Les valeurs-phares de la Biennale
- Le français universel et le bon usage
- La langue française et l’identité culturelle
- Le français, langue internationale
- La langue française et le droit
Toute langue universelle doit-elle se reconnaître dans ces valeurs, comme autrefois le latin et le grec, ou sont-elles particulières à la langue française ?
Le français universel et le bon usage
Le français universel ?
« Il fut entendu que l’adjectif "universel" recevrait l’acception qu’il a dans les formules de type "École universelle", c’est-à-dire "qui concerne la totalité d’un groupe", ce groupe étant formé, en l’occurrence, par l’ensemble des personnes qui, à travers le monde, détiennent ce commun patrimoine linguistique, le français. Sans "rivarolisme", la Fédération avait un seul but : assurer la sauvegarde du meilleur français possible, écrit et parlé par le plus grand nombre possible de francophones ».
(Alain Guillermou, Historique des biennales, Index 1987 p. 7).
Du meilleur français possible ? Était-ce le "bon usage" ?
« Il n’est pas question de chercher à imposer la langue française à l’univers ni même de vouloir la répandre dans le monde entier. Comme l’a dit Alain Guillermou, la Fédération a une "politique linguistique", mais qui n’est point une "linguistique politique" ! Cet organisme ne nourrit aucune ambition d’impérialisme ni d’hégémonie ».
« La Fédération ne se propose pas de supprimer (la) diversité des vocabulaires ni de les uniformiser. Son but est d’établir un certain nombre de normes et de définir un "bon usage" moyen et raisonnable…Il fera un sort aux tours et termes qui traduisent de façon pittoresque les réalités de la vie et de la langue, et qui n’ont pas leur équivalent dans le français de l’hexagone ».
(Robert Le Bidois, Le français universel, Actes I pp.37-38)
En somme, se rappeler, avec Jean-Claude Corbeil, la préface de la septième édition du Dictionnaire de l’Académie française, qui doit son autorité « à ce juste tempérament entre une complaisance qui livrerait tout à la fureur d’innover et une résistance aveugle qui n’accorderait rien au cours inévitable des choses ».
(Québec 1967, Actes I p. 57)
Cependant, « À l’heure où notre langue est parlée par environ 150 millions de francophones, dans une trentaine d’États, sa défense doit être entreprise dans chacun de ces pays… Son expansion nous réjouit et nous inquiète à la fois. Elle l’expose au danger de se diversifier excessivement dans l’espace…si une élite n’intervient pas pour garder au français son caractère de langue universelle, pour assurer son unité fondamentale, non seulement dans son lexique, mais dans sa structure et sa syntaxe »
(Joseph Hanse, Namur 1965, Actes I p. 17)
Qu’est donc le "bon usage" ?
« S’il est divers usages, celui des académiciens et celui de Zazie, le "bon" usage varie aussi : Vaugelas ne le trouve-t-il pas à la Cour alors que Malherbe le prend aux "crocheteurs" ?
(Robert le Bidois, Québec 1967, Actes I p. 41)
Et là s’opposent divers avis :
« Il serait utopique de vouloir, dès le début, instaurer le "bon usage" dans la francophonie : ce serait "appliquer le luxe sur la pauvreté" . Il faut d’abord affirmer "l’usage" car, dans bien des pays qui ont adopté notre langue comme langue officielle, des millions de citoyens ne connaissent pas dix mots de français »
(Albert Doppagne, Québec 1967, Actes I p. 55)
Aurélien Sauvageot, opposé au conservatisme et à l’immobilisme, rejoint Robert Le Bidois selon lequel « Le laxisme en autorisant toutes les licences aboutirait à la dégradation de notre langue. Le purisme n’est pas moins dangereux, puisqu’il tend à fixer la langue et à l’empêcher de vivre sa vie ».
(Namur 1965, Actes I p. 25)
Un dirigisme conscient n’en est pas moins nécessaire. « Le bon usage requiert une police… Un mot vaut bien une truite, une expression vaut bien un orignal ; et, si l’État protège les truites et les orignaux, il doit également protéger les mots et la langue…même si la langue française est une langue "gourmée" qui subit un carcan depuis Malherbe ! ».
(Jean-Paul Desbiens, Les insolences du Père Untel,
Québec 1967, Actes I p. 43)
La question du "bon usage" s’infiltra dans plusieurs biennales, en particulier à Jersey : Une langue française ou des langues françaises ? Écoutons Léopold Sédar Senghor :
« Une langue française, bien sûr ! Le français préservé dans ses caractéristiques essentielles de clarté et de cohérence, de logique mais dialectique, de nuance, continue d’apporter, aux pays francophones du Tiers-Monde, non seulement des vertus complémentaires des leurs, mais un moyen d’échange et de communication… À mon avis, il ne doit y avoir qu’une langue française quand il s’agit de la phonétique, de la morphologie, voire de la syntaxe. Par contre, s’agissant du vocabulaire mais surtout de la stylistique, il est souhaitable qu’il y ait, hors de l’hexagone, des variantes "dialectales", des "belgicismes", … des "sénégalismes". »
(Léopold Sédar Senghor, Jersey 1979, Actes VI p. 21)
En somme, le "bon usage" cède devant la créativité du vocabulaire de la francophonie où se parle le français universel. Ce que démontrèrent nombre d’orateurs, d’Europe, du Canada ou d’Afrique.
À Lisbonne Le français langue de communication évoqua les littératures en français régional. Elles suscitèrent des réactions diverses, d’intérêt ou de rejet, car le "bon usage" n’a plus guère de sens. Le langage régional devient sujet d’étude, d’où le vœu émis et renouvelé :
« que soit encouragé l’inventaire systématique
- des littératures en français régional, tant en France que hors de France ;
- du lexique des différents français régionaux .»
(Albert Doppagne et Maurice Piron, Lisbonne 1983, Actes VIII p. 393)
Le français s’adaptant à la francophonie méritait donc encore de s’appeler "français universel". La Biennale se donnera le temps de réfléchir aux mots de la francophonie*, et plus tard aux "langues partenaires" qu’elle étudiera à son quarantième anniversaire en 2003.**
* Cf Les mots de la francophonie p. 54
** Cf Le français et les langues partenaires p. 93