Jacques IZOARD
Né en 1936 à Liège. Sa poésie et son travail pour la poésie ont fait le tour de la francophonie, et même davantage. Fondateur des cahiers Poétiques Odradek, découvreur de talents, lauréat de l'Académie Mallarmé, animateur des Ateliers d'Ecriture du Cirque Divers et professeur aujourd'hui retraité, il a été acteur et témoin privilégié de plusieurs décennies de littérature.
Bibliographie :
- Ce manteau de pauvreté - poèmes et autres récits, Liège, Éditions de l'Essai, 1962.
- Les sources de feu brûlent le feu contraire, Bruxelles, Société des Écrivains, 1964
- Aveuglement Orphée, Paris, Guy Chambelland, 1967.
- Des lierres, des neiges, des chats, Bruxelles, Henry Fagne, 1968.
- Un chemin de sel pur (suivi de) Aveuglément Orphée, Paris, Guy Chambelland, 1969.
- Le papier, l'aveugle, Liège, Éditions de l'Essai, 1970.
- Voix, vêtements, saccages, Paris, Bernard Grasset, 1971.
- Des laitiers, des scélérats, Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1971.
- Six poèmes, Liège, Tête de Houille, 1972.
- La Maison des cent dormeurs, Paris, Gaston Puel, 1973.
- La Patrie empaillée, Paris, Bernard Grasset, 1973.
- Bègue, bogue, borgne, Waremme, Éditions de la revue Donner à voir, 1974.
- Le Poing près du cœur, dans Verticales 12, nE 21-22, Decazeville, 1974.
- Poèmes, Saint-Gengoux-le-National, Louis Dubost, 1974.
- La Maison dans le doigt, dans Cahiers de Roture, nE 4, Liège, 1974.
- Poulpes, papiers, Paris, Commune Mesure, 1975.
- Rue obscure (avec Eugène Savitzkaya). Liège, Atelier de l'Agneau, 1975.
- Le Corps caressé, Paris, Commune Mesure, 1976.
- La Chambre d'Iris, Awan-Aywaille, Fonds de la Ville, 1976.
- Andrée Chédid (essai), Paris, Seghers, 1977.
- Vêtu, dévêtu, libre, Paris, Pierre Belfond, 1978.
- Plaisirs solitaires (avec Eugène Savitzkaya), Liège, Atelier de l'Agneau, 1979.
- Avec la rouille et les crocs du renard, dans Douze poètes sans impatience, Paris, Luneau-Ascot, 1979.
- Enclos de nuit, Senningerberg (Grand-Duché de Luxembourg), Origine, 1980.
- Langue, Nantes, Cahiers du Pré Nian, 1980
- Petites merveilles, poings levés, Herstal, Atelier de l'Agneau, 1980.
- Frappé de cécité dans sa cité ardente. Liège, Atelier de la Soif étanche, 1980.
- Le Corps et l'image. Liège, "Aux dépens de l'artiste", 1980.
- Axe de l'œil, Herstal, Atelier de l'Agneau, 1982.
- Pavois du bleu, Saint-Laurent-du-Pont (Isère), Le Verbe et l'Empreinte, 1983.
- Voyage sous la peau, Nantes, Pré Nian, 1983.
- M'avait il dit, dans La Lettre internationale, nE 16, printemps 1988.
- Sommeil d'encre, Ougrée, M25 productions, (1988).
- Corps, maisons, tumultes, Paris, Belfond, 1990.
- Ourthe sourde, S.L., MYRDDlN, 1991.
- Poèmes (avec Andrée Chédid), Épinal, Ville d'Épinal, 1991.
- La patrie empaillée suivi de Vêtu, dévêtu, libre, Ed. Labor, coll. Espace Nord, 1992.
Litanies incantatoires
A la lumière noire, à la fée
qui nous tisse de beaux linceuls,
à l'éphèbe endormi dans l'herbe,
à son souffle que le bonheur attise,
aux coquillages clairsemés...
