L’élan créateur d’Alain Guillermou

 

Si l’élan créateur d’Alain Guillermou affleure à chaque instant dans le florilège, les biennales semblent en être le point de départ en 1963. Or les années antérieures l’annonçaient en revêtant plusieurs formes. Et, dans les années mêmes des biennales, il multiplia les initiatives et les créations. Son action s’étendit de 1952 à 1998, jusqu’à son dernier jour.

Un bref survol de cette création multiple, dans les lignes suivantes, en rappellera les principales étapes

Alain Guillermou, né en 1913, fut prodigue de sa vie dans des missions diverses.

Agrégé de lettres classiques, docteur ès lettres, il fut professeur de lettres jusqu’en 1948, puis professeur de roumain à l’Institut des langues orientales jusqu’en 1969, directeur de l’Institut d’études roumaines à la Sorbonne de 1962 à 1978.

Il consacra ses écrits d’abord à la langue roumaine, sur laquelle il publia plusieurs études, et à ses écrivains, Eminescu, Mircea Eliade et Rebreanu, dont il traduisit des œuvres. Il fit de même pour le Russe Lermontov.

Parallèlement il publia des ouvrages sur les Jésuites, dont trois sur Ignace de Loyola.

Il fit partie des Équipes sociales de Robert Garrick dès 1933.

Mais la grande affaire de sa vie fut la langue française, qui le mena à fonder quatre revues et cinq organismes.

 

- La revue Vie et Langage, dont il fut le rédacteur en chef de 1952 à 1974.

En 1952, "le goût du public" pour sa langue, "son zèle" et "le plaisir" qui le guide menèrent Alain Guillermou à créer une revue d’une "réelle tenue scientifique", une "information sur les langues" et une "initiation à la linguistique". Les plus grands linguistes y collaborèrent : Albert Dauzat, Aurélien Sauvageot, Charles Bruneau, Georges Gougenheim. La richesse inégalée de la revue et son intérêt multiple lui assura 6 000 abonnés. Elle disparut en 1974, privée des subsides de la Maison Larousse.

- L’Office du vocabulaire français, créé en 1957, doubla l’action de Vie et langage, pour "lutter contre l’invasion des néologismes", qui corrompent "l’esprit" de la langue. Un "dirigisme éclairé", selon Aurélien Sauvageot, guida l’Office. Avec des grammairiens, Grévisse, Imbs, quinze académiciens, dont le président Georges Duhamel, l’Office mena des enquêtes dans le public et organisa des journées d’étude. Ainsi : La langue des affaires (Menton 1971), le français langue de l’Europe (1973).

- Une émission hebdomadaire À l’écoute du français universel fut diffusée sur la future France-Culture (1961).

- Les Coupes Émile de Girardin (1959 à 1974) récompensèrent chaque année des journaux, revues, émissions, français ou étrangers. Le Prix Richelieu de Défense de la langue française n’en prit le relais qu’en 1992.

 

Les biennales

- En 1963 naquit la Fédération du français universel qui créa les

biennales, dont la première se tint à Namur en 1965. Ce florilège en relate la création et les objectifs dans le premier chapitre Genèse.

Les temps forts des biennales sont multiples. Retenons :

- Dakar en 1973, où Léopold Sédar Senghor formula l’idée d’une "Civilisation de l’Universel".

- Moncton en 1977, où le thème Langue et identité culturelle étudia une des valeurs-phares de la Biennale.

- Echternach en 1975, où le thème Le français langue internationale évoquait le multilinguisme.

- Marrakech en 1987, où les techniques modernes apparurent. Elles furent développées à

- Bucarest (1995) et Neuchâtel (1997), où le Multimédia fut proposé par le président Roland Eluerd.

Trois idées-forces furent plusieurs fois réaffirmées par Alain Guillermou :

1e Éviter l’éclatement du français, qui en ferait "un miroir brisé". Il prônait cependant l’accueil des variantes de la francophonie.

2e Ne pas porter la langue française comme un étendard. "D’autres langues peuvent avoir le même objectif".

3e Ne pas faire de politique. Indépendant des gouvernements, il eut toujours leur accord, pour « Faire une politique linguistique et non une linguistique politique. »

 

Les autres créations

- Le Conseil international de la langue française (CILF), en 1967, dont Joseph Hanse fut le président, suivi depuis 1990 par André Goosse et dont Hubert Joly fut le secrétaire général. Le Conseil publie une revue

- La Banque des mots..

- L’Association des usagers de la langue française (AGULF) en 1976, pour aider la loi Bas-Lauriol de 1975, assortie de

- La revue La France en français (1978 – 1981)

- L’Association pour la France en français (1980) qui réunit 500 personnes à la Mutualité en 1981.

- Des chroniques hebdomadaires dans Nice matin, de 1973 à 1998 : Les jeux du langage et du hasard.

Enfin, une revue spirituelle de haute tenue,

- Foi et Langage, où la langue servait un idéal (1976 à 1982)

 

Son intérêt, profond et constant, pour les jeunes se manifesta dans plusieurs biennales :

- à Moncton en 1979, où concours et enquête internationaux auprès de 4 000 jeunes furent lancés sur le thème :

Le français et moi.

- à Jersey en 1979, où un concours international de chansons réjouit les biennalistes.

- à Tours en 1985, où huit jeunes représentants d’Europe, d’Afrique et du Canada parlèrent de l’avenir de la langue française.

Enfin, en souvenir de son action

  • à Hull-Ottawa en 2001, où fut présentée l’enquête internationale auprès de 7 000 jeunes de 26 pays :

La langue française et vous.

Ce florilège donne des échos de ces actions auprès des jeunes.

 

Ce talent créateur, insatiable, le mena à œuvrer pour que soient créés des organismes gouvernementaux, le Haut Comité pour la défense et l’expansion de la langue française, les Commissions de terminologie, comme il le rappelle lui-même (cf. Mémorial p.109).

La floraison de vœux formulés aux vingt biennales sont une preuve de leur vitalité. Les vingt livres d’Actes et l’Index en relatent la richesse.

 

Alain Guillermou mena avec succès seize biennales de 1965 à 1993 et honora de sa présence active les deux suivantes (1995-1997). Un noyau de fidèles se reconstituait toujours autour de lui.

 

De nombreux honneurs et prix lui furent décernés, de France, du Québec, du Sénégal, de Roumanie, de Suisse. mais il garda toujours sa simplicité, sa chaleur communicative, son humour qui ont fait de tous les biennalistes ses fidèles disciples.

Les honneurs suivants lui furent notamment décernés en France :

- Le grade d’Officier de la légion d’honneur

- le Grand prix du rayonnement français de l’Académie française en 1966.

 

Jeanne Ogée

A la Une

 La culture suppose l'enracinement, la profondeur et la perspective d'un épanouissement sans cesse en progrès. 

Jacqueline de ROMILLY

Présidente d'Honneur de la Biennale de la langue française (2002-2010)

Dans Le Trésor des savoirs oubliés, éditions de Fallois, 1998, p. 93