26e Biennale de la langue française
CLUJ-NAPOCA
ROUMANIE
9 et 10 octobre 2015
Synthèse de Line SOMMANT : La Francophonie Vivante en Roumanie
La XXVIe Biennale de la langue française (BLF) relative à « La Francophonie vivante : l’enseignement de la langue et des littératures d’expression française, à l’étranger » s’est tenue les 9 et 10 octobre à l’université Babes-Bolyai de Cluj-Napoca en Roumanie. Elle a bénéficié des soutiens de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), la DGLFLF (Délégation générale à la Langue française et aux Langues de France) et l’AMOPA (Association des membres de l’Ordre des Palmes Académiques).
Corin Braga, Doyen de la faculté des lettres, a présenté les activités de cette université, puis la Vice-Présidente de la BLF a rappelé l’apport des lexicographes et des écrivains à cette langue avant de souligner que les 9 octobre 2008 et 2014, deux prix Nobel de littérature avaient été décernés à Jean-Marie-Gustave Le Clézio et à Patrick Modiano, gages d’un intérêt mondial pour la langue et la culture françaises.
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La langue française, un atout dans le monde des affaires
1. les approches institutionnelles.
Directeur de l’Institut français de Bucarest, Christophe Gigaudaut a insisté sur le partage et la transmission de la langue française, et sur les enjeux économiques de cette langue en Roumanie. Puis, Odile Canale, Chef de la mission Emploi et diffusion de la langue française (DGLFLF), a expliqué la genèse du Guide des bonnes pratiques dans les entreprises, qui se veut incitatif et non contraignant. Mariana Perisanu, Maître de conférences à l’Académie des études économiques, a évoqué la préparation des francophones en vue de travailler dans les entreprises françaises implantées en Roumanie et insisté sur le « petit plus » que constitue un bon niveau en français. Puis le Consul Pascal Fesneau a fait un « état des lieux » économique et linguistique en Roumanie. Défendant le multilinguisme, il a souligné que le français devait rester une langue des affaires permettant de communiquer dans les domaines scientifique, sportif, culturel...Les affaires sont favorisées par la francophonie, citant la Roumanie, l’Afrique, le Québec francophones… Autre atout, le droit continental est prépondérant dans le monde et Paris est la place juridique par excellence. La langue française est la deuxième langue des productions cinématographique et scientifique après l’anglais. La France est le premier investisseur en Roumanie en demande d’employés francophones. Une phénoménale opportunité est représentée par le domaine médical et aussi par le marché de l’économie numérique avec les nouvelles applications d’Internet : la croissance démographique en Afrique, en 2020, permet d’envisager 650 millions de connectés.
Enfin, Radu Ciobotea, maître de conférences, professeur de journalisme aux universités « Aurel Vlaicu » d’Arad et de l’ « Ouest » à Timisoara, a expliqué que des milliers de Français apprenaient le roumain. 600 millions de personnes sur 7,35 milliards possèdent au minimum deux identités. L’émigration intervient dans le changement de la construction européenne même. La culture française jouit d’une sympathie croissante dans le monde à côté de la « globalisation » de l’anglais.
2. « Les témoignages individuels »
Line Sommant, de l’université Paris 3-Sorbonne et Consultante à la Cegos a traité de : « La communication en langue française dans les entreprises : enjeux et formation ». Elle a évoqué l’importance de la maîtrise de la langue française à l’écrit et à l’oral dans les entreprises en France. Elle favorise l’ascenseur social, assure un travail autonome, certifie la traçabilité, entre autres, juridique, intervient dans l’image de marque de l’entreprise, la fidélisation de ses clients, et aide à remporter des marchés. La Cegos, premier organisme de formation professionnelle en Europe, assure nombre de formations certifiantes pour aider les salariés à renforcer la maîtrise de cette langue des affaires.
Puis, Radu Oprean, de l’université de Médecine et de Pharmacie « Iuliu Hatieganu », a présenté les trois facultés de Cluj-Napoca composées de 9000 étudiants dont 2500 internationaux. Pour l’année 2014-2015, on compte 895 étudiants en médecine dentaire et en pharmacie, dont 465 Français. Les deux premières années se déroulent en français et en anglais, et l’apprentissage du roumain par les étudiants est obligatoire, compétence testée en troisième année. Des partenariats sont établis avec des universités françaises comme Toulouse 3, Pierre et Marie Curie…
Enfin, Marinella Coman, de l’université de Craïova, a traité de «La préparation des étudiants au français des affaires », discipline universitaire en FLE sur deux ans. Le français est un atout professionnel, car les investisseurs tiennent compte des demandes du marché (délocalisation des entreprises françaises comme Auchan, Carrefour, Dacia…). Les cours dispensés offrent une aide sous forme de boîtes à outils, de sites, de bibliographies donnés dès le début des cours aux étudiants qui doivent faire preuve d’initiative. Des séances de traduction portent sur des textes extraits de : « Capital, le Monde »…
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La littérature roumaine d’expression française en Roumanie.
1. le roman et le théâtre roumains d’expression française.
L’après-midi du 10 octobre, Matei Visniec, poète, dramaturge et journaliste, a raconté comment « Le français est venu me chercher avec ses livres, ses histoires, ses images, sa musique »… et de citer Jules Verne, Dumas, Hugo, Balzac …Jean Marais ou Charles Aznavour… « Peu à peu, un pays, une culture s’infiltrent en toi. Tu connais énormément de choses sur un pays, même si tu ne connais pas sa langue ». Pourtant, il choisit l’allemand comme deuxième langue : « J’ai reporté ma rencontre académique avec la langue française ». Un jour, il arrive à Paris : « Paris, c’était ma ville, une manière de retrouver ma famille mentale ». « J’ai appris à écrire en français en même temps que j’apprenais le français ». « J’ai traduit mes premières pièces avec mon professeur et écrit une trentaine de pièces en français. » « Je séduis la langue française jusqu’au point où j’accouche d’une pièce de théâtre. La langue française fait partie du code génétique de la culture française. »
Puis, Elena-Brandusa Steiciuc, de l’université « Stefan cel Mare » de Suceava, a parlé d’ «Oana Orlea (1936-2014), la résistance par la francophonie dans la Roumanie totalitaire ». Cette écrivaine s’est mise à écrire en français, langue de la liberté, et a attiré l’attention du monde entier sur les dérives du régime Ceaucescu. À 16 ans, elle distribue un tract anticommuniste qui lui vaut d’être envoyée dans les camps avant que Georges Enescu, son grand-père, l’en fît sortir. À 19 ans, de durs travaux l’attendent dans les chantiers, mais elle réussit à donner des cours de français. Elle obtient son asile politique en France dans les années 80. Son ouvrage, « Un sosie en cavale » (1986) est un cri d’alarme contre la dictature. Les années volées (1991), texte autobiographique, raconte divers moments d’entrée dans le système, de l’adaptation au système. Elle le fait avec lucidité, humour, autodérision.
Puis Alain Vuillemin, professeur émérite, rattaché à l’université Paris Est, a fait découvrir « Le théâtre pluridimensionnel de Georges Astalos (1933-2014) ».
D’ascendance hongroise et de culture allemande, Georges Astalos est, de 1958 à 1964, officier dans l’armée roumaine. Il débute sa carrière en langue roumaine de 1965 à 1971, puis la continue en langue française de 1971 à 1996 où, après un exil en France, il revient en Roumanie. Il écrit en italien, en roumain, en français : Rouge, pair et passe ; Sans issue ; Anges du pouvoir ; l’Insoumission ; Dracula….La poésie lui assure la célébrité. Il est aussi le créateur d’un théâtre spatial floral. Toutes ses pièces ont été interdites. À partir de 1988, il a écrit des pièces en français autour de Danton, Robespierre, Napoléon. Dès 1990, il est l’auteur de plusieurs poèmes sur l’exil. Son écriture se caractérise par des variations, des exercices de style très particuliers. C’est un écrivain de l’entre-deux, qui peut être un passage ou un abîme, une personnalité difficile à cerner.
2. La poésie roumaine en langue française
Roxana Bauduin, de l’université Paris Versailles, évoque le poète et sémioticien Paul Miclau, dont le message absolu tient en trois mots : amour, absolu, néant, qui publia de nombreux sonnets : «Au bord du temps », « Racines écloses ».
Il a deux terres, la Roumanie et la France, deux langues, le français et le roumain. La forme fixe du sonnet lui a permis des innovations où il exprime des émotions entre retenue et fulmination. L’emploi de la forme fixe n’a en rien entamé la valeur métaphorique de son expression. Il demeure une personnalité littéraire (actuellement sans biographie) à mieux connaître.
Puis, Horia Badescu , poète, a exprimé le cheminement vers soi-même : « Je vis dans un pays où le français est une question de cœur, et le cœur c’est le français. Le métissage langues française et roumaine a donné des résultats remarquables ». Et le poète de s’interroger : « Mon imaginaire devient-il autre sous la pression du français ? » « Je n’ai pas changé en changeant de langue, je suis resté moi-même ».
Enfin, par son intervention, Constantin Frosin, poète, université « Danubius » de Galati, clôt la BLF. Écrire en français lui est venu un peu avant la révolution. On lui a demandé de détruire ses poèmes. « Le poète joue avec les mots de façon presque magique. La langue française m’a permis d’exprimer mon indignation et ma haine. Pour devenir un bon traducteur, il a fallu me prouver à moi-même que je savais écrire de la poésie ». Et il lit de « micro-poèmes sur réalistes ». « Le français m’a aidé à dire ce que je voulais dire en roumain ».
La XXVIe BLF, par la haute tenue des interventions, la richesses des idées et des points de vue exprimés, a su traiter en profondeur les deux aspects qui donnent à notre langue sa valeur actuelle : d’une part, l’intérêt qu’elle représente dans le monde des affaires par rapport aux enjeux économiques et, d’autre part, les valeurs culturelle, spirituelle et littéraire qu’elle véhicule avec constance depuis des siècles pour tous ceux qui écrivent en français, trouvant ainsi un canal particulier, propre et unique de l‘expression de leurs pensées et de leurs combats.