*
Au noir vaudou qui me hante,
aux regards éteints, aux horloges
dont les heures sont de sable,
aux obscurs cheminements
qui nous mènent à nous-même.
*
A ceux qui m'ont touché, à celles
qui furent plus légères que plumes,
à l'encre noire en filigranes,à nos amers émois,
aux émeutiers colorés de rouge,
à tous les vivants debout...
*
A tous les vivants couchés
sous la fragilité solaire,
à ceux qui hument ou éternuent
pour mieux chasser l'air,
aux dormeurs sans vicissitudes.
*
A la grenade de Villanueva-del-Ry,
à l'Ourthe noyée elle-même,
aux enfants enfantins
dont les cris nous bouleversent,
aux hiboux hagards.
*
A mon pouce toujours présent,
à l'amulette, au gris-gris,
aux boucles d'oreilles coupées,
à nos rictus dénuées d'ironie !
*
A Selçuk devenu phénix
ou Sphynx dormeur, sagace et salé,
à ce Selçuk-ci engoncé "en silence
dans la légère torpeur de l'été,
à ce Selçuk-là, rêveur, marcheur,
et lecteur de Sacher-Masoch !
*
A la ronde, à la volée, à l'averse,
a la nuit des temps, des Selcoukides
à travers brumes et torrents,
aux pleurs qui nous apaisent,
à tous les volcans volatilisés.
*
A l'algarade, à l'émeute, à la rage,
à tous les déments criant " Neige ! ",
à nos amis dépenaillés
qui s'enfouissent et se terrent,
aux laveurs de lunes et de soleils,
aux incubes et aux succubes...
*
A ma voix qui clame " désastre ! "
et aux criquets, aux aboyeurs,
à ceux qui ne savent pas
ce qu'il fomentent et mijotent,
à nos vulnérables canailles...
Nier suffit
N'aime ni le feu ni la neige
et n'emmène avec toi
que valises ou paniers vides,
ne fais plus semblant d'être heureux
et ne donne à autrui
que cendre te que ruines...
*
Il ne faut jamais dire
qu'il ne faut jamais dire
qu'il ne faut jamais dire
et que jamais il ne faut dire
que le bleu nuit au bleu,
que l'enfance a besoin d'ailes.
*
Vivre en sens inverse
avec des cals et des caillots.
Ne se souvenir que du présent
et ne voir ni futur ni passé.
Ne plus jamais toucher
l'autre, et l'autre, et l'autre.
*
Ne lui fallait-il aucun rêve
pour que soit longue la nuit ?
Ne dort que d'un oeil l'ami
qui ne sait ni lire ni écrire
et qui, jamais, ne te tend la main.
Toute obscurité t'emprisonne.
*
N'aurions-nous plus besoin de roses
pour dissoudre en nous la poussière ?
Ne ferions-nous pas fi
de nos battements de coeur ?
N'ignorons plus les nuages
posés à même la peau.
*
Ne va pas chercher ailleurs
les petits séismes quotidiens.
C'est en toi qu'ils frémissent
avec de minuscules soubresauts.
Vifs tourbillons ! Remous infinis !
*
Nie tout : ton plaisir foudroyé,
ton orageuse intimité, ta stupeur,
ta joie, ta délectation perpétuelle...
Tout aveu sous le joug du réel.
Nie surtout d'être né !
*
Nier ne suffit plus :
va-t-en donc vers des îles
ou vers ces enchantements artificiels
afin d'être encore en vie
puisque nier ne suffit plus.
*
Ne cherche plus en dehors de toi-même
l'azur, l'extase et le feu !
Ne sois ni esclave ni maître :
un seul caillou du Nalòn
et tu tiendras en main
la pierre philosophale !
*
N'insulte ni les chiens ni les cloportes
tu trouveras alors les clefs
qu'on croyait à jamais perdues.
N'étrangle plus ton prochain :
tu fera œuvre pie !