune des trois ou quatre visites annuelles que j’étais amené à effectuer. Je lui demandai un jour où elle avait appris le français. Et elle me raconta ceci : ses parents étaient en fonction à Varsovie ; elle allait alors à l’école russe, mais dans l’immeuble où ils étaient logés, elle entendait les enfants d’une famille polonaise voisine parler français et elle aimait, me dit-elle, entendre notre langue. Quand ses parents sont rentrés à Sofia au début des années 1990, elle a tenu à être inscrite dans un lycée bilingue où on enseignait le français : elle avait deux ans de retard dans cette discipline par rapport à ses camarades. Fière, courageuse, persévérante, elle a obtenu de ses parents qu’ils lui paient des leçons supplémentaires et à la fin de sa première année elle avait rattrapé le niveau de ses camarades. Elle a tenu d’ailleurs par la suite à me faire connaître sa professeur de français, qui m’a confirmé le fait. Plus tard, ma femme et moi l’avons accueillie à la maison pour lui permettre de venir s’inscrire pour préparer un master dans une université française. Je lui dois , à elle et à ses parents, de m’avoir fait découvrir des lieux et des personnes magnifiques dans ce qu’il est convenu d’appeler la Bulgarie profonde.
La dernière rencontre, je l’ai faite voici plus d’un an à l’occasion d’une conférence que je donnais à l’Espace Culturel bulgare. Une dame âgée était assise au premier ange ; comme je lui tendais un exemplaire du document que je distribuais à mes auditeurs, elle me dit : Merci, Monsieur, mais je ne peux plus lire…vous savez, j’ai cent ans…Je lui fis compliment et l’invitai à témoigner à l’occasion sur des moments qu’elle avait vécus dans la Bulgarie des années 1920 et 1930…Elle était très discrète. Puis je ne la vis plus au début du printemps dernier. C’est seulement à l’occasion de conférences que je donnais sur le théâtre bulgare contemporain que je la retrouvai. Comme je lui manifestais le plaisir que j’avais à la revoir, elle me dit qu’elle aimait bien m’écouter parler, qu’elle aimait entendre la musique de la langue française ; je lui demandai alors quelle avait été sa profession : elle avait été actrice au Théâtre National à Sofia, et tenait des rôles féminins du répertoire de Shakespeare. Par la suite, elle arrivait bien avant l’heure de la conférence et nous bavardions. Elle habite à deux stations de l’Espace culturel, et c’est par le métro qu’elle vient et qu’elle repart vers 18 heures. Je lui ai demandé son nom ; elle a tenu à me l’écrire elle-même sur une feuille de format A4 en capitales hautes de près de quatre centimètres. Elle était là , toujours au premier rang, lors de mes conférences des 23 octobre et 20 novembre derniers. Et je ne suis pas prêt d’oublier cette extraordinaire Maria Stoyanova, presque aveugle mais à la voix magnifique, une voix puissante et chaude que j’ai eu le privilège d’entendre un jour quand elle s’est mise à chanter alors que nous étions seuls avec elle, la secrétaire de l’Espace culturel et moi-même.
Pour en revenir à des situations plus terre à terre, je voudrais évoquer enfin un élément du comportement de mes amis Bulgares, dont j’ai appris très vite à me méfier. C’est leur discrète fierté. Invité à dîner au restaurant, ne connaissant pas beaucoup la cuisine bulgare, je me suis laissé d’abord guider par eux dans le choix des plats ; quand je les invitais à mon tour, toutes et tous avaient un prétexte pour manger peu… J’ai réalisé très vite que, quand ils m’invitaient, ils prenaient généralement un autre plat que celui qu’ils m’invitaient à goûter. Je connaissais les revenus des enseignants, ceux également d’ingénieurs employés dans des instituts de recherches dont le budget avait été réduit…Pour moi, le plat le plus recherché, le plus copieux aussi ; pour eux , les plats les plus ordinaires, partagés parfois par le couple. Maintenant mon éducation est faite, je sais lire parfaitement toutes les colonnes d’un menu de restaurant et je ne me fais plus tromper par mes amis bulgares.
Et comment oublier cette hospitalité, ce témoignage de sympathie manifesté rituellement autour d’une sorte d’offrande …trinitaire : kachkaval, loukanka et rakia, rakia souvent maison, parfois amenée dans une grande bouteille de coca-cola. Que ce soit chez un chasseur de sangliers près de Kyustendil, une comptable vivant dans un village proche de Berkovitza, le gardien du monastère de Zemen, un paysan des Rhodopes près de Smolyan…et je ne suis pas près d’oublier Gueorgui Bankov, aujourd’hui responsable du site archéologique de Nicopolis ad Istrum, près du village de Nikyup. Historien de formation, il vivait de l’élevage de lapines américaines pour lesquelles il avait conçu et réalisé une installation très ingénieuse. Après la visite du site, dont il était alors gardien et guide, il nous avait ramenés chez lui : tranches de kachkaval et de loukanka, accompagnées de rakia, plus du raisin délicieux coupé à même la treille et, enfin, un autre produit-maison dont il était fier : du saucisson de lapin ! Trois ans plus tard, quand je l’ai retrouvé sur le site antique, comme je lui faisais rappeler cette visite, il m’a demandé si je me souvenais de SA rakia... de sa rakia, non, mais de son extraordinaire saucisson de lapin, oui !
Puis-je évoquer encore une autre rencontre exceptionnelle ? C’était un dimanche matin, en juillet 2006, un jeune couple ami de Sofia m’avait emmené sur le Vitosha. A la descente des télésièges, une vieille dame nous a invités à la suivre sur le raccourci qui conduit au sommet, au Tcherny Vrah. Au pied de la statue d’Aleko Konstantinov, elle nous a arrêtés, a ouvert son sac à dos et nous a offert des abricots et des pêches ; puis nous avons continué jusqu’au pied du chaos granitique qui marque le sommet. Nous nous sommes assis, elle a rouvert son sac pour nous partager des sandwiches faits d’un caviar d’aubergines de sa fabrication et nous a fait terminer sur un autre fruit tiré de son sac. A 81 ans, Genka Alexandrova Malinova revenait régulièrement sur le Vitosha où jusqu’à l’année précédente elle skiait encore avec son mari. En 2006, elle avait skié une fois encore . Et l’été, elle y revenait, seule désormais, pour nourrir, semble-t-il, les promeneurs imprévoyants.
Il m’a semblé que les Bulgares qui aiment la France ont appris à l’aimer à travers sa littérature ; ne lisant pas le bulgare, c’est à beaucoup de ses hommes et de ses femmes que je dois d’avoir connu et d’aimer la Bulgarie. Je crois que les kolkhoziens de 1981 m’auront pardonné.
Notes
Pour les Français encore peu au fait de la gastronomie bulgare,
- le kachkaval est un fromage de couleur jaune, un peu comparable à notre Port-Salut.
- la loukanka est une saucisse sèche légèrement et agréablement parfumée.
- la rakia est une eau-de-vie, généralement de raisin mais le terme s’applique aussi à l’eau-de-vie de prunes. Rien à voir avec le raki turc, équivalent de l’ouzo, de l’anisette et du pastis, et dont l’équivalent bulgare est la mastika